Dans un passionnant entretien, la réalisatrice et scénariste revient sur la polémique engendrée par le film qu’elle a co-écrit avec Cédric Jimenez.
L’absence totale de langue de bois en interview, c’est rare et précieux. Audrey Diwan, scénariste prolifique (L’Amour ouf, La French, Ami-ami, L'Amour et les forêts, Bac Nord, Barbès Little Algérie…) et réalisatrice depuis 2019 (Mais vous êtes fous, L’Événement et dernièrement Emmanuelle) s’est longuement entretenue avec la revue de cinéma Tsounami. Une discussion réellement passionnante, où Diwan évoque notamment le statut du scénariste et les différences entre le script et le film tourné. Et d’avouer que concernant Bac Nord de Cédric Jimenez, "le glissement de sens" entre ce qu’elle avait proposé et le résultat final l’a mise "en colère".
"Je ne voulais pas écrire ce film, je n’étais pas censée le faire au départ", poursuit-elle. "Cédric devait l’écrire seul pendant que je travaillais sur L’Événement. À l’époque, nous étions ensemble. Nous avions une petite maison, ancienne baraque de pêcheur dans les hauteurs de Marseille. Au bout de l’été, il me dit qu’il ne trouve pas vraiment le film et que ce serait mieux que je l’accompagne. On a eu une grande discussion à propos de ce que représente la police dans notre société. Je lui dis que je ne suis pas à l’aise avec le sujet.
On discute longtemps, je réfléchis, je lis aussi, notamment La fabrique du monstre de Cédric Pujol, et je lui dis : ‘’Écoute, ce qui pourrait être intéressant, c’est d’essayer de comprendre comment ceux qu’on désigne comme étant les meilleurs flics de France sont devenus anti-police.' (…) Et Cédric accepte cette direction. On écrit le film ensemble, ça se passe très mal parce qu’en tant que couple, on n’est plus d’accord sur grand-chose et on se sépare pendant l’écriture. Je termine la première version, je crois qu’on me demande quand même d’aller jusqu’à la version suivante, mais on est en pleine séparation. C’est l’enfer."
Cédric Jimenez s'indigne de "la pure récupération politique" autour de Bac NordAudrey Diwan précise qu’elle et Jimenez n’arrivaient "plus à travailler ensemble". Elle quitte donc le projet en laissant "une carte routière assez précise", qui sera suivie d’autres versions, écrites sans elle et concentrées "sur une forme d’efficacité, de logique de l’action. Et pour moi, le cas d’école, c’est la scène qui est ciblée par le journaliste de l’AFP au Festival de Cannes."
Ceux qui suivent l’actualité cinéma en ont forcément entendu parler : lors de la conférence de presse du film sur la Croisette, un journaliste irlandais, Fiachra Gibbons, mettait les pieds dans le plat et lançait la polémique sur Bac Nord : "Le film est super, mais il y a un problème, là. On est dans une année d’élection. Et j’étais gêné. Vraiment gêné. Et je n’étais pas le seul", assurait-il.
Il s’indignait que les habitants des cités soient représentés comme "des bêtes (…) C'est une vision qu’on a toujours dans les médias français : les zones où on ne peut pas passer, les zones hors de la civilisation, les zones où il faut réimposer la loi française (…) On est dans une année d’élection. Moi j’ai vu ça avec l’œil d’un étranger et je me dis : peut-être que je vais voter Le Pen après ça."
Dans l’interview accordée à Tsounami, Audrey Diwan contextualise : "La polémique est partie de cette scène où on voit un gamin casser une voiture, être emporté par les flics et jeté dans un véhicule de police. Il insulte les flics, puis l’un d’eux allume la radio et ils finissent par chanter ensemble. Le journaliste reproche au réalisateur (…), à raison, un amalgame terrible entre les narcotrafiquants et les habitants des cités. Dans la version que j’avais écrite, je m’étais inspirée de l’anecdote d’une femme qui vivait dans l’une de ces cités. Elle nous avait dit : 'Vous savez, nous la BAC Nord, parfois on l’appelait pour faire du baby sitting, parce que quand nos gamins tombent entre les mains des chouf, des narco, on ne peut pas aller les chercher, on n’arrive pas à les récupérer'.
Donc l’équipe de la BAC Nord était missionnée pour récupérer un jeune garçon qui traîne dans une salle polyvalente, avec des narco effectivement, mais ce gamin est juste en train de jouer au baby foot ! Donc l’équipe de la BAC débarque, l’attrape alors qu’il n’a rien fait de mal à ce moment précis, l’embarque. Et c’est pour ça qu’il les insulte dans la voiture ! (…) Dans la version définitive, les enfants de la cité sont dépeints comme des délinquants. Mais évidemment, il aurait fallu accorder du temps à cette histoire, raconter la mère, puis la traque, le baby foot, la réaction de l’enfant… Ici pour moi, la réécriture cède au raccourci et à la logique de l’action, au détriment du sens…"
Audrey Diwan donne également l’exemple d’une scène où le policier incarné par Karim Leklou se réfugie dans un appartement, et où le film laisse à penser que les habitants des lieux, une mère et son fils, sont du côté des narcotrafiquants. Alors que Diwan assure que dans son scénario, la mère et le fils ont au contraire peur que les narcotrafiquants croient qu’ils collaborent avec la police. "Ça me rend malade", explique-t-elle. "En pleine promotion de L’Événement, on m’a beaucoup parlé de Bac Nord. Je n’avais pas envie de me dédire. Maintenant le temps a passé, donc j’estime que j’ai le droit de dire cette vérité. À l’époque, je n’aurais pas osé formuler, à tort ou à raison : 'Mais moi, je suis en désaccord total !'"
L’intégralité de ce long entretien, qui aborde de nombreux sujets, est à retrouver sur le site de Tsounami.
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