Première
par Frédéric Foubert
Youth est un film plus accueillant, plus mainstream, que le précédent. Moins exigeant, moins impérieux et sans doute encore plus exportable. Résultat des courses : c’est un opus mineur, celui où son auteur se laisse aller à quelques facilités qu’on ne pardonnerait pas à d’autres (des clins d’œil méta et pas drôles au festival de Cannes, au déclin des grands cinéastes, aux séries télé…), rate une poignée de scènes dans les grandes largeurs (un vieux cinéaste joué par Harvey Keitel, copain de jeunesse de Michael Caine, se retrouve face à ses « créatures » dans un alpage suisse, sommet de kitsch dont le film a du mal à se remettre), et passe en partie à côté de l’émotion terrassante qu’il cherchait visiblement à susciter dans son dernier mouvement.
Mais que voulez-vous ? On aime la frime, nous. Le sens du baroque dissonant, la sensualité qui électrise, les télescopages esthétiques incongrus, et ce sens du spotting musical dont Sorrentino est le champion du monde (intro folle sur une reprise de "You’ve got the love" de Florence and the Machine). Malgré les scories, Youth se regarde donc avec un plaisir monstre. C’est du cinéma, oui, et ça se voit. Du cinéma qui cherche à chaque instant à éclabousser la rétine. Qui pète la forme et veut que ça se sache.
Offrant une variation plus légère de sa "Grande Bellezza", Sorrentino a construit une nouvelle cathédrale sur la nostalgie douloureuse. Comme toujours, il y a la frime, le baroque dissonant, les effets (parfois) manqués et la grandiloquence (le concerto pour vaches). Mais derrière l’accumulation, derrière la flamboyance, se cache une fois de plus un film à la beauté existentielle déroutante, profond introspectif et lancinant. On y entend progressivement la sagesse triste d’un type qui sait tout du désir fané. Odyssée viscontienne en anglais et en Suisse, "Youth" marche vers une drôle de sobriété et la danse macabre finit par avoir la pureté du cristal. C’est évidemment dû à l’immense Michael Caine qui atteint ici des sommets. Sens inouï du tempo, précision... le moindre de ses soupirs renferme tous les regrets du monde. Sur les montagnes, la neige se met à fondre. Chacun pleure à sa façon le temps qui passe