L’acteur-réalisateur analyse son autofiction délirante sur une star en crise (de la quarantaine et de l’inspiration).
Rock’n’Roll de Guillaume Canet sera rediffusé ce soir sur M6, juste après son gros succès Les Petits mouchoirs. Pour l'occasion, nous vous proposons l'entretien que nous avait accordé le réalisateur dans le numéro de janvier-février 2017 de Première.
Jusqu’à présent, tous vos films en tant que réalisateur étaient extrêmement différents les uns des autres. Ça ressemblait presque à une démarche consciente. Rock’n’Roll choisit de renouer avec la veine sarcastique et un peu noire de Mon idole. Vous aviez besoin d’un retour aux sources ?
Je me suis surtout rendu compte que chacun de mes films symbolisait des périodes de ma vie où j’étais en adéquation avec mon instinct. Là, j’avais envie de me marrer, d’un truc léger. Mais peut-être qu’il y a aussi une forme de retour aux sources oui, parce que j’ai débuté dans ce métier en coécrivant les stand-up de Franck Dubosc avec Philippe Lefebvre, au tout début de sa carrière, bien avant qu’il ne soit connu. Et c’était un humour un peu tordu, décalé, grinçant, qui allait devenir celui de Mon idole. Rock’n’Roll est aussi fait de ce bois-là.
Rock'n'Roll : le bûcher des vanités de Guillaume Canet
L’envie de légèreté, c’était pour exorciser les blessures provoquées par votre film précédent ?
J’ai vraiment cru que je n’allais plus jamais faire de films après Blood Ties. J’en avais même très consciemment pris la décision. Bon, les gens sont passés à côté et ça m’a mis d’abord un petit coup. Mais au fil du temps, je me suis rendu compte que ça m’avait plus abîmé. J’ai trouvé ça injuste, d’autant plus que j’aime tout particulièrement ce film, même si on peut lui trouver des faiblesses. Je l’ai fait en refusant la facilité – réaliser la suite des Petits Mouchoirs. J’avais tout remis à zéro en tournant aux États-Unis... J’ai donc commencé à écrire et j’ai arrêté tout de suite parce que c’était colérique, très aigre, et qu’il ne fallait surtout pas se laisser aller à ça. Alors j’ai fait un break : j’ai décidé de faire autre chose de ma vie et de me nourrir différemment. Je me sentais sec. J’ai découvert que je pouvais passer plusieurs mois sans flipper de ne pas tourner et que je pourrais aussi être très heureux en reprenant, par exemple, une carrière pro en équitation. Ma vie ne dépend pas du cinéma. Cette prise de conscience m’a rendu encore plus heureux et libre d’y retourner. D’où certainement le ton de Rock’n’Roll.
Ce projet "aigre", c’était une première version de Rock’n’Roll ?
Non, rien à voir. C’était une sorte de thriller. Le titre était Un homme en colère. Mais c’était bidon. On ne peut pas faire des films pour régler des comptes, ça ne rime à rien. Je suis alors parti sur le projet Rock’n’Roll que j’envisageais au départ comme un tout petit long d’une heure trente, filmé caméra à l’épaule. Et puis c’est devenu beaucoup plus gros. J’avais deux idées en tête dès le départ : réfléchir sur la crise de la quarantaine, le jeunisme, l’angoisse de vieillir à travers le regard d’un homme. Et sur l’égocentrisme, son importance dingue dans le monde contemporain. J’étais au Colisée, à Rome, il y a quelques mois, et les gens prenaient des selfies. Sur leurs photos, on ne voyait rien du Colisée, on ne voyait qu’eux... Je voulais faire un film qui parle de la manière dont les gens se regardent eux-mêmes au lieu de regarder autour. Ça pouvait être amusant de jouer de ma notoriété pour traiter ce sujet-là. Avec tout ce qu’on s’est pris dans la tronche avec Marion – et encore récemment avec toutes ces conneries sur Brad Pitt –, je me suis dis : "Tant qu’à faire, à notre tour de nous amuser un peu cette fois."
Vous n’aviez pas peur qu’à trop vous amuser entre célébrités, Rock’n’Roll devienne un film pour happy few ?
Je ne voulais pas que Rock’n’Roll ne parle que boutique et qu’il ne s’adresse qu’aux gens du cinéma effectivement. Ce n’est pas un film sur la célébrité, en tout cas pas seulement. En parlant de moi, en me servant de mon quotidien avec une actrice célèbre, il me semblait que j’avais le bon catalyseur pour parler des gens qui se regardent trop.
Le risque c’était quand même de donner l’impression d’un monde sous cloche. Tous vos amis sont très connus.
