Rencontre pleine d’anecdotes avec l’écrivain star de Hollywood.
A l'occasion de la rediffusion de Mystic River, ce soir sur Arte, nous repartageons notre entretien avec Dennis Lehane, que nous avions rencontré au moment de la sortie de Live By Night, de Ben Affleck (2017). Génie du polar contemporain, il est surtout devenu en quelques années un totem du film noir hollywoodien. Balade en compagnie de l’écrivain entre les adaptations les plus marquantes de ses bouquins et son travail de scénariste.
Zoe Saldana et Sienna Miller disent tout sur Live by Night
Clint Eastwood – Mystic River
« Premier vrai job à Hollywood et ce fut une chance phénoménale… C’est clean de travailler avec Clint. Pas d’atermoiement. Pas d’hésitation. Il part faire un job et il le fait. Je me souviens avoir discuté avec Sean Penn un mois avant le tournage. Il m’avait dit : « ce genre de film, sur le terrain, avec ce budget et ces stars ? En 42 jours ? Ca n’arrivera jamais. Jamais ». Clint a tourné Mystic River en 39 jours. Malpaso style (rires). Et le résultat est une réussite ! Laura Linney ! Je ne comprenais pas ce qu’il voyait en elle mais quand j’ai découvert le film, j’ai su. Il avait capté la « normalité » de son visage. Elle a une beauté rassurante, quelque chose qui donne confiance. C’est parfait pour Annabeth. Son regard final est choquant, nécessaire, et on se rend compte, tout à coup, par la seule puissance de cette image, qu’elle a toujours été là. »
Martin Scorsese – Shutter Island
« Je crois que ce qui a intéressé Scorsese dans le livre c’est l’idée de la répression et le personnage fou à lier. D’ailleurs, c’est ce que vient chercher Hollywood : certainement pas l’originalité des histoires - à part Shutter Island, je n’ai rien écrit de très original – mais des pièges à acteurs. Les acteurs veulent jouer les personnages que je crée dans lesquels ils peuvent se glisser, donner un peu d’épaisseur et de complexité… Et la force de Marty, c’est précisément sa relation avec les acteurs. Il construit un mur entre eux et le reste du monde. Ils sont dans un autre monde. C’est magnifique à voir. Et c’est ce qui fonde son cinéma. Du coup, comme tout s’organise autour de ce lien privilégié, on n’a jamais l’impression que le tournage est gargantuesque ou « hollywoodien »… De fait, j’étais moins présent, parce que je sortais de Mystic River et que, honnêtement, il n’y a pas d’endroit plus ennuyeux qu’un tournage si tu n’es pas impliqué. L’auteur a juste l’impression d’être inutile, ce qui n’est pas très agréable. Léo, l’ambiance très B, la radicalité et l’étrangeté : j’aime le film pour toutes ces raisons. »
Boardwalk Empire
« J’étais producteur consultant sur Boardwalk. J’ai écrit quelques scripts. Une belle expérience. Quand tu travailles avec les bonnes personnes pour un bon network c’est toujours enrichissant. Et Terrence Winter est un type bien. La mafia, l’époque, les personnages… les liens entre Live By Night et Boardwalk sont évidents. D’ailleurs, la première saison est sortie au moment où je commençais à penser à Live By Night. J’ai vite paniqué parce que je ne pouvais plus décemment écrire sur des bootleggers de la cote Est à cause du show. Comment raconter mon histoire alors que Scorsese et HBO débarquent avec une série sur la même période et le même sujet ? La solution a été très vite évidente : personne ne s’était intéressé au Rhum. Le Sud. Cuba, la Jamaïque… C’est comme ça que mon livre a pris forme, alors rien que pour ça : Merci Boardwalk. Après, HBO m’a proposé de travailler sur une saison. Pour l’anecdote, un scénariste un peu zélé avait proposé une sous-intrigue dans laquelle un privé partait enquêter sur le trafic de Rhum en Floride. C’était un « hommage » évident à Live By Night que je venais de terminer. J’ai expliqué que c’était le sujet de mon livre et qu’il valait mieux laisser tomber. On ne m’a pas écouté. »
Ben Affleck - Gone Baby Gone
« Ben, c’est Boston. Même dans Live By Night qui pourrait symboliser notre exil, notre départ de la ville – nous sommes tous les deux partis sur la cote Ouest. De toutes mes adaptations, Gone Baby Gone est ma préférée parce qu’elle comprend Boston de l’intérieur. C’est fait par quelqu’un qui vient de là. Les autres sont réalisées par des gens qui plongent dans la ville mais restent toujours un peu à côté – il subsiste toujours un aspect « anthropologique ». Ils regardent à l’intérieur de la maison, mais par la fenêtre. Ben, lui, est un insider… »
