Haïe par certains (dont son propre réalisateur Richard Curtis) et adulée par d'autres, la reine des rom'com' de Noël a-t-elle atrocement mal vieilli ? Ou reste-t-elle un classique indémodable ? On compte les points.
Il y a un peu plus de 20 ans, Love Actually (2003) sortait dans les salles françaises, sans vraiment faire de ravages (un peu plus de 900 000 entrées). Mais avec le temps, le film de Richard Curtis s'est imposé comme un immense classique des fêtes de fin d'année. Scénariste de Quatre mariages et un enterrement ou de Notting Hill, Curtis passe derrière la caméra pour la première fois avec ce puzzle romantico-sentimental ancré dans son époque, qui vise avant tout l'humain et ce qu'il y a de plus beau en chacun de nous, quitte à tomber dans quelques écueils de sensiblerie, mais aussi quelques maladresses sociétales ! Au point que les années passant, la popularité de l'innocente comédie fleur bleue a commencé à agacer. Jusqu'à son réalisateur ! Richard Curtis en personne ne manque jamais une occasion de brûler en public son propre chamallow. Alors pour ou contre Love Actually ?
LONDRES, CE VILLAGE
D'abord, le décor. Que la superstar hollywoodienne Anna Scott flâne en solo (sans garde du corps) à Notting Hill, passe encore. Mais que le Premier Ministre britannique fasse du porte à porte dans un petit quartier londonien le soir de Noël... Love Actually donne l'impression que Londres, première mégalopole d'Europe, est un petit village anglais où tout le monde se connaît, assiste aux mêmes fêtes, écoute les mêmes chansons et où les enfants vont apparemment tous à la même école élémentaire, épicentre de la vie sociale de la capitale britannique !
Oui mais, c'est justement ce qui fait le sel de cette toile cousue par Curtis. De prime abord, chacune des 9 intrigues est séparée, alors qu'elles sont, en réalité, toutes interconnectées. Et c'est Mia, la secrétaire, qui est au centre de tout !
DAVID ET NATALIE
L'humour "grossophobe" du film paraissait bien innocent il y a une vingtaine d'années. Aujourd'hui, l'évolution des moeurs sociétales fait passer le Premier Ministre anglais pour un sinistre goujat. Natalie (Martine McCutcheon) est souvent moquée pour son poids, du début à la fin. On dit d'elle qu'elle est "dodue", qu'elle a "des cuisses énormes" et même David, en la prenant dans ses bras lors de l'ultime séquence de l'aéroport, lui dit qu'elle pèse une tonne. Du "fat shaming" en bonne et du forme, qui horrifie Curtis aujourdhui, repris de volée par sa propre fille, qui lui a fait prendre conscience que "ces blagues ne sont plus drôles aujourd'hui. Après, je n'ai pas le sentiment d'avoir été vicieux à l’époque. Juste, je crois que que j’étais dans ma bulle et pas aussi intelligent que j’aurais dû l’être."
Oui mais, à aucun moment, Martine n'est une victime dans Love Actually. Elle pétille, assume de ses formes et toise David quand ce dernier la taquine. Et puis Hugh Grant a cette capacité inhérente à rendre charmant n'importe quel séducteur maladroit. Il en a même fait sa marque de fabrique absolue. Alors leur couple en devient absolument adorable.
JAMIE ET AURELIA
La romance la plus tarabiscotée du film, où Jamie tombe amoureux de sa femme de ménage... quand elle se déshabille et dévoile un tatouage sexy au creux de reins ! Et puis quand il descend à Marseille pour la conquérir, il tombe sur une famille portugaise particulièrement folklorique, où la sœur pense que son père va vendre Aurelia comme esclave à un blanc ?! Sérieusement ? Non, ce n'est pas ce que Richard Curtis a écrit de plus subtile et d'ailleurs, le réalisateur reconnaît avoir échoué avec la diversité dans son film : "Je me sens un peu bête. Dieu merci, la société évolue, donc fatalement mon film peut, par moments, devenir daté. Le manque de diversité me rend mal à l'aise et je me sens un peu stupide."
Oui mais, vu comment Jamie se fait cocufier par son propre frère de manière horrible, il méritait bien un happy end ! Et puis Aurelia, quasi-muette pendant 2 heures (parce qu'elle ne parle pas anglais), retrouve la parole dans les derniers instants, pour remettre son nouveau boyfriend à sa place et ça, on aime.
