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Peut-on ressusciter d’Artagnan ? Comment lui redonner vie, après une cinquantaine d’adaptations du roman d’Alexandre Dumas au cinéma ? C’est la question posée de façon très explicite par la séquence d’ouverture de ces Trois Mousquetaires millésime 2023, dans laquelle – on se permet un petit spoiler – l’intrépide Gascon, joué par François Civil, émerge d’un tombeau où il avait été enterré un peu trop hâtivement… Manière pour le réalisateur Martin Bourboulon et les scénaristes Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, non pas d’annoncer une relecture crépusculaire du mythe, mais de signifier qu’il s’agit de le dépoussiérer, de lui donner un souffle nouveau. L’enjeu n’est pas qu’esthétique ou patrimonial : il est aussi industriel, le film portant sur ses épaules la responsabilité de réinventer rien moins que l’idée d’un cinéma populaire français « de qualité », lettré et divertissant, fédérateur et érudit. Vieux refrain, devenu assourdissant à l’heure de la concurrence de Marvel et du streaming. La dernière génération en date à s’être colleté au problème, emmenée par Christophe Gans, avait tenté une approche postmoderne, mixant l’héritage Lagarde et Michard à toute une (contre-)culture BD, psyché, spaghetti, série B… Vincent Cassel, figure de proue de cette école-là (du Pacte des Loups à L’Empereur de Paris), et magnifique ici en Athos fatigué, se charge de passer le témoin à Bourboulon. Celui-ci a opté pour un style, disons, néo-classique : il s’agit de revendiquer l’influence des grandes productions du Claude Berri des années 80-90 en l’investissant d’emprunts, thématiques ou formels, au grand cinéma d’auteur américain contemporain, du Ridley Scott de Robin des Bois au Nolan de Batman begins.
A ce titre, la rencontre entre d’Artagnan et les trois mousquetaires, une baston où les quatre hommes font connaissance, révèlent leurs caractères respectifs tout en embrochant gaillardement les gardes du cardinal, tient lieu de manifeste. Ce plan-séquence lorgnant vers The Revenant (tiens, encore une histoire de résurrection), donne le ton du film : guidé par l’action, les pieds dans la boue, très chorégraphié, fier de son savoir-faire et de sa direction artistique impeccable, cherchant à retrouver la pesanteur historique des écrits de Dumas. Voilà du cinéma fait par des gens qui prennent manifestement autant de plaisir à admirer un beau blockbuster US rutilant le samedi soir qu’à passer le dimanche à la bibliothèque, le nez dans la correspondance de Richelieu.
Le désir œcuménique du film trouve un drôle d’écho dans le jeu des comédiens, qui interprètent tous leur partition selon des tonalités très différentes – sans que ça ne nuise d’ailleurs à la cohérence d’ensemble. D’Artagnan et Constance Bonacieux (Lyna Khoudri) se draguent comme s’ils étaient dans un bar du Canal Saint-Martin ; Eva Green, en Milady comic book, semble sortir d’un Tim Burton ; Pio Marmaï la joue relax, comme chez Klapisch ; Romain Duris a choisi l’option Jack Sparrow, dandy rock ; et Louis Garrel triomphe en Louis XIII enfantin, rougissant de ses propres accents d’autorité. La seule véritable limite de l’entreprise étant qu’à force de vouloir respecter son énorme cahier des charges – rivaliser avec les Américains tout en célébrant le patrimoine, revenir à l’essence de Dumas tout en le modernisant, etc. – le film, intense, sérieux, « concerné », parfois presque professoral, oublie un peu de la légèreté, de l’insouciance, de la notion de pur plaisir, qu’on associe depuis l’enfance à cette histoire – surtout dans un troisième acte qui paraît expédié, rentré au chausse-pied pour ne pas que le tout dépasse les deux heures. Ce sera au deuxième volet – Milady, attendu le 13 décembre – de porter le coup de grâce. Mais la lame est déjà bien aiguisée.