Méconnaissable dans Le Jeu de la reine, l’acteur anglais n’a en réalité rien perdu de sa splendide fraîcheur. Entretien parisien.
Le temps n’a pas vraiment de prise sur Jude Law. A force de le voir en éternel jeune homme, l’acteur a gentiment et discrètement passé la cinquantaine. Smart, souriant, sapé comme un dandy CSP+ de la City, Law s’est amusé à renvoyer à l’écran une image en parfait négatif. Dans Le Jeu de la reine du brésilien Karim Aïnouz il est, en effet, un Henri VIII ventripotent et colérique, sorte de Baron Harkonnen de salon. Face à ce fou furieux personne n’ose moufter, sauf sa femme, Catherine Parr, interprétée par Alicia Vikander qui ourdit en secret contre lui. Law en promo à Paris, glisse sur le parquet bien ciré des bureaux du distributeur français du film.
Le Jeu de la reine déçoit malgré le duo Alicia Vikander-Jude Law [critique]Henri VIII, que vous incarnez dans ce Jeu de la reine, est un presque un fantôme en retrait. C’est sa femme, Catherine Parr (Alicia Vikander) qui occupe le premier plan. Un juste retour des choses ?
Jude Law : Catherine Parr, dernière femme de ce roi devenu véritable despote, a été oubliée des manuels d’Histoire. Il est plus que légitime que son destin soit aujourd’hui raconté. Le scénario du film de Karim (Aïnouz) a été écrit par Jessica et Henrietta Ashworth d’après un roman d’Elizabeth Fremantle. Dès le départ, il était clair, que tout serait vu depuis le regard de Catherine Parr. Un peu comme si l’histoire avec un grand H tombait soudain de son piédestal. Nous pouvons enfin écouter ce que cette femme passionnante avait à nous dire… Le fait que mon personnage ne soit pas au centre du jeu, mais en retrait, me semblait naturel. Je suis le méchant de cette histoire.
… Le combat de Catherine Parr résonne forcément avec notre présent…
Il est évident que la façon dont certaines femmes continuent de subir le poids de la domination masculine est un sujet très actuel. Henri VIII rendait leur relation très toxique. Elle a su se mettre à distance de ce pouvoir particulièrement dangereux. Sa grande intelligence lui a permis de sauver sa peau. Le sort des précédentes épouses d’Henri VIII a été particulièrement violent : répudiation, décapitation… Outre l’écriture du scénario, le film a été produit par des femmes et la française Hélène Louvart a signé la lumière du film…
Y-a-t-il eu une séquence particulièrement éprouvante à tourner ?
Ma composition volontairement outrée du personnage d’Henri VIII était plutôt fun à travailler. J’avais une liberté quasi-totale dans mon jeu. Pour autant, chaque journée de travail était épuisante. Je n’arrêtais pas de faire et défaire les bandages qui recouvraient mes pieds, Henri VIII avait, en effet, une maladie qui rendait sa chair purulente. Jouer un homme en mauvaise santé est très physique. Henri VIII était surtout caractériel. En face de moi, Alicia (Vikander) n’hésitait pas à me pousser dans mes retranchements et m’incitait sans arrêt à aller plus loin… Nous avons finalement beaucoup ri sur le plateau.
Alicia Vikander: " Jude Law était terrifiant dans Le Jeu de la Reine"Qui est exactement le Henri VIII que vous incarnez ?
Un gangster, un tyran, qui se gargarisait de la peur qu’il provoquait… Il l’est devenu avec le temps, car il a d’abord été un jeune homme charismatique, très beau, avec déjà beaucoup de pouvoirs. C’était l’un des hommes les plus éduqués d’Angleterre qui s’adonnait à la musique, au sport… Il a ensuite subi un véritable lavage de cerveau pour les instances religieuses. Et à l’âge de 50 ans, il est devenu une sorte de monstre, beuglant, rotant… Lorsque vous vous engagez sur un film, vous savez avec quelle couleur le tableau va être peint. En tant qu’interprète, je devais donc apporter différentes teintes au risque de disparaître au milieu de la toile.
Il s’agissait donc pour vous d’imposer votre présence…
… Un roi n’a pas besoin d’hurler pour asseoir son autorité. Il entre dans une pièce, tout le monde se tait. C’est cette tension silencieuse qu’il faut parvenir à exprimer. J’aime cette séquence au début du film. Tout le monde s’agite, discute. Quelqu’un annonce l’arrivée du roi et soudain, plus un bruit dans la salle. Les gens sont terrorisés… Même sur son lit de mort, quand il était clair que son dernier souffle approchait, personne n’osait - pas même le prêtre – s’enquérir de ses dernières volontés de peur de provoquer sa colère.
Quelle image ont les anglais d’Henri VIII aujourd’hui ?
Il y a une sorte de perversion à célébrer avec ironie sa part cruelle, à en faire un monstre sympathique. Il existe même des chansonnettes qui s’amusent de sa violence. C’était pourtant un criminel notoire qui a fait tuer des milliers de personnes.
Le Jeu de la reine. De Karim Aïnouz. Avec : Alicia Vikander, Jude Law, Eddie Marsan, Sam Riley… Dist. ARP. Durée : 2h. Sortie le 27 mars.
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