Toutes les critiques de Nous finirons ensemble

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thierry Chèze

    L’exercice de la suite rappelle que le cinéma est au moins autant une industrie qu’un art. Dans 99,99 % des cas, on surfe sur un succès sans prendre le temps de creuser les situations et les personnages. L’unique mot d’ordre : battre le fer tant qu’il est encore chaud. À cette aune, Nous finirons ensembledétonne. D’abord, parce qu’on ne peut guère l’accuser de surfer sur une quelconque vague quand le carton des Petits Mouchoirsremonte à déjà neuf ans. C’est même une sacrée gageure que de se lancer dans une aventure où les protagonistes ont bien plus à perdre qu’à gagner. Il y a neuf ans – à l’exception de François Cluzet et de Marion Cotillard, déjà oscarisée –, Gilles Lellouche, Laurent Lafitte, Pascale Arbillot & co ne bénéficiaient pas de la même notoriété qu’aujourd’hui. D’une certaine manière, ils remettent leur titre en jeu sur un terrain plus que mouvant. Mais il y a quelque chose d’encore plus singulier dans le désir de se lancer dans cette suite. Un pari encore plus dingue. Le public aura-t-il envie de retrouver ces personnages alors que le succès des Petits Mouchoirsrepose sur un étrange malentendu ? Comment une œuvre aussi amère sur les rapports humains a-t-elle pu à ce point symboliser chez certains une célébration de l’amitié ? Et quel empressement aurait-on, dès lors, à prendre des nouvelles de ceux qui semblent n’avoir d’amis que le nom ? Or, très vite, on comprend que cette question sera justement au centre de ce deuxième épisode, plus mature et plus dense. La scène d’ouverture donne le la. La bande ne se retrouve pas banalement, s’enlaçant et s’embrassant à qui mieux mieux. Elle le fait à contrecœur. Parce que la mort de leur pote Ludo a tout fait exploser et causé des plaies profondes. Même si ne plus se voir leur manque. En tout cas, à certains d’entre eux. L’idée naît donc chez ceux-là d’aller faire une surprise à Max (François Cluzet) pour son anniversaire. Et le résultat tourne court. La surprise, vite éventée, n’enchante pas Max. Ces mains tendues – contre leur gré pour certaines – l’agressent : il a tout perdu et a honte de l’avouer à ceux qu’il invitait autrefois en grand seigneur chaque été ; Véronique (Valérie Bonneton) l’a quitté ; ses affaires ont périclité et il est obligé de mettre sa maison en vente. Et même s’il a retrouvé l’amour auprès de Sabine, interprétée par Clémentine Baert [lire encadré ci-contre], le fait de voir redébouler cette bande le renvoie violemment à ce passé glorieux.

    PERTE D’ILLUSION
    Cette ouverture comme à reculons donne le tempo de ce qui va suivre, à rebours des Petits Mouchoirs. Aux oubliettes les non-dits et le pathos. Avec une décennie de plus dans les pattes, les personnages n’ont plus de temps à perdre. Beaucoup ont perdu leurs illusions : Marie (Marion Cotillard), qui rêvait de changer le monde, est revenue de tout ; Antoine (Laurent Lafitte), qui voulait percer comme acteur, est l’assistant corvéable à merci d’Éric (Gilles Lellouche), devenu la star que lui ne sera jamais, et Vincent (Benoît Magimel) sait qu’entre Max et lui, toute histoire d’amour est impossible. Tous ont conscience que ce n’est pas parce qu’on a été amis un jour qu’on doit l’être toujours. Que pour finir ensemble, il faut se dire en face les remords, les regrets et les reproches. Il faut en mettre – et s’en prendre – plein la gueule.

    CYNISME ASSUMÉ
    Canet excelle dans ces élans cathartiques. Dans l’écriture comme dans la mise en scène, plus tenues et acérées que sur Les Petits Mouchoirs. Sa satire des rapports humains fait mouche : on y rit souvent jaune et on y humilie plus fréquemment qu’à son tour. Les moments de pure comédie sont plus rares : le film assume son cynisme. Mais s’il cogne, c’est pour mieux caresser. Car quand l’émotion naît, elle ne paraît pas factice. Oui, les êtres humains sont imparfaits, un peu lâches, fourbes et autocentrés, assure ici Canet. Mais il n’y a pourtant qu’une seule façon pour eux de s’en sortir : ensemble. En dépit de leurs lâchetés, de leurs fourberies et de leurs ego. C’est exactement la raison pour laquelle on aime ce Nous finirons ensemble: parce qu’il ne cherche jamais à être aimable et vous attrape par surprise. Et apporte la preuve de l’épaisseur acquise par son metteur en scène, toujours aussi brillant dans sa direction d’acteurs – anciens comme nouveaux venus (José Garcia en concurrent de Max à qui il veut tout piquer : ses restaurants, sa baraque, sa femme...). Et si on leur donnait rendez-vous dans dix ans ?