Insoupçonnable France 2
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Le réalisateur Elie Wajeman signe avec Patricia Tourancheau une docu-série passionnante sur l'un des tueurs en série français les plus insaisissables. Un objet hybride, qui met en scène un psychiatre tentant d'analyser le gendarme François Vérove devenu « le Grêlé ».

"Un objet télévisuel qui fait un pas de côté." Insoupçonnable n'est pas tout à fait un True Crime comme les autres. La série documentaire en 4 épisodes, qui commence ce soir sur France 2, raconte la traque du « Grêlé », à travers de nombreux témoignages, mais aussi par le prisme d'un expert psychiatre, mis en scène par le réalisateur Elie Wajeman. Après avoir signé plusieurs films remarqués, dont Les Anarchistes (qui a valu une nomination aux César à Swann Arlaud en 2015) et Médecin de nuit (qui a valu une nomination aux César à Vincent Macaigne en 2020), le cinéaste délaisse la fiction pour se plonger dans ce fait divers qui a hanté la France et la police pendant trois décennies. Il signe - avec la journaliste spécialisée Patricia Tourancheau - une excellente docu-série en 4 épisodes, qui remonte le fil d'un serial killer parfaitement insoupçonnable.

"À la base, j'ai toujours eu une énorme appétence pour les tueurs en série" nous raconte Elie Wajeman. "Le Silence des Agneaux, je ne m'en suis toujours pas remis ! La précision psychologique de l'ouvrage original de Thomas Harris, la manière dont on nous dépeint Clarice Starling, la manière dont Hannibal Lecter manie des concepts freudiens, je trouve ça passionnant."

Un portrait de Paris hanté

Alors le réalisateur avoue avoir été fasciné par la complexité du cas François Vérove, tueur et violeur d'enfants dans le Paris des années 1980, en même temps qu'il rentre dans la gendarmerie nationale et intègre la Garde républicaine... "Il y a chez lui une division de l'être incroyable, poursuit pour Première le cinéaste, qui a vu dans cette proposition documentaire "une manière de faire un portrait de Paris hanté. Plus précisément de l'architecture des années 1970. Je viens de ce XIIIe arrondissement. J'étais au lycée à côté des Olympiades. Tout ça résonnait en moi, sur un plan personnel, mais aussi d'un point de vue de cinéaste. C'est une forêt urbaine, avec ces buildings, qui procurent une forme d'anonymat, dans laquelle l'individu disparaît. François Verove est ainsi traité dans notre série comme une figure absente, comme un fantôme qui traverse la série."

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"On n'a pas filmé dans les vrais lieux. On n'est pas allé dans les halls d'immeuble où il a sévi. Je n'avais pas envie."

Refusant absolument de faire des reconstitutions ou de rejouer des scènes en ne filmant que les corps ou les mains, Elie Wajeman préfère l'ambiance des halls d'immeuble, dans laquelle passe subrepticement une ombre. "J'ai filmé des halls d'immeuble et des cages d'ascenseur des années 1970. J'adore ça. Mais on n'a pas filmé dans les vrais lieux. On n'est pas allé dans les halls d'immeuble où il a sévi. Je n'avais pas envie. La télé l'a déjà fait, pour le coup, dans des reportages consacrés au « Grêlé »... Non, moi je voulais filmer Paris. J'aime profondément Paris. Je suis marqué par le Paris de Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda (1962) et c'est ça que j'avais envie de mettre à l'écran. On a récupéré beaucoup d'images d'archives, pour créer une ambiance unique de True Crime, dans un montage à la Netflix."

Daniel Zagury, héros psychiatre mis en scène

Avec cette idée de faire "un pas de côté" dans le genre du docu-série déjà largement éprouvé. "On est quelque part à mi-chemin entre la série et le documentaire. On n'est pas non plus dans la fiction. C'est vraiment un documentaire, mais j'assume ce parti pris d'avoir comme héros ce psychiatre, Daniel Zagury, qu'on a totalement mis en scène." Véritable spécialiste, expert des tueurs en série, Daniel Zagury a ainsi été dirigé comme un acteur par Elie Wajeman. "On a refait des prises. J'ai travaillé sur son visage, ses expressions, son rythme. J'ai voulu le filmer comme un vieux flic du NYPD. Un peu comme la dernière affaire d'un psychiatre, écrivain, détective privé... J'aime bien cette figure de l'écrivain enquêteur, qui écrit la nuit... C'est presque un personnage que je pourrais reprendre dans un vrai film de fiction plus tard d'ailleurs !" C'est ainsi Daniel Zagury qui guide le téléspectateur sur les traces du  « Grêlé ». C'est lui qui narre, explique, décrypte. "Il y a beaucoup de voix off dans la série. Des textes qu'on a écrit avec Daniel Zagury et Patricia Tourancheau. C'est lui qui mettait en avant les concepts psycho-techniques, mais après, on réécrivait beaucoup les textes, avec les auteurs. Tout est très écrit. On a reconstruit la pensée de Daniel pour bien raconter l'histoire du « Grêlé » et toutes les hypothèses. Au fond, c'était un pas de côté indispensable par rapport au réel."

