Le biopic original de Serge Gainsbourg par l'auteur du Chat du Rabbin arrivera le 1er août sur Netflix. Voici comment son créateur présentait ce drôle de projet à sa sortie, début 2010.
Joann Sfar l’a dit et répété : Gainsbourg (vie héroïque) n’est pas un biopic du chanteur français. Mais alors c’est quoi ? Réponses du dessinateur passé réalisateur.
Par Alex Masson
Un autoportrait ? Gainsbourg (vie héroïque) est plus souvent un best-of des thématiques qui irriguent l’œuvre BD de Sfar qu’une compil des tubes du chanteur : "Toutes mes obsessions sont dans ce film. Mais avec des différences de taille par rapport à mes albums. Un exemple ? Le rapport à l’identité juive : la question ne se pose pas du tout de la même manière dans Gainsbourg (vie héroïque) et dans mes BD, parce que dans le film, j’ai voulu lui donner une teinte plus existentielle, plus sartrienne. Dans les scènes de la remise de l’étoile jaune quand Gainsbourg est enfant, ou le passage sur l’article de Michel Droit dans le Figaro magazine a propos d’"Aux armes et caetera", l’identité juive est vue à travers le prisme de l’antisémitisme. Au-delà de tout ça, l’œuvre de Gainsbourg m’a profondément marqué. Quand j’étais étudiant, ma première envie était d’adapter son roman, Evguénie Sokolov en bande dessinée. Je l’ai dessinée juste pour moi. Quand il est mort, je l’ai d’ailleurs déposée dans sa boîte aux lettres. Et ensuite j’ai fait Pascin, qui en est une version détournée."
Un film sur la France ? En parallèle de la vie de Gainsbourg, Sfar montre des moments clés de l’histoire française du XXe siècle : "Gainsbourg n’a cessé de commenter dans ses chansons la société française telle qu’elle évoluait. D’un certain point de vue, j’ai utilisé sa vie pour raconter ce pays, ce que j’en perçois aujourd’hui. Mon film montre la relation entre cet homme et son pays, parce qu’un poète est intéressant à mes yeux quand il combine sa vie intime, l’histoire et le politique. Gainsbourg vivait cette relation comme une relation amoureuse. J’ai juste décidé de remplacer les différentes période de la France qu’il traverse par tous les personnages féminins qu’il croise."
Un film sur une légende ? Gainsbourg (vie héroïque) se joue beaucoup de la réalité et réinvente carrément certains évènements : "Le Gainsbourg médiatique ne m’intéressait pas. Mon film ne devait pas être en concurrence avec la légende. J’ai donc essayé de reconstruire sa mythologie en l’orchestrant autour d’une damnation qui existait vraiment chez lui, mais d’une manière assumée, consentie. Je me suis énormément documenté, j’ai écouté, lu et regardé tout ce qui existe sur lui, mais le principe était de le tirer vers mon imaginaire, de redéfinir Gainsbourg par thématique et non par chronologie pour rester dans le pur récit symbolique. Je voulais me dégager de l’intrigue pour aller vers une chronique à la Truffaut. Je sais que je le fais mentir tout le temps, que c’est mon Gainsbourg. Ca peut paraître très orgueilleux, mais c’est aussi une forme d’humilité puisque dès le départ, je préviens que tout n’est pas vrai et qu’il s’agit d’un conte. Ce qui n’empêche pas de rester juste : Quand dans la scène illustrée Qui est in, qui est out ? mon Gainsbourg commente en voix off comment des filles baisent, ça vient de ses carnets intimes où il mettait des notes aux nanas... Il fallait donc que je sois dans un dialogue constant, ne jamais couper les ponts avec le réel mais toujours justifier le statut de fiction."
Gainsbourg (Vie héroïque) : rencontre avec Eric ElmosninoUn film de monstres ? Dans le film de Sfar, Gainsbourg a un drôle de compagnon de route, une créature interprétée par Doug Jones, (Hellboy, Le labyrinthe de Pan…) entre vampire à la Nosferatu et incarnation de la conscience du poète : "Je viens de la BD, ou l’on a souvent recours aux récitatifs. Ca aurait pu se traduire par une voix-off, mais pas dans ce projet. Cette créature est là pour personnifier la voix intérieure. Elle a la même fonction que les masques dans le théâtre antique. Je suis de toute façon sensible aux créatures, c’est pour ça que j’adore le profondément le cinéma fantastique. Là il n’y avait que deux possibilités pour la jouer : Andy Serkis et Doug Jones. DDT (NDR : la société d’effets spéciaux, qui collabore souvent avec Guillermo Del Toro et donc Doug Jones) aurait pu refuser de le faire puisqu’ils croulent sous les propositions, mais je crois qu’ils ont accepté parce que c’est la première fois qu’on leur proposait autre chose qu’une créature qui fait peur. La mienne est dans la séduction, danse avec des femmes, pose les mains sur leurs corps… Je voulais qu’elle incarne une pluralité de sentiments. D’ailleurs, j’avais du mal à parler de créature avec eux, je leur disais que c’était des dessins en mouvement. La rencontre avec Doug a été formidable, parce qu’il est de mon monde. Et puis avoir régulièrement des coups de fil de Guillermo Del Toro qui s’inquiète de savoir si tout va bien, ça rend heureux, mine de rien !"
Un biopic ? "Je ne me suis pas posé la question en ces termes. Même si je suis ravi que le cinéma français commence à s’interroger sur comment on raconte une vie d’artiste… J’ai plus vu Gainsbourg (vie héroïque) comme un film musical. Sans donner de noms, les tentatives en France ne sont pas encore à la hauteur d’un point de vue technique. Je n’ai pas l’impression que mon film se rattache aux biopics « réalistes » comme W ou Ray. Encore moins au film de Todd Haynes qui, à mon goût, ne raconte pas d’histoire dans I’m not there. Je préfère croire à des visions égoïstes : pour moi un bon biopic, c’est le Van Gogh de Pialat, parce que ça me parle autant de Van Gogh que de Dutronc ou de Pialat. Je n’ai pas encore vu le dernier film de Terry Gilliam, mais j’entends plein de gens dire que c’est encore et toujours le même barnum. Mais heureusement qu’il y a encore des cinéastes qui font le cirque aujourd’hui !"
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