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Les polémiques ? La Vie d’Adèle connaît bien. Dès le début, c'était clair : le thème - une relation amoureuse entre deux jeunes femmes - allait remuer l’opinion. 6 mois après, on se rend compte que le sujet n’est malheureusement pas le seul sujet de discussion. Le film a soulevé un grand nombre de controverses et, au moment où Kechiche et ses actrices se déchirent devant la presse internationale, Première a compilé toutes les histoires qui ont accompagné la sortie du film palmé d’Abdellatif Kéchiche. Avec une précision : ne pas oublier que, au-delà des polémiques, La Vie d’Adèle est un pur chef d’œuvre. Des techniciens en colère23 Mai 2013, La vie d’Adèle est présenté au Festival de Cannes. Mais l'événement n'a pas lieu que sur l’écran. Ca bouge aussi dans la rue et dans la presse : une manifestation se déroule devant le palais peu avant la projection du film et un communiqué du Spiac-CGT (le syndicat des professionnels de l’industrie de l'audiovisuel et du cinéma) dénonce les conditions de travail pendant le tournage du film et relaie les plaintes des ouvriers et des techniciens du Nord-Pas de Calais. Dès le lendemain, c’est le site web du journal Le Monde qui met en ligne un article laissant la parole aux intermittents. Les attaques sont rudes, dénonçant de nombreuses entorses au Code du travail. Des journées de plus de 16h, un tournage prolongé de 3 mois, des heures supplémentaires non-payées, l’absence de planning, des pressions de toutes sortes qui confinent au harcèlement moral mais aussi de nombreux départs en cours de route… autant de révélations qui arrivent (hasard ?) au moment de la discussion tendue entre syndicat et patronat sur la convention collective du cinéma. La vie d’Adèle devenait, à ce moment-là, un bon moyen – très opportun voire opportuniste - pour le syndicat de défendre sa cause tout en mettant en avant ceux que l’on entend rarement : les intermittents. Le Kéchiche bashing commence. Classé X ?Histoire d’amour entre deux femmes, La Vie d’Adèle est illustré de scènes de sexe frontales et notamment une scène de 6 minutes très explicite. A tel point que la plupart des spectateurs cannois se sont demandés s’il s’agissait de scènes simulées. A la sortie des salles, certains spectateurs faisait même part de leur indignation, comparant l’œuvre de Kéchiche à un porno. L’une des premières à avoir manifesté ses réticences n’est autre que Julie Maroh, l’auteur de la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude, dont s’inspire le film. Elle les compare à « un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn » et qui l’a « mise très mal à l’aise ». Un peu plus tard, les actrices expliqueront au magazine Première que découvrir ces scènes dans la salle du théâtre Lumière était « embarrassant » et que la séquence est beaucoup trop longue à leurs yeux. Forcément, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos sont revenues sur la façon dont ces scènes ont été tournées. Et… Non, les scènes de sexe ne sont pas réelles, comme elles le disent en citant Kéchiche : « Quand on meurt dans un film, on ne meurt pas dans la vie ». Ici des moulages ont été utilisés et tout était simulé. Mais, comme elles le précisent, « Il fallait y aller » car 10 jours auront été nécessaires au réalisateur perfectionniste pour mettre en boite sa séquence. 10 jours de nudité devant une équipe de tournage à enchainer les positions plus que suggestives. « C’était Koh Lanta ! », résume même Adèle. Résultat ? Le film bénéficie d'une interdiction moins de 12 ans agrémentée d'un avertissement - on est tout de même loin d'Un dernier tango à Paris...Rancoeurs à l'ouvrage« Je pense que Kechiche a un immense respect pour les comédiens. Mais pas pour les techniciens » expliquait, avec amertume, un des intermittent dans le papier du Monde sorti pendant Cannes. Une déclaration qui prend encore plus de sens quand les festivaliers découvrent que La Vie d’Adèle est projeté sans générique de fin. Ce noir final, les techniciens le prennent comme une insulte supplémentaire. Et ce malgré l’explication officielle selon laquelle le film n’était pas encore finalisé pour sa présentation cannoise. L'ennui, c'est que le réalisateur ne remerciera pas ses techniciens lors de son discours après l’obtention de la palme d’or. Seules les actrices les mentionneront alors qu’elles aussi ont été gentiment oubliés dans le discours de Kéchiche. Autre évincée de cette soirée ? Julie Maroh, qui ne s’est pas gênée pour le faire remarquer dans un billet un peu amer sur son blog : « Je tiens à remercier tous ceux qui se sont montrés étonnés, choqués, écœurés que Kechiche n’ait pas eu un mot pour moi à la réception de cette Palme. Je ne doute pas qu’il avait de bonnes raisons de ne pas le faire, tout comme il en avait certainement de ne pas me rendre visible sur le tapis rouge à Cannes alors que j’avais traversé la France pour me joindre à eux, de ne pas me recevoir – même une heure – sur le tournage du film, de n’avoir délégué personne pour me tenir informée du déroulement de la prod’ entre juin 2012 et avril 2013, ou pour n’avoir jamais répondu à mes messages depuis 2011. Mais à ceux qui ont vivement réagi, je tiens à dire que je n’en garde pas d’amertume.» Car elle nuance : «Il ne