Michael Roskam - The Drop (Quand vient la nuit, en VF)
« C’est une longue histoire, j’avais un bon sujet mais je n’arrivais pas à trouver le format pour bien l’exploiter… nouvelle ? roman ? Alors j’en ai fait un script. Comme toujours ça se passait à Boston, mais les producteurs sont venus me voir en me disant “c’est sympa, mais Boston ça commence à bien faire. Tu es victime de ton propre succès“. Et ce n’était pas complètement faux : la criminalité white trash de Boston commençait à être un cliché des films noirs – ça allait de Gone Baby Gone aux Infiltrés… Je me suis demandé où je pouvais situer le récit et quelqu’un a dit Brooklyn. Je me suis renseigné, j’ai regardé à droite et à gauche ; ça collait. Et voilà comment j’ai fait mon premier polar new-yorkais… »
Ben Affleck - Live By Night
« Pour Live By Night, Ben a éliminé beaucoup de choses du roman – la partie sur la révolution cubaine, toute la scène où les héros volent le bateau militaire… deux passages qui étaient très « cinéma » pour moi et qui auraient pu avoir leur place. En revanche, que Ben et ses scénaristes aient enlevé le passage en prison, je trouve ça normal. Si j’avais écrit le script, je l’aurais enlevé aussi sec ! Elle n’a du sens que s’il s’agit d’une coming of age story, ce qui n’est plus le cas. Dès le début, Ben faisait des blagues sur le fait d’interpréter le héros. Avant Ben, ca devait être Leo DiCaprio. Et Leo ou Ben, dès que l’un des deux devenait le personnage principal, on perdait forcément l’idée du voyage initiatique, on ne pouvait plus le regarder grandir. Mais j’adore que Ben ait gardé à la virgule près tous mes dialogues. Il avait compris que ce ne sont pas seulement des mots : c’était aussi mon hommage à la manière dont les gens parlaient à l’époque et dans les films RKO. Ils fonctionnent comme de la production design. Je suis content qu’il ait gardé ça parce que c’est ce que j’ai fait de mieux. Je voulais que ce roman sonne « romantique ». Les dialogues devaient refléter ça : ne pas être réalistes, mais riches, excessifs, dramatiques. Quand j’ai vu le film la première fois, j’ai vu la scène du diner avec Brendan Gleeson et je me suis dit que c’était exactement comme ça que j’avais entendu certaines phrases en les écrivant. Je suis un peu midinette… Certains acteurs… s’ils n’existaient pas j’aurais aimé les inventer et Brendan en fait partie. Je sais que je suis né pour écrire des phrases qu’il doit prononcer. Chris Cooper, pareil ! La scène « ne m’appelle plus jamais par mon nom de baptême ! » Ca sort de nulle part. C’est tellement naturel. Il y a tellement de douleur ! C’est de la fierté, derrière laquelle on décèle le sentiment de la perte…
David Simon – Sur Ecoute / The Wire
« David Simon était un ami. A l’époque de The Corner, il m’avait dit : « HBO m’a commandé une série de flics ; je crois qu’ils ne savent pas à quoi s’attendre… ». Il était persuadé que les scénaristes télé n’étaient pas bons. Ou plutôt qu’ils écrivaient de la merde. Il ne voulait pas de TV writers dans son équipe. Quand il a lancé Sur Ecoute, il s’est donc tourné vers des écrivains. Il a imposé George Pelecanos sur la saison 1, Richard Price sur la 2, etc. Mais c’est à George qu’on doit d’avoir légitimé cette démarche. Il a tout explosé avec l’épisode 4 de la première saison, l’épisode dans l’appartement. Avec ça, avec ce chef-d’œuvre d’écriture, David a tout de suite pu montrer que son idée était la bonne. Il n’y a pas eu d’égo. Pas de prise de tête. On faisait un show qui ne marchait pas et HBO envoyait des signaux qui disaient : « si on trouve mieux pour remplacer votre show, on ne se gênera pas. En attendant continuer avec votre truc sur Baltimore ». On pensait vraiment que la saison 4 serait la dernière et c’est sans doute pour ça que c’est la meilleure. C’était direct. Evident. Rapide. Comme chez Malpaso. D’ailleurs, sur les séries de David comme chez Clint, il y a des règles. On ne court pas. On ne crie pas. On suit ces règles. On avance. »
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