Mais justement : ce n’est pas ma vie, c’est le film. Contrairement aux apparences, j’ai peu d’amis connus.
Mais le film joue là-dessus...
Et il te dit à la fin que tout ce qu’on t’a raconté, ce ne sont que des conneries. Ce monde sous cloche n’existe pas, et c’est là que je voulais en venir. Même si certaines choses sont inspirées de la réalité. Il m’est déjà arrivé de me coucher avec une bouillote aux pieds, par exemple, et j’ai vraiment un sweat Ne le dis à personne. (Rire.) C’est ce qui m’amuse : laisser aux gens le soin de séparer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Et si j’ai bien fait mon boulot, ils devraient comprendre instinctivement ce qui relève de l’autodérision, de la satire et ce qui relève du gros délire.
Il y a quand même une part de provocation dans ce geste-là, dans
le fait, par exemple, de mettre la caméra dans votre chambre et
de nous laisser vous voir péter au lit.
(Il rigole.) Bah, j’ai toujours été assez provoc. Vous savez, les gens ne me connaissent pas. Et si j’aime tant ce film, c’est parce que c’est celui qui me ressemble le plus. J’ai toujours aimé les situations qui sont sur le point de vriller. Certains proches le savent, ma femme par exemple – qui est d’ailleurs assez outrée ou catastrophée par moments. (Rire.) Je me souviens avoir été complètement obsédé par une situation, lorsque j’avais 18 ans, chez ma copine de l’époque. Sa mère était à côté de moi, c’était des gens très bourges, et j’ai développé un toc pendant le déjeuner – parce que, oui, j’ai des tocs – où je voyais le moment où j’allais lui toucher les seins, juste pour voir la réaction que ça allait provoquer à table. (Rire.) J’avais des fous rires tout seul en imaginant la situation. J’ai toujours eu ce genre de comportement. Pour tout. Tout le temps, surtout quand je suis dans des situations guindées, coincées. Et je pense qu’avec l’âge, ça devient super dangereux. Avant, je ne faisais qu’imaginer des situations qui dérapent ; maintenant je commence à dire ou faire des choses qui provoquent de drôles de réactions.
5 choses que vous ne saviez pas sur Guillaume Canet
Vous avez fait ce film pour rectifier l’image que les gens ont de vous ?
La rendre plus juste, plus saillante ?
Non, mais je préfère qu’ils connaissent mes différentes facettes plutôt qu’ils ne se trompent complètement sur moi.
Ça rejoint la méprise qu’il y a pu avoir sur Les Petits Mouchoirs. Les gens l’ont pris pour un feel-good movie, alors que vous cherchiez à pointer certaines choses du doigt.
J’ai beaucoup entendu dire que c’était un truc de bobos parisiens ! Évidemment. Mais c’était tout le propos ! J’ai fait ce film comme une satire de ce milieu. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer ces mecs-là, que je connaissais, avec lesquels j’avais vécu certaines choses, et de leur tendre un miroir déformant. C’est ce cynisme qui m’intéressait.
Et que 5 millions de personnes aient aimé le film, sans forcément relever l’aspect critique, ça vous ennuie ?
Ah non, tant mieux.
Tant mieux ?
Je suis ravi que les gens aient aimé Les Petits Mouchoirs. Ce qui est important dans un film, c’est que les spectateurs puissent y voir ce qui leur plaît. Que la prétention du metteur en scène ne se mette pas en travers pour leur dire : « Il faut que tu penses ça. » C’est pour cette raison que j’aime lire les cri- tiques – je dis que je ne lis jamais les critiques, mais je ne lis pas les critiques sur mes films, nuance. Les bonnes critiques mettent le doigt sur quelque chose que je n’avais pas forcément vu et c’est formidable...
Ce qui est étonnant, c’est de panser cette blessure en enchaînant sur
un autoportrait où vous vous moquez de vous.
J’ai vécu avec cette souffrance, mais je n’ai pas voulu m’enfermer dedans. Ce film-là, je l’ai d’abord fait avec insouciance et inconscience. Cela m’ennuierait que Rock’n’Roll soit envisagé exclusivement à l’aune d’une lecture psychologique. C’est d’abord un gros délire ! Je pense aussi que c’est une manière de dire que je n’ai plus peur de tout ça, que je me fous de l’image que l’on peut avoir de moi. C’est une manière de dire : "Même pas mal." J’ai voulu aller plus loin, mettre la main encore plus dans le feu. J’ai passé le film à déconner sur l’idée que j’allais vraiment me prendre le mur. Ce matin, j’ai validé le making of dans lequel, à un moment, Marion me dit : "Tiens, je crois que c’est mon dernier jour de tournage", et je lui réponds : "Tiens, je crois que c’est vraiment mon dernier film." (Rire.)
