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L’avenir de l’agence publicitaire, l’avenir sentimental des personnages et l’avenir de la société américaine toute entière... Alors que s'enclenche le dernier mois de diffusion de Mad Men, The Forecast fait méditer les protagonistes sur leur futur et confirme que le destin de la série ne passera pas uniquement par Don Draper. Critique (avec spoilers) de l’épisode 10 de la saison 7.

Mad Men ne perd pas son temps. Alors que l’épisode de la semaine dernière, New Business, s’achevait sur une image de l’appartement de Don Draper vidé de ses meubles, The Forecast démarre par un plan montrant une employée d'agence immobilière pénétrer dans le même logement. Le publicitaire a en effet mis son domicile en vente, manière pour lui d'oublier le passé et de se délester de l'échec de son mariage avec Megan. L'agente immobilière fera d'ailleurs remarquer à un Don légèrement dans le déni que les lieux donnent l'impression d’héberger « une personne triste » et qu'il faudra aux visiteurs une bonne dose d'imagination pour envisager un avenir radieux entre ces murs.De fait, Roger Sterling propose à Don de se projeter vers le futur en lui demandant de dresser quelques perspectives d’avenir pour l’agence SC&P. S’emparant de sa mission avec détachement, le héros de Mad Men se heurte surtout à un présent particulièrement prosaïque. Il va ainsi expérimenter l'état de dégradation de ses relations avec ses jeunes collègues, lesquels lui renvoient une peu glorieuse image de lui-même. Peggy, poussée dans ses retranchements par un Don passif-agressif qui lui suggère d'élever sans cesse ses ambitions avant de la rabaisser d'un coup, finit donc par s’en prendre aux rêves d’avenir de son supérieur. Lui aussi déçu par les conseils improductifs de Don, le rédacteur Mathis rappelle que son interlocuteur doit ses réussites professionnelles à son charme davantage qu’à son intelligence véritable. Surpris de voir la jeune génération lui répliquer de façon si directe, Don prend peu à peu conscience que son pouvoir de séduction cessera bientôt d’agir et qu’il lui faudra manier d’autres armes pour savourer ses vieux jours. Si le dernier épisode de la saison 4 se nommait Tomorrowland et passait par Disneyland et la Californie pour vanter les promesses du futur, l'épisode présent se nomme bien The Forecast (traduisible par "la prévision"), manière d'indiquer que la route de l'avenir est sans doute moins alléchante qu'il y a quelques années pour Don et que l'essentiel réside désormais dans la capacité d'anticipation plutôt que dans un plongeon tête baissée en direction de l'inconnu.La sous-intrigue sentimentale consacrée à Joan met elle aussi en scène une prise en compte du futur. Rencontrant à Los Angeles un dénommé Richard, fringant quinquagénaire incarné par Bruce Greenwood (vu dans Star Trek Into Darkness et Good Kill), elle tombe rapidement sous le charme mais découvre les exigences de liberté de cet homme divorcé dont « le projet est de ne pas avoir de projets ». Importuné par le fait que Joan ait un enfant de 4 ans, Richard confronte sa nouvelle amante à la difficulté de mener de front un rôle de mère et une existence romantique. Pourtant, le showrunner Matthew Weiner, particulièrement bienveillant à l’égard de Joan et sans doute pressé d’accélérer le sort amoureux de ses personnages dans cette dernière ligne droite de Mad Men, décide de donner une chance aux deux tourtereaux, lesquels se promettent de régler leurs plans d’avenir sur un même tempo.

Madeleine de Proust vs. guerre du Vietnam

The Forecast enregistre également le retour de Sally Draper et poursuit la rivalité souterraine qui oppose la jeune fille et sa mère Betty. La visite au domicile familial de Glen Bishop, l’ancien voisin des Draper (interprété par Marten Holden Weiner, le propre fils de Matthew Weiner), nous fait d'abord croire à un développement de son lien amical avec Sally, mais l'évènement plonge surtout Betty dans un trouble inattendu. C’est que le physique élancé du garçon, désormais âgé de 18 ans et arborant de viriles rouflaquettes, permet de mesurer qu’une décennie entière est passée depuis le début de la série (l’année 1970 bat en effet son plein) et rappelle à Betty la relation toujours ambigüe qu'elle a entretenue avec cet enfant mal dans sa peau à qui elle offrit par exemple une mèche de cheveux dans la saison 1. Quand le jeune homme annonce qu’il s’apprête à rejoindre l’armée au Vietnam, l’émotion qui s’empare de Sally se fait le relais de celle du spectateur qui constate à quel point le temps passé en compagnie de personnages n’empêche en rien leur sacrifice potentiel.Mais Betty reste de son côte impassible et se veut rassurante; car si elle s'était montrée très dure envers Glen la dernière fois qu'elle croisa le personnage (justement dans l'épisode Tomorrowland), elle ne se trouve cette fois plus dans une position de défiance et de protection de sa fille mais se sent au contraire désirée par un homme qu'elle trouve elle-même charmant. La question de l’avenir qui attend la génération d'Américains nés au début des années 1950 se pose d’autant plus fortement quand Glen reviendra plus tard tenter de conquérir Betty dans une cuisine dont la décoration et l'éclairage évoque très fortement les premières saisons et les premières entrevues entre les deux personnages. Face à l’échec du projet sexuel que le jeune homme nourrissait depuis tant d'années, la sensation familière se transforme en déréliction générale et en chaos sensoriel. La madeleine de Proust laisse sa place à un sentiment de mort imminente, le jeune homme s'apprêtant à rejoindre le si mortel conflit vietnamien.Quels type de rapports peuvent exister entre les générations passées et les générations futures ? C’est encore la question qui se pose en fin d’épisode quand Don déjeune avec Sally et plusieurs de ses amies avant leur départ pour un voyage en bus, et demande ce que les jeunes filles veulent faire plus tard. Si la plupart envisagent des postes à responsabilité et manifestent une attirance pour le pouvoir politique, preuve que la société a déjà changé depuis la décennie précédente, Sally refuse de se projeter si loin. Irritée de voir que son père plaît beaucoup à une de ses camarades, l'adolescente choisit d'entrer en conflit avec son père. Accusant ses parents d'être inconséquents, narcissiques et manipulateurs, Sally prévient Don qu'elle refuse l'idée de lui ressembler à l'avenir. Mais Don lui assure qu'elle possède certains des traits parentaux et se met à encenser la beauté de sa fille tout en lui indiquant qu’il lui faudra faire preuves d’autres qualités pour se frayer un chemin dans la vie. Visiblement marqué par sa dispute avec Mathis, le héros de Mad Men fait sienne la nécessité de s’extraire de la pure apparence pour s’assurer un avenir spirituellement satisfaisant.Au terme d’un épisode qui a cité les noms des stars hollywoodiennes Warren Beatty et Jane Fonda, Don doit laisser son appartement qui a enfin trouvé des acquéreurs. Appelé à oublier la gloire passagère et le pouvoir de séduction immédiat, le publicitaire reste seul sur le seuil de son ancien logement, alors que retentissent les paroles de « The First Time Ever I Saw Your Face » chantées par Roberta Flack (version aussi entendue dans Un frisson dans la nuit de Clint Eastwood, ou plus récemment dans X-Men : Days of Future Past). Les sensations d’innocence et de renouveau dont parle la chanson peuvent-elles réellement s’emparer de l’existence de Don Draper, personnage qui a semé tant de déceptions derrière lui ? C’est tout l’enjeu des quatre ultimes épisodes qui nous attendent.

Damien Leblanc

En France, la saison 7 de Mad Men est diffusée sur Canal +.