l’a pas déclaré devant les caméras, mais le soir de la projection officielle de Cannes, il y avait quelques témoins pour l’entendre me dire Merci, c’est toi le point de départ en me serrant la main très fort ». La réputation d’un Kéchiche ingrat, perché dans sa tour d’ivoire et tout entier dédié à son grand œuvre commence à s’installer… Un film gay ? Non, un film joyeux !Résumer La Vie d’Adèle à un long-métrage sur l’homosexualité serait réducteur et faux. Le film d’Abdellatif Kéchiche parle d’amour, d’une histoire d’amour - mieux de L’Amour. Du coup, peu importe le sexe des protagonistes. « Durant toute la fabrication du film, je ne me suis jamais posé la question : « ah oui, ce sont deux femmes… ». J’avais plus le sentiment de traiter, de raconter l’histoire d’un couple, du couple. La problématique de l’homosexualité, je ne voyais pas pour quelles raisons je l’aborderai spécialement… » explique le réalisateur dans le dossier de presse. Pourtant, impossible d’ignorer le fait que les deux personnages principaux sont des lesbiennes (et une scène très forte du film où Adèle se fait insulter par ses amies le rappelle même explicitement). Si certains, connus pour leur position anti-mariage gay (enter Christine Boutin), ont mal réagi à cette palme d’or, la plupart des critiques ont relayé le discours du cinéaste et de ses actrices… Et pour le distributeur, c’est un autre problème… Ce dernier, ne voulant pas parier sur des thèmes clivants et souhaitant ramener TOUS les publics en salle, n'a qu'un objectif, expliquer que La Vie d’Adèle est un film pour tous. La bande-annonce avait donné le ton : de la relation entre Emma et Adèle, on ne voyait qu'un chaste baiser. Le reste du temps, la jeune Adèle traîne avec ses amies, couche avec un garçon et regarde sa montre en classe. Si on pouvait penser que l’objet de ce trailer était de ne pas trop en dévoiler, l’affiche, sortie cette semaine, vient enfoncer le clou : il faut minimiser l’aspect gay du film. Le poster (qui s’est attiré beaucoup de critiques sur le web) promet un film lumineux, girly et finalement très soft. Confessions d'actrices« Voudriez-vous retravailler avec Abdellatif Kéchiche ? ». «  Non ». « Je ne pense pas ». La réponse a le mérite d’être claire. Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos ont été très franches avec le Daily Beast : il n’est plus question pour elles de travailler à nouveau avec le réalisateur de La Vie d’Adèle.  « Horrible », « Dans un sens, vous êtes pris au piège », les termes que les jeunes femmes emploient pour parler du tournage ne sont pas tendres. Dans les multiples interviews, les deux actrices expliquent en long, en large et en travers, l’épreuve que fut pour elles ce tournage prolongé de 3 mois. Violence physique, absence d’intimité, humiliations et épuisement sont les éléments qui en ressortent. Elles n’ont pas besoin de le dire mais visiblement, Kéchiche se serait comporté comme un tyran. Un bourreau, certes, mais un aussi un grand artiste. Comme le précisent les filles, « Kéchiche est un génie mais il est torturé » et elles lui sont reconnaissantes. Elles affirment ainsi avoir beaucoup appris lors de ce tournage et que celui-ci les a fait grandir en tant qu’actrices. Comme le résume Léa dans Première : « On en a bavé, mais ça valait la peine ». Règlement de comptes…Abdellatif Kéchiche est sorti de sa réserve… C’est surtout à Léa Seydoux que le cinéaste s’en prend en disant que s’il avait prolongé le tournage, c’était pour elle car elle n’aurait pas su entrer dans le rôle. Mais deux autres remarques semblent en dire plus qu’une simple réaction d’homme blessé. Derrière les phrases « Si Léa n'était pas née dans le coton elle n'aurait jamais dit ça » et « Léa Seydoux fait partie d'un système qui ne veut pas de moi car je dérange » sous-entendent également la vindicte du réalisateur contre les grosses boites de production françaises. En effet, Léa Seydoux n’est autre que la petite-fille de Jérôme Seydoux, le président de Pathé. Or, Pathé avait produit La Graine et le Mulet et ce grâce à un contrat fait entre Claude Berri et Kéchiche qui prévoyait 3 films. Mais à la mort du mogul, cet accord est tombé à l’eau. Officiellement pour des raisons de méthode de travail. Mais le cinéaste l’a visiblement gardé en travers de la gorge. Et sa seconde expérience avec une major française, (MK2, pour La Vénus Noire), ne s’est pas non plus très bien soldée, puisque Kechiche et Karmitz se quittent brouillés (un film qui n’a finalement jamais vu le jour). De ces déboires, le réalisateur a gardé une certaine méfiance et un profond ressentiment. Résultat, en 2011, Kéchiche devient producteur en créant sa propre boite, Quat’sous Films, afin de lancer de jeunes cinéastes mais aussi d’avoir un contrôle sur ses propres films. Et la roue tourne puisqu’avec Wild Bunch, co-producteur de La Vie d’Adèle, les rapports sont très bons. Tellement que le réalisateur a remercié Vincent Maraval, fondateur de Wild Bunch, et Brahim Chioua, directeur général de Wild Bunch, dans son discours à Cannes. Et ce dernier le lui rend bien : « La différence entre les deux, c’est que je pense que Claude Berri était meilleur producteur que réalisateur. Kéchiche, c’est le contraire » dit-il avec malice dans So Film. Prêt pour un autre ?Perrine Quennesson