Puisque vous parlez d’elle, c’est assez stupéfiant ce que vous demandez à Marion Cotillard. Elle le fait avec
un lâcher-prise total, comme souvent. Mais là, elle est vraiment hilarante, ce qui est plus rare...
Quand elle s’investit dans un truc, elle ne se pose aucune question. Tu peux tout lui demander, c’est une comédienne unique. Dans le film, il y avait une scène où je lui faisais même une vanne sur sa mort dans The Dark Knight Rises. Elle la rejouait et c’était à mourir de rire. Mais je l’ai virée, parce qu’on en a ras-le-bol de cette histoire, non ?
Si...
Bon, mais je reviens dessus quand même. Les gens ne comprennent pas que lorsque l’on réalise un film, il faut une confiance dingue dans le metteur en scène. Si on travaille de la même manière que Marion, il n’y a pas deux prises qui se ressemblent. Elle essaie tout. Du coup, le tournage est un moment de construction et de recherche. C’est un laboratoire. Mais si, ensuite, le réalisateur ne choisit pas la bonne prise, comme l’a fait Christopher Nolan, c’est catastrophique pour l’acteur. Et cette scène en est le meilleur exemple. Cette histoire m’a vraiment blessé. Je souffre beaucoup plus que Marion des attaques qu’elle subit. C’est mon côté justicier.
Quand on vous écoute parler, on se dit que, décidément, Rock’n’Roll aurait pu s’intituler Un homme en colère...
(Rire.) Oui, c’est possible. Mais le film lui n’est pas en colère, nuance. Il y a un regard cynique et satirique sur ce qu’on vit aujourd’hui, mais jamais de colère. Ça me gonfle qu’on vienne me demander de faire un selfie sans me dire bonjour. Les mecs ne te calculent même pas. Pas un échange, pas un regard. Rien. Parfois, je les arrête en leur disant : « Tu veux pas qu’on parle ? Tu veux pas qu’on discute ? Qu’est-ce qui t’intéresse ? » Parce que même une photo de moi, ça ne les intéresse pas. Ce qu’ils veulent c’est une photo d’eux pour mettre sur Facebook ou Instagram. Dès qu’il y a eu des appareils photos sur les portables, c’était fini. Avant, les gens ne se baladaient pas tous avec leur Leica ! Tu sors boire un verre, tu passes ta soirée à faire des selfies avec les gens. C’est une nouvelle manière de consommer la célébrité et de se faire consommer. D’appartenir aux gens.
Les Recettes pompettes avec Guillaume Canet
Mais quand on fait du cinéma,
on décide de fait d’appartenir
aux gens, non ?
Quand tu réalises des films, oui. Mais il faut faire la part des choses entre le moment où on fait du cinéma et le reste. Ma vie privée ne regarde personne. Quand je vais dîner en famille dans un restaurant, avec ma femme et mon fils, ça n’est pas pour passer mon temps à faire des photos, ou alors les gens n’ont aucune décence. Quand je fais une tournée en province, que je présente le film et que je reste une heure et demie après le débat pour faire des photos avec le public, parler avec lui, c’est parce que j’estime que j’en ai fait la démarche, que je lui dois ça et que c’est super agréable de rencontrer les gens dans ce contexte. Bon, on sort vraiment du sujet du film là... Rock’n’Roll ne parle pas de ça. Le seul « message », si vous en cherchez vraiment un, serait : « Ne croyez pas tout ce qu’on dit sur nous. » Et pour ça, il faut leur faire croire que ce qu’on leur raconte au début est vrai, c’est-à-dire Guillaume Canet, Marion Cotillard, chez eux dans leur appartement, avec le petit...
Finalement, on en revient toujours
à la même chose : votre envie
de dialoguer avec les gens.
C’est vraiment pour ça que je fais ce métier, pour dialoguer avec les gens, pour avoir un échange, partager. Donner du plaisir, tout en essayant de dire des choses qui m’intéressent.
Mais ce que les gens veulent,
c’est Les Petits Mouchoirs 2.
C’est vrai ! C’est ce qu’ils me demandent. Souvent.
Et, du coup, vous allez le faire ?
J’y réfléchis... De toute façon, je n’ai jamais réussi à écrire un film sans avoir sorti l’autre. Alors, attendons la sortie de Rock’n’Roll.
Rock'n'Roll de et avec Guillaume Canet sort ce 15 février dans les salles. Bande-annonce :
Guillaume Canet : "Les héros de Nous finirons ensemble reflètent mes imperfections"
Commentaires