Un peu comme un écho à la personnalité de François Vérove, Insoupçonnable partage ainsi son histoire en deux facettes : d'un côté l'affaire criminelle, de l'autre l'aspect psychologique. "J'espère d'abord qu'on ne l'a pas trop glorifié. Parce que notre démonstration, c'est de montrer que ces monstres sont à l'intérieur de l'humanité, malgré leur humanité broyée. Daniel Zagury a aussi été expert psychiatre sur le génocide rwandais. Du coup, il est bien placé pour analyser l'humanité et montrer jusqu'où elle peut aller..."

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"Ce n'est pas une série à charge contre la police, mais c'est quand même un pan de l'histoire qu'on a traité de front"

À travers nombre de témoignages édifiants, glaçants, on découvre le parcours de ce bon père de famille affable, collègue discret, que personne n'aurait imaginé être un assassin aux pulsions sordides incontrôlables. Un tueur de sang froid, que même son épouse n'a jamais soupçonné pendant leurs presque 40 années de mariage. L'épouse du « Grêlé » ne parle pas dans la série. "Parce que ça n'a pas été possible" nous confie le réalisateur. "Et en même temps, je crois que ça n'aurait pas correspondu à notre objet. Cela aurait été un témoignage coup de poing dans la série. Même si la partie documentaire apporte quand même son lot de révélations nouvelles..."

Pourquoi l'enquête a échoué

La série préfère se concentrer sur le portrait psychologique du serial killer inimaginable, passé complètement sous les radars de la police, qui a échoué pendant des années à faire la lumière sur le meurtre de la petite Cécile Bloq, assassinée dans la cave de son immeuble parisien en 1986. "Ce n'est pas une série à charge contre la police, mais c'est quand même un pan de l'histoire qu'on a traité de front", reprend Elie Wajeman, qui a pu s'appuyer sur les connexions de la journaliste Patricia Tourancheau, grande spécialiste des faits divers, et qui a écrit deux livres sur François Vérove. "Elle connaît tout le monde. Le moindre mec du 36 Quai des Orfèvres... J'étais simplement dans son sillage durant ces confessions face caméra. Moi je choisissais le lieu, les lumières, la mise en scène. Mais c'est elle qui menait les entretiens. Elle connaît l'affaire à la virgule près !"



La série explique ainsi avec minutie pourquoi « le Grêlé » a échappé si longtemps à la police judiciaire. Refusant les technologies naissantes sur les tests ADN ou la simple idée que le tueur puisse être issu des rangs des forces de l'ordre. Les policiers de l'époque racontent leur enquête impossible, face à un profil qu'ils n'arrivaient pas à appréhender. "Oui, ils ont des regrets, mais défendent aussi leur travail", analyse Elie Wajeman avec du recul. "Je crois qu'on a réussi à capter dans ces entretiens une tristesse, une douleur, qui montre à quel point ils ont été très marqués par cette affaire. A quel point ils ont été concernés, à quel point ils y ont mis leur âme. Maintenant, ce qu'il en ressort aussi, c'est que c'est un gros loupé. Avec ce désir presque psychanalytique de ne pas voir ! Ils n'ont pas pu concevoir qu'un collègue fasse le contraire de sauver des vies. Et puis il y a eu aussi une forme de masculinité vieille France qui n'a pas permis d'avoir l'ouverture d'esprit nécessaire pour entendre les points de vue féminin."

"Je crois qu'on a réussi à capter dans ces entretiens une tristesse, une douleur, qui montre à quel point ils ont été très marqués par cette affaire"

Pour autant, le héros de Insoupçonnable, Daniel Zagury confesse aussi son incapacité à intégrer le fait que « le Grêlé » puisse être ce François Vérove. "C'est vrai que ça le dépasse aussi.. Parce qu'on est sur un profil d'assassin encore totalement inconnu en France à cette époque. Le flic tueur en série, c'était vraiment un truc connu aux Etats-Unis, presque basique. Mais en France, il y avait encore une forme d'anti-américanisme qui n'a pas aidé. On ne voulait pas croire aux méthodes de profilage, à l'étude des tueurs comme sujets, à la science du comportement dans les enquêtes, comme ce qui est raconté dans la série Mindhunter. On était très, très en retard."

Les mystères du « Grêlé » seront racontés en détails dans Insoupçonnable, sur France 2 les mardis 24 et 31 septembre.

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