MARK ET JULIET
Super-romantique ou super-flippant ? Cette déclaration d'amour à la femme de son meilleur ami, alors qu'il est dans la pièce à côté, a quelque chose de vraiment glauque. Le gars avoue qu'il n'a presque jamais parlé avec Juliet, mais il débarque à sa porte, pour lui déballer ses sentiments. "Il vient chez son meilleur ami pour passer un message à sa femme. Et quel message : 'Je t'aime'. Oui, c'est bizarre. Je me souviens avoir été surpris, quand on m'a dit que c'était une scène de harcèlement. Après coup, c'est vrai. On ne la percevait pas comme une scène de harcèlement à l'époque, mais c'est intéressant de constater comment on voit les choses différemment de nos jours. Et c'est tant mieux", s'auto-tacle encore Richard Curtis.
Oui mais, "To me you are Perfect" restera comme l'une des scènes les plus romantiques de l'histoire du cinéma, même si, comme les baisers forcés de Rhett Buttler dans Autant en emporte le vent, elle vieillit mal. Et puis le coup des pancartes a inspiré des milliers de déclarations à travers le monde et rien que pour ça...
JOHN ET JUDY
Ils ne sont pas vraiment connectés à qui que ce soit et possiblement, ils n'habitent pas du tout à Londres. L'histoire d'amour la plus oubliable de Love Actually. D'ailleurs, on n'a toujours pas compris les circonstances de leur rencontre. C'est quoi leur job exactement ? Doublures sur un film porno ? Cascadeurs de films érotiques ? Clairement, ils font un métier qui n’existe pas et ça nous horripile depuis 20 ans.
Oui mais, voir Martin Freeman masser les seins de Joanna Page en lui parlant de conditions de circulation, ça n'a pas de prix.
DANIEL ET SAM
Qu'est devenu le père de Sam ? On n'en sait rien et il n'est d'ailleurs absolument jamais évoqué dans le film. Pourtant, il faut accepter que Claudia Schiffer va devenir sa nouvelle maman, tout juste un mois après qu'il a enterré la sienne...
Oui mais, la relation entre le petit garçon et son beau-père est une réussite absolue. Richard Curtis parle de famille recomposée sans en faire tout un plat, évoquant l'air de rien les liens de l'amour, plus forts que les liens du sang. Du Vianney dans le texte ! Le regard de Liam Neeson quand son fils embrasse Joanna à l'aéroport nous tire encore les larmes.
COLIN FRISSEL
Sans conteste la pire intrigue secondaire de Love Actually, totalement déconnectée du reste. On ne comprend toujours pas ce que Curtis a voulu dire à travers le personnage de Kris Marshall, qui fait passer les Américaines pour des bimbos écervelées. Même les idiots obsédés ont une chance ?
Oui mais, on hallucine à chaque visionnage de voir combien de jeunes stars ont accepté de jouer ça, de January Jones à Elisha Cuthbert en passant par Shannon Elizabeth et Denise Richards.
LES CHANSONS DE LOVE ACTUALLY
C'est vrai qu'on n'en peut plus d'entendre Mariah Carey à chaque fois qu'on sort le sapin et les guirlandes.
Oui mais, la version d'Olivia Olson, avec le petit Sam à la batterie reste un moment éminemment grisant qui donne envie de se lever du canapé. Et puis entendre Ricard Curtis massacrer lui-même le tube de Wet Wet Wet qu'il avait porté au sommet des charts dix ans plus tôt, avec Quatre Mariages, est un autre petit plaisir de Noël... Bill Nighy n'a jamais été autant en kiff.
VERDICT
Dans le prologue, Hugh Grant - le Prime Minister - nous explique qu'il adore se rendre aux arrivées de Heathrow pour regarder tous les gens se retrouver. Bien sûr, absolument personne ne fait ça et dans la vraie vie, l'amour n'est pas vraiment partout et certainement pas au Terminal 2 de Roissy après 6 heures de vol et 2 heures de queue pour passer la douane et récupérer sa valise qui a perdu une roue...
Oui mais, Love Actually c'est le genre de film qui nous montre le bon côté de la vraie vie. Le verre à moitié plein. Une dose d'optimisme pur, qui fait un bien fou au moment de regarder la société en face, à l'heure du bilan de fin d'année. C'est le film qui ne voit pas l'Angleterre comme le pays du Brexit ou de Boris Johnson, mais celui de "Shakespeare, Churchill, les Beatles, Sean Connery, Harry Potter… Le pied droit de Beckham. Son pied gauche." D'ailleurs, quand le président Sud Yoon Suk Yeol est venu rendre visite au roi Charles III au palais de Buckingham, en novembre dernier, il n'a pas cité Winston Churchill mais Hugh Grant et son discours mémorable de Love Actually. Preuve, n'en déplaise à Richard Curtis, que son film a bel et bien une place de choix dans le coeur du monde.
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