Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2020 du festival du film francophone
Le film : Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret
Le coup de foudre, les liens qui se font et se défont au hasard des rencontres, les remords, les regrets… Avec son dixième long métrage Emmanuel Mouret raconte le sentiment amoureux avec ce mélange de douceur et de cruauté qui fait toute sa singularité. Et signe, au fil des chassés- croisés amoureux qui le composent, son film le plus abouti, le plus fluide, le plus léger, le plus profond et le plus brillant. On y suit ainsi Daphné, enceinte de trois mois, qui accueille dans sa maison de vacances Maxime, le cousin de son compagnon François qui a dû s’absenter pour son travail. Daphné et Maxime ne se sont jamais rencontrés. Et, d’abord un peu intimidés, ils vont faire connaissance et assez vite se livrer au petit jeu des récits intimes sur leurs histoires d’amour d’hier et aujourd’hui
Commence alors un récit en flashbacks et flashforwards d’une fluidité jamais prise en défaut. Chaque histoire qui y est développée, chaque coup de foudre, chaque attirance pour un ou une autre que l’être aimé(e), chaque souffrance, chaque rupture y sont racontés, développés, partagés avec un art du rebondissement et de ne rien n’y laisser paraître. Les dialogues brillants de Mouret et sa mise en scène virtuose de délicatesse font écho à la retenue de ses comédiens. Chez Mouret, quasiment aucune trace de ces engueulades éruptives qui donnent un grand coup de balai à une histoire d’amour pour mieux aborder la suivante. Chez lui, les histoires d’amour sont comme des cicatrices qui ne s’effacent jamais et construisent les couples à venir. La violence et la douleur ressenties sont d’autant plus fortes que ses personnages refusent l’affrontement. Pas par lâcheté mais par éducation, parce qu’ils ont été habitués à lutter contre la violence de leurs désirs pour ne pas (trop) abimer l’autre. Sans réaliser que ce faisant, la cruauté peut n’en être que plus insoutenable.
Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait est un grand film sur les désirs inconciliables de nos vies, symbolisés par le fil rouge de son récit : peut- on désirer tout à la fois le cousin de son compagnon et être quelqu’un de bien ? Tout y est à la fois extrêmement naturel et écrit avec un sens littéraire imparable. Ces mots et ces situations, chacun de ses interprètes les dévore et les savoure avec un plaisir contagieux. Des interprètes qui traduisent l’absence de tout esprit de chapelle chez Mouret. Sa famille de cinéma ne ferme la porte à aucune autre, de Camelia Jordana à Niels Schneider en passant par Vincent Macaigne, Emilie Dequenne, Guillaume Gouix, Jenna Thiam ou Julia Piaton. Avec un point commun qui les relie tous : on ne les a jamais entendus parler comme ça. Avec ce mélange de retenue et d’intensité qui font la puissance tranquille et la saveur gourmande du Mouret cinematic universe. Aujourd’hui comme hier. Aujourd’hui encore plus qu’hier.
L’actrice : Emmanuelle Béart dans L’Etreinte
L’émotion était palpable ce soir quand Dominique Besnehard, le big boss du festival d’Angoulême a appelé sur scène l’équipe du premier long métrage de Ludovic Bergery. A commencer par son interprète principale, Emmanuelle Béart, dont il fut le premier à lui faire passer des essais (pour Pirates de Polanski… qu’elle déclina). L’émotion était palpable car elle accompagnait le grand retour d’Emmanuelle Béart après 9 années loin du grand écran, consacrées au théâtre. « J’avais fini par me persuader que je ne saurais plus jouer au cinéma » explique la comédienne. Comme si elle en avait fait son deuil. Et puis Ludovic Bergery est arrivé. Avec un film sur un personnage, elle aussi à un moment crucial de sa vie. Elle s’appelle Margaux. Elle s’est mariée très jeune avec un homme plus âgé qu’elle, avec qui – comprend- on vite elle n’avait plus de relation charnelle depuis longtemps – et qui vient de mourir. La voilà donc confrontée au deuil tout comme à une certaine liberté retrouvée. Mais redonner vie à son désir et réapprendre à désirer l’autre n’a rien d’un long fleuve tranquille. Ludovic Bergery le raconte ici dans un parfait mélange de pudeur et de crudité, d’humour et de tristesse. Un sublime portrait de femme debout, comme vivant une nouvelle adolescence mais chargée d’un passé qui pèse des tonnes. Le scénario n’est jamais condescendant avec son personnage. Et son regard de cinéaste sur celle qui l’incarne obéit à la même logique. Il n’a nul besoin de pousser dans ses retranchements Emmanuelle Béart tant elle maîtrise son sujet jusque dans ses moindres fêlures. Et comme spectateur, quel bonheur de reprendre le fil d’une conversation arrêtée 9 ans plus tôt et qui relie la Manon de Claude Berri, la Nathalie d’Anne Fontaine, la Marie des Enfants du désordre, la Marianne de La Belle noiseuse, l’Ingrid de J’embrasse pas, la Camille d’Un cœur en hiver ou la Nelly si chère à Monsieur Arnaud. Toutes ces femmes l’ont conduite vers Margaux. Et voir une comédienne à ce point s’abandonner émotionnellement et physiquement mais sans jamais perdre le contrôle se révèle particulièrement fascinant. Courez l’admirer le 3 février.
Les révélations : Anna Cazenave Cambet et Tallulah Cassavetti pour De l’or pour les chiens
Les festivals ont ceci de passionnants qu’au gré de leur programmation se tissent entre des films des liens inattendus. Comme ceux qui unissent L’Etreinte et ce De l’or pour les chiens. Dans L’Etreinte, Margaux se réinvente. Devant la caméra de Anna Cazenave Cambet, Esther, 17 ans, s’invente, se cherche, se cogne, se construit. Toutes deux finiront par s’accomplir. Mais toutes deux le feront surtout sans dépendre d’un regard d’approbation d’un homme. Une tendance qu’on a pu constater grandissante cette année à Angoulême et la preuve que l’écriture des rôles féminins change en profondeur dans le cinéma français. Mais revenons plus précisément à De l’or pour les chiens qui offre aussi un vrai voyage en terres de cinéma. Il s’ouvre comme 37°2 le matin (une scène de sexe comme pour donner le la : commencer par ce qui constitue généralement la conclusion d’une coming of age story) et voit passer sur son récit les ombres de Sans toit ni loi d’Agnès Varda, d’Un poison violent de Katel Quillévéré, du Hadewijch de Bruno Dumont… Des ombres jamais écrasantes tant la puissance du cinéma d’Anna Cazenave- Cambet vous saisit dès son premier plan pour ne plus vous lâcher. Elle signe ici un sublime portrait de jeune femme, à l’appétit de vivre, de sexe et d’amour dévorant, qui va la conduire des bras d’un garçon qui ne la mérite pas à une fascination pour une jeune religieuse dans un couvent dont elle a poussé les portes, une nuit d’errance. Du cinéma sensoriel, en mouvement qui permet au spectateur de se projeter en Esther, quel que soit son âge ou son sexe. Et une apparition : Tallulah Cassavetti. Pour son premier rôle, elle livre une composition époustouflante, parvenant magnifiquement à traduire par son corps, son visage et son regard la métamorphose de son personnage. A voir au cinéma le 25 novembre.
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