Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
NOTRE- DAME BRÛLE ★☆☆☆☆
De Jean- Jacques Annaud
L’essentiel
En recréant l’incendie de 2019, le désir de grand cinéma populaire de Jean-Jacques Annaud se heurte à une pauvreté d'écriture.
Lorsque Notre-Dame de Paris a brûlé, le 15 avril 2019, certains y ont vu plus qu'un incendie : un fait de civilisation. Si la cathédrale a cramé, expliquaient-ils, c'est décidément que quelque chose allait mal dans notre beau pays, menacé par les flammes de la décadence et sauvé par une élite de guerriers de la lumière. Avec Notre-Dame brûle, Jean- Jacques Annaud cherche, lui, à faire de cet événement un fait de cinéma, en le transformant en un combat spirituel (sauver un lieu sacré) et civilisationnel (sauver un lieu français qui appelle à l’universel).
Le résultat se révèle indéniablement excitant et tendu lorsque le cinéste suit les pompiers au plus proche du feu, montrant bien la peur, la douleur, la chaleur, et la difficulté de progresser face au brasier mais c’est à l’écriture que Notre-Dame brûle dévisse complètement. Malgré la présence d’un scénariste confirmé (Thomas Bidegain, auteur à son meilleur d’Un prophète ou des Cowboys qu’il a lui- même réalisé), rien ne paraît crédible. L’agent de sécurité qui tient le téléphone à un mètre de son oreille quand sa femme l’engueule de rester tard au travail, l’apparition christique d’un aumônier sauvant les hosties des flammes, Trump (joué par un sosie filmé de dos) tweetant depuis la Maison Blanche, le running gag de la vieille dame appelant les pompiers pour sauver son petit chat coincé sur un toit alors que le standard explose… Tout cela évoque la (mauvaise) bande dessinée, un cinéma de cases figées, de vignettes découpées, isolées et souvent absurdes.
Stalingrad, l’un des meilleurs Annaud, déformait absolument la réalité historique, et c’était nécessaire puisque cela se faisait au profit de la fiction et de l’action. Peut-être du fait de la proximité de l’évènement, Notre-Dame brûle ne veut, lui, rien déformer (le film est bourré de vraies images tournées par les spectateurs de l’évènement, contribuant à la fragmentation du récit et son absence de force directrice). Et malgré ses 110 minutes, il se révèle bien trop court pour pouvoir évoquer tout ce qu’il ambitionne : la France des Gilets jaunes, le combat des pompiers, le monde interconnecté où le moindre drame s’éparpille et se disloque dans le chaos des réseaux...
Sylvestre Picard
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
A PLEIN TEMPS ★★★★☆
De Eric Gravel
C’est une course contre la montre qu’on pressent perdu d’avance. A tort ? A raison ? Vous le révéler abimerait l’expérience immersive proposée par Eric Gravel (Crash test Aglaë) pendant 85 minutes sans temps mort. A plein temps se vit comme le plus haletant des survivals. Un survival du quotidien dans les pas, la tête et le corps épuisé de Julie, mère célibataire de deux enfants vivant à la campagne, femme de ménage dans un palace parisien décrochant enfin un entretien pour un poste plus proche de ses aspirations. Tout pourrait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour celle qu’on perçoit ne pas avoir été épargnée par la vie. Sauf qu’une grève des transports éclate. Et que l’emploi du temps au millimètre qu’elle s’était fabriquée vole en éclat, la poussant à évoluer sur une fine crête entre tout perdre et tout gagner. Par le thriller, Gravel raconte cette France qui craque de partout en évitant la facilité réac du discours anti- grève. Un sommet de film social offre aussi à une Laure Calamy, géniale de bout en bout, un rôle loin de ses emplois post Dix pour cent.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
TROIS FOIS RIEN ★★★☆☆
De Nadège Loiseau
Cinq ans après Le Petit locataire, Nadège Loiseau revient au long métrage avec Trois fois rien, l'histoire de trois sans domicile fixe, Brindille (le Québécois Antoine Bertrand, franchement épatant), Casquette (impeccable Philippe Rebbot en clochard céleste) et La Flèche (Côme Levin) qui vivent au jour le jour dans le bois de Vincennes. Toutes les semaines, ils jouent au Loto, ce qui leur permet de rêver à l'hypothétique tour de monde qu'ils feraient s'ils remportaient la mise. Jusqu'au jour où, par miracle, ils gagnent une somme rondelette... qu'ils sont incapables d’encaisser, puisque qu’ils ne peuvent pas ouvrir de compte bancaire sans domicile et carte d’identité à jour. Un sujet pas facile (comment rire avec des SDF sans avoir l'air de se moquer d'eux ou de les regarder de haut ?) dont Loiseau s'empare avec beaucoup de délicatesse pour signe un petit film très maîtrisé qui murmure les blessures de ses héros plutôt que de les hurler. Et parvient à en rire sans diminuer leur intensité.
