Première
par Christophe Narbonne
On connaît Stéphane Brizé (Je ne suis pas là pour être aimé, Mademoiselle Chambon) et sa propension à fi lmer des rencontres amoureuses entre des êtres que tout oppose. Avec Philippe Lioret, c’est le spécialiste des actes manqués, un professionnel de l’ellipse signifi ante, un directeur d’acteurs magistral. Personne d’autre que lui n’aurait pu raconter cette histoire dramatique et potentiellement semée d’embûches. Jusqu’où pousser la confrontation entre ces deux animaux blessés ? Comment éviter pathos et prosélytisme ? Comme à son habitude, le réalisateur s’attache à des riens dont l’accumulation débouche sur une tension palpable : la colère qu’on contient en s’occupant machinalement (beaucoup de scènes de repas et de nettoyage), les banalités qu’on échange, les mots déplacés qu’on laisse échapper, les gestes qu’on retient plus ou moins, la douleur qui frappe sans
crier gare... Les seconds rôles, magnifi ques (un vieux voisin amoureux, une femme déçue par Alain), détendent l’atmosphère et modifi ent la perception binaire qu’on pourrait avoir des personnages, d’une complexité remarquable. À l’instar d’Alain, Brizé ne juge pas, ne donne pas de consignes. Surtout, il n’entretient aucun suspense nauséabond quant au suicide de la mère. Son fi lm défend le libre arbitre et invite au respect. On en sort apaisé.