Avec Green room, Jeremy Saulnier organise un terrifiant huis-clos qui oppose un groupe de musiciens punk à une bande de militants nazis.
Le cinéaste s’explique sur ce qui change et ce qui ne varie pas par rapport à son premier film Blue ruin, qui l’avait révélé en 2013.
Première : Blue ruin était un film de vengeance, celui-ci est un film de survie. Etait-ce l’idée que vous aviez en tête?
Jeremy Saulnier : Je pensais plutôt à un film de siège, dont je voulais vraiment transposer les conventions dans le monde du punk rock. C’est un milieu que je connais pour l’avoir fréquenté. Une chambre verte est l’endroit où attendent les musiciens avant de monter sur scène, et j’ai pensé que ce serait un endroit génial pour situer un film de ce genre. Ces lieux sont souvent isolés, loin du monde, et il était intéressant d’imaginer ce qui pourrait s’y passer une fois piégé dedans. L’esthétique punk et la jeunesse du public de cette musique étaient des éléments clé pour rafraîchir le genre, permettant de s’éloigner des standards hollywoodiens. Et je pouvais exploiter l’énergie et la vigueur de la scène punk et l’injecter dans le genre.
Vos musiciens prennent la posture de punks hardcore, mais l’épreuve fait tomber les masques : lorsque le moment est venu de parler vrai, ils avouent que leurs disques préférés sont des classiques pop que tout le monde connaît. C’est aussi ce qui les rend sympathiques et universels.
Souvent, quand je regarde un film d’action, ou de super héros, je perds l’intérêt au 3ème acte parce qu’il est programmé pour délivrer la scène obligatoire de démonstration pyrotechnique. Ce recours systématique à la formule m’ennuie au plus haut point. Je voulais m’en démarquer, et observer comment la situation allait évoluer, d’une façon très intuitive. Et bien que j’accorde à mes personnages quelques menues victoires, l’épreuve qu’ils subissent relève du matraquage constant. Je voulais que le public le sente et fasse l’expérience de cette nuit terrifiante à travers leurs yeux. Et pour y arriver, il fallait les dépouiller, les rendre très humains et vulnérables. C’est une obsession chez moi, mais je veux voir des gens réalistes au cinéma. Un jour, je ferai peut-être un film de tueur à gages invincible, mais maintenant, j’ai envie de voir des gens ordinaires dans des situations extraordinaires pour voir comment ils se comportent.
C’est ce qui fait penser aux Chiens de paille (de Sam Peckinpah), où des gens normaux sont obligés de faire ce dont ils ne se seraient jamais crus capables pour survivre.
Les chiens de paille était une influence bien plus que n’importe quel film d’horreur. Il est ancré dans la réalité. Mon film comporte un peu plus d’horreur à cause de la nature de l’environnement. Quelqu’un qui a vu une version de travail a parlé d’un film de maison hantée, et ça n’est pas inapproprié.
A quel point les nazis du film sont-ils proches de la réalité?
Quand je jouais du rock punk dans les années 90, on voyait des quantités de nazis. J’étais très étonné de la tolérance dont ils bénéficiaient quand ils se promenaient dans la rue avec leurs croix gammées et leurs tatouages. Déjà, à l’époque c’était surréaliste, et ça peut paraître encore plus anachronique aujourd’hui. Hélas, non seulement ils sont encore d’actualité, mais il y a une recrudescence d’organisations suprémacistes et de groupes haineux en Amérique. Sans compter les partis politiques d’extrême droite qui prospérent actuellement en Europe et dans le monde. Il se trouve que la côte pacifique nord-ouest, où nous avons tourné, est un nid pour certaines de ces grandes organisations.
Vous avez déclaré avoir tout mis dans le script de Blue ruin, à la différence de celui-ci. Qu’est-ce que vous vouliez dire par là ?
C’est un raisonnement purement économique. Pour Blue ruin, j’ai fait le compte de mes ressources et j’ai construit le film en fonction de celles-ci. J’ai utilisé la voiture de mes parents devant leur maison, j’ai demandé à mon meilleur ami de jouer le rôle principal, la propriété de son cousin nous a servi pour deux décors importants. Alors que pour Green room, j’ai adapté les ressources au script. Tout a été construit sur mesures, j’avais presque honte de voir la somme de travail nécessaire pour que mon projet devienne une réalité. La salle de concert a été entièrement construite sur un plateau, ce qui, en terme d’échelle, me donnait l’impression de faire un film hollywoodien. Mais j’ai beaucoup appris. Vous ne voulez jamais que les gens devinent comment vous avez fait. De ce point de vue, je crois avoir réussi. On avait l’impression d’un vrai endroit, nous avons filmé l’histoire à un rythme très rapide (le film dure 96 minutes), et j’étais presque triste que personne ne se rende compte de ce que ça représente techniquement de faire en sorte que ça ait l’air aussi simple. C’était tout sauf ça.
Avez-vous opéré la caméra ?
Pas cette fois ; je l’avais fait pour Blue Ruin et mon précédent film, mais pour celui-là, ç’aurait été trop. Il y avait tellement de choses à régler, tant d’acteurs, de cascades, d’effets spéciaux, de maquillage,… Si j’avais dû en plus garder mon oeil dans le viseur tout le temps à essayer de régler la lumière, je n’aurais pas pu porter ce fardeau. Donc, c’était bon d’avoir un DP à bord. On a fait des tests caméra, des tests de lumière, on a bien travaillé. La préparation a été bienvenue. Il s’agit d’enregistrer les performances et il était important de maintenir un climat à la fois spontané et vivant. C’est difficile quand on tourne pendant trente jours d’affilée une action sensée se dérouler la même nuit.
Green Room sortira mercredi au cinéma. Bande-annonce :
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