François Léger
Lire la critique en intégralitéFUNAMBULES ★★★☆☆
De Ilan Klipper
Dix ans après son remarquable documentaire Saint- Anne, hôpital psychiatrique, Ilan Klipper a choisi de réarpenter le terrain de la folie en s’intéressant cette fois- ci à ceux qui sont sortis de l’institution médicale et vivent hors ses murs. Le résultat se révèle encore une grande réussite. Toujours à bonne distance d’Aube, Yoan, Marcus et les autres - jamais filmés en bêtes curieuses - qu’il a choisi de suivre et en parvenant par son talent de confesseur et par la puissance de sa réalisation à nous plonger dans leurs têtes et à traduire de manière fascinante leurs univers aussi étranges que poétiques. Au lieu de chercher en vain à dresser un état des lieux de la psychiatrie en France, Funambules se vit comme une œuvre expérimentale, entre rêves et cauchemars, dans laquelle on s’abandonne jusqu’à se perdre parfois mais avec la certitude que le capitaine tient bon la barre.
Thierry Cheze
JUJUTSU KAISEN MOVIE ★★★☆☆
De Park Sung- ho
Déjà adapté en série animée, le manga le plus vendu dans le monde en 2021 débarque au cinéma. La série Jujutsu Kaisen reprenait les aventures de Yuji Itadori, jeune adolescent qui partage son corps avec Ryomen Sukuna, le fléau de classe S. Ces fléaux, créés à partir des émotions négatives humaines, envahissent le Japon et créent de nombreuses disparitions mystérieuses. Se manifestant sous la forme de monstres, seule une minorité peut les voir : les exorcistes, formés dans des lycées bien particuliers. Et c’est celui de Tokyo qui nous ouvrait ses portes dans la première saison - avec le professeur Satoru Gojo et ses élèves de seconde et première.
Jujutsu Kaisen 0 est une préquelle qui se situe 1 an avant le premier épisode et se base sur l’histoire du solitaire Yuta Okkotsu. Maudit depuis l’âge de ses 11 ans, l’adolescent est hanté par le fantôme de Rika, Et même si le récit mériterait plus d’attention, les studios MAPPA (L’Attaque des titans - saison finale, Dororo) remplissent parfaitement le cahier des charges. Les mouvements et effets visuels des combats les rendent spectaculaires, la musique amplifie à merveille l’intensité des attaques et des émotions des personnages : une animation efficace, qui donne tout son cachet au film. De plus, si l’adaptation est fidèle au manga, de nombreuses surprises et clins d’oeil ont été rajoutés, pour le plus grand bonheur des fans. Une bonne manière de se remettre dans le bain avant la sortie de la saison 2 en 2023, et pour les plus novices, de se plonger dans cet univers.
Sophie Baudouard
Lire la critique en intégralitéMONEYBOYS ★★★☆☆
De C.B. Yi
Elève de Michael Haneke à l’école de cinéma de Vienne, C.B. Yi s’attaque avec son premier long à deux tabous majeurs de la société chinoise - qu’il a quittée, ado – à travers un seul et même personnage de prostitué homosexuel, Fei. On suit celui- ci, parti de son village pour subvenir aux besoins de sa famille, dans la pratique de son métier bien sûr mais aussi et surtout dans son quotidien parfois joyeux, souvent houleux, avec ce désir de cinéaste de ramener ce qui est perçu comme la marge vers le centre et n’envisager chaque individu que comme une composante du monde où il évolue. Peuplé de scènes fortes (le retour violent de Fei dans sa famille, ses retrouvailles avec son petit ami qu’il a longtemps cru mort et désormais en couple avec une femme…), Moneyboys frappe aussi par la beauté formelle aux couleurs vives de sa mise en images où rigueur ne rime jamais avec austérité pour ne pas ajouter de la noirceur à la noirceur.
