Première diffusion en clair ce mercredi, sur Arte.
A l'occasion de la programmation de Youth, à 21h sur la septième chaîne, voici la critique de Première, publiée à sa sortie en septembre 2015.
Paolo Sorrentino est devenu depuis une grosse dizaine d’années la bête noire de la critique française, qui voit dans le réal’ napolitain un frimeur décérébré et vain, aux méthodes clippesques, donc forcément un peu suspectes. La Grande Bellezza, son précédent film (et chef-d’œuvre en date) a tout de même contribué à faire bouger les lignes, le rendant de plus en plus incontestable aux yeux du reste du monde (le film a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger). Dans ce lent cheminement de Sorrentino vers la respectabilité, Youth se veut clairement une main tendue à son public international, presque un remake « light » et en anglais de La Grande Bellezza, avec Michael Caine en chef d’orchestre de légende croupissant élégamment dans un hôtel de luxe en Suisse, en lieu et place du dandy cynique Toni Servillo, qui regardait l’Italie berlusconienne sombrer depuis la terrasse de son appartement romain.
La Grande Bellezza : La grande beauté ? Elle est là, sous nos yeux [critique]Youth est un film plus accueillant, plus mainstream, que le précédent. Moins exigeant, moins impérieux et sans doute encore plus exportable. Résultat des courses : c’est un opus mineur, celui où son auteur se laisse aller à quelques facilités qu’on ne pardonnerait pas à d’autres (des clins d’œil méta et pas drôles au festival de Cannes, au déclin des grands cinéastes, aux séries télé…), rate une poignée de scènes dans les grandes largeurs (un vieux cinéaste joué par Harvey Keitel, copain de jeunesse de Michael Caine, se retrouve face à ses « créatures » dans un alpage suisse, sommet de kitsch dont le film a du mal à se remettre), et passe en partie à côté de l’émotion terrassante qu’il cherchait visiblement à susciter dans son dernier mouvement.Mais que voulez-vous ? On aime la frime, nous. Le sens du baroque dissonant, la sensualité qui électrise, les télescopages esthétiques incongrus, et ce sens du spotting musical dont Sorrentino est le champion du monde (intro folle sur une reprise de "You’ve got the love" de Florence and the Machine). Malgré les scories, Youth se regarde donc avec un plaisir monstre. C’est du cinéma, oui, et ça se voit. Du cinéma qui cherche à chaque instant à éclabousser la rétine. Qui pète la forme et veut que ça se sache.
Et c’est de la musique, aussi. "Music is all I understand", dit Michael Caine. Et il dit justement ça, comme chacune de ses répliques, avec un tempo et une précision dingues, imposant son propre rythme au film, passant de l’ironie à la mélancolie en une syllabe, une fraction de seconde. Ou un clignement d’œil, un soupir, quand il n’y a plus rien à dire.Sorrentino avait raté son association avec Sean Penn (l’échec This must be the place) mais filme ici sublimement le grand homme du cinéma british. Il le filme comme il filme sa muse Toni Servillo, comme il filmait Rome et "la grande beauté", c’est-à-dire comme une espèce en voie de disparition. Dans le jardin de son hôtel, Caine croise Paul Dano, qui incarne ici un acteur studieux disant avoir longtemps hésité "entre l’horreur et le désir". Sorrentino, lui, choisit le désir. A chaque film, inlassablement. Pour le meilleur et pour le pire.
Frédéric Foubert
Bande-annonce de Youth :
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