Thierry Cheze
ENTRE LES VAGUES ★★★☆☆
De Anaïs Volpé
Le jeu dans ce qu’il a de plus exaltant est au cœur du deuxième long d’Anaïs Volpé (Heis (chroniques)) et ce dès sa scène inaugurale, où ses héroïnes, Alma et Margot (Déborah Lukumuena et Souheila Yacoub), actrices et amies, improvisent une vraie- fausse dispute lors d’une audition pour qu’une décroche le rôle. Objectif atteint : Alma est engagée pour leur plus grand bonheur avant qu’une grave maladie ne la rattrape et vienne percuter leur insouciance. Derrière la caméra, Anaïs Volpé joue, quant à elle – avec Sean Price Williams (Good time) à la lumière -, à brouiller les pistes entre cette réalité et la fiction de la pièce, entre Paris et New- York où son action se déroule, entre les couloirs de l’hôpital et la scène de théâtre. C’est parfois confus, pas toujours maîtrisé… mais la complicité explosive entre ses deux héroïnes rend le plus souvent irrésistible cet hymne à la sororité
Thierry Cheze
L’EMPIRE DU SILENCE ★★★☆☆
De Thierry Michel
Il est des guerres et des massacres qui ne dépassent pas les frontières. Trop lointaines, trop compliquées... Cette Empire du silence c’est la République du Congo qui porte bien mal son nom car au Congo, les notions de « république » et de « démocratie » sont dévoyées par ceux qui en sont les garants. Thierry Michel (L’homme qui répare les femmes), à l’aide d’archives savamment utilisées, retrace la naissance d’un pays, l’ex-Zaïre, qui subit sur son sol les violentes répercussions du génocide perpétré dans le Rwanda voisin en 94. Le Congo, terre riche de son sol, est pillée, mutilée, écartelée, et a vu des massacres d’une rare violence effectuée au vu et au su des représentants de l’ONU impuissants (deux experts envoyés sur place ont été exécutés face caméra). Un documentaire d’une puissance étourdissante à mettre devant tous les yeux.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
MEDUSA ★★☆☆☆
De Anita Rocha de Silveira
Brésil, de nos jours. Marina, 21 ans, fait partie d’un groupe de jeunes filles bigotes et masquées, qui à la tombée de la nuit traquent les « pécheresses » pour les punir physiquement d’avoir dévié du droit chemin. Mais derrière la bigoterie ambiante, la révolte bouillonne… La réalisatrice Anita Rocha da Silveira tire à vue sur le puritanisme bolsonarien et ses effets secondaires avec un film fluo et morbide, mutant par nature. Du cinéma de genre sous influences visuelles écrasantes (Refn + Carpenter + Argento, pour résumer) qui peine à tenir ses promesses sur le plan de l’horreur mais cultive obstinément sa singularité de ton. La satire finit pourtant par pécher par excès de symboles et une réalisation en dents de scie, qui l’empêchent d’exprimer pleinement son inquiétante étrangeté.
François Léger
UN FILS DU SUD ★★☆☆☆
De Barry Alexander Brown
Spike Lee est producteur exécutif de ce film réalisé par son vieux compagnon de route Barry Alexander Brown, monteur d’un nombre conséquent de « Spike Lee joints », de Do the right thing à BlacKkKlansman… Un Fils du Sud retrace le parcours de Bob Zellner, un Blanc élevé dans l’Alabama ségrégué des années 50-60, qui, après avoir croisé la route de Rosa Parks, décida de rejoindre la lutte pour les droits civiques – au risque de se faire lyncher par son propre grand-père, membre du Ku Klux Klan. Tentant de renverser le cliché du « sauveur blanc » (c’est in fine la pensée de Martin Luther King qui « sauvera » Zellner), le film se regarde d’abord comme un précis d’histoire US, sagement raconté et documenté. Lucas Till a du charisme et Brown slalome vaillamment entre les chromos sudistes, même si tout ça manque clairement d’envergure politique ou cinématographique.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE N’A PAS AIME
L’HISTOIRE DE MA FEMME ★☆☆☆☆
De Ildiko Enyedi
Il y a deux temps forts dans L'Histoire de ma femme. Son ouverture, promesse d’un film ludique, où son héros, capitaine de bateau dans les années 20, fait un pari avec un ami dans un café - épouser la première femme qui en franchira le seuil - avant que n'y pénètre la jeune Parisienne qui deviendra donc son épouse. Puis une scène d'incendie sur un bateau où la mise en scène d’Ildikó Enyedi (Mon XXème siècle) se déploie avec une puissance qui laisse aussi augurer le meilleur. Et puis... c'est tout ! Car pendant 2h49, on assiste à la très très lente déliquescence d'un couple gangréné par la jalousie. Certes, Léa Seydoux s'y montre impeccable. Mais L'Histoire de ma femme appartient à cette catégorie de films où l'on rentre pantoufles aux pieds par peur d'abîmer un parquet soigneusement ciré, son classicisme étouffant le récit sous les dorures de la reconstitution historique.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéCINQ NOUVELLES DU CERVEAU ★☆☆☆☆
De Jean- Stéphane Bron
On guette toujours avec curiosité un nouveau documentaire du très éclectique Jean- Stéphane Bron qui s’est jusqu’ici montré aussi à l’aise en parlant de la crise financière de 2008 (Cleveland contre Wall Street) qu’en dressant le portait de l’homme politique national- populiste suisse Christoph Blocher (L’Expérience Blocher) ou en plongeant dans les coulisses de l’Opéra de Paris (L’Opéra). Mais son exploration des mystères du cerveau humain laisse plus circonspect. Le sujet est passionnant certes mais il règne tout au long de ce film un sentiment d’artificialité qui laisse à distance. Divisé en cinq parties (pour faire découvrir les travaux de cinq scientifiques différents), le récit que propose Bron peine à faire tenir en 1h43 tous les enjeux éthique, politique et philosophique de la cohabitation entre humains et machines que promettent les incessantes révolutions technologiques en cours. Et ce d’autant moins qu’il perd beaucoup de temps à traiter – bien maladroitement de surcroit - de la vie personnelle des chercheurs qu’il met en avant. Comme s’il s’y employait uniquement par peur d’ennuyer – à l’image d’une forme inutilement esthétisée à outrance – avec son sujet et craignait à tout moment de voir décrocher les spectateurs. On ne retrouve pas ici le sens de la pédagogie commun jusque là à tout son travail documentaire.
Thierry Cheze
ALORS ON DANSE ★☆☆☆☆
De Michèle Laroque
Après avoir été trompée par son riche mari, Sandra (Michèle Laroque) se réfugie chez sa soeur Danie, beaucoup moins aisée. Leurs caractères à l’opposé se rejoignent sur une passion : la danse. Sandra va rencontrer les chaleureux amis de Danie, se remettre à danser et tenter de commencer une nouvelle vie. Michèle Laroque signe ici l’adaptation du film anglais Finding Your Feet, jamais sorti dans nos contrées. Un film qui donne l’impression permanente de ne s’adresser qu’aux seuls sexagénaires. Alors, si vous n’êtes pas la cible, il sera compliqué de s’attacher à cette petite comédie pas si mal emballée mais où rien ne dépasse. Quelques chouettes seconds rôles vous éviteront la sieste : Isabelle Nanty, Patrick Timsit, Thierry Lhermitte, Jeanne Balibar, Antoine Duléry… Reconnaissons à Michèle Laroque le talent de savoir bien s’entourer.
François Léger
Et aussi
Belladones, de Sophie Travert Macian
L’Heure du départ, de Camille de Casabianca
Histoire (s) de famille (s), programme de courts métrages
Nos corps sont vos champs de bataille, de Isabelle Solas
Reprises
Chère Louise, de Philippe de Broca
Les Oliviers de la justice, de James Blue
Remparts d’argile, de Jean- Louis Bertuccelli
Trilogie Infernal affairs, de Andrew Lau et Alan Mak
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