Angoulême 2022- Jour 3
FGRIVELET- The Jokers/ K-Rec Films/ Pyramide Distribution

Bilan quotidien de la 15ème édition du festival du film francophone d’Angoulême

Le film du jour : Rue des dames de Hamé et Ekoué

Cinq ans après Les Derniers Parisiens, Hamé et Ekoué de La Rumeur repassent par la case cinéma avec un deuxième long métrage situé à quelques pas du quartier de Pigalle, théâtre de leur premier. « On a envie de célébrer les gens de peu » a expliqué le duo peu avant la toute projection publique de ce Rue des dames, hier après- midi. Et cet objectif- là est atteint avec maestria. Car bien plus que le portrait d’un quartier, leur film choral raconte ceux qui y vivent, qui s’y croisent, qu’ils s’y sentent comme chez eux ou rêvent de s’en échapper. Et se déploie autour d’un personnage central, Mia (Garance Marillier, impériale), employée dans un petit salon de manucure qui, apprenant qu’elle est enceinte, doit trouver d’urgence de l’argent pour louer un nouvel appartement et monte une combine où elle présente, en mode rabatteuse, des clientes du salon à des célébrités (dont un footballeur star) lors de soirées privées. Rue des dames est un film sous tension permanente car on le vit à travers cette course contre la montre pour s’en sortir de leur héroïne qui, en flirtant allègrement avec la loi et les embrouilles, risque à tout moment d’être rattrapée par la patrouille. La vérité dans l’écriture de la dizaine de personnages qui le composent comme dans les dialogues donne du relief à une fiction dominée par un grand sens du romanesque, refusant de diviser ce monde de la rue des Dames en bons et méchants. Nulle place ici pour le manichéisme. Ce qui passionne Hamé et Ekoué, c’est la zone grise, celle qui révèle la vraie nature – majestueuse comme pathétique – des êtres qui s’y débattent en faisant comme ils peuvent pour ne pas s’y perdre ou s’y noyer. Et ils gravissent non sans superbe une marche supplémentaire après Les Derniers Parisiens.

Le réalisateur du jour : Salim Kechiouche pour L’Enfant du Paradis

Salim Kechiouche- Yasmine Belmadi. Partenaires en 1999 dans Les Amants criminels de François Ozon, ces deux- là étaient amis à la vie à la mort. Comme des frères que cette chienne de vie a séparément brutalement voilà déjà 13 ans, par un tristement banal accident mortel de scooter en rentrant d’un tournage au petit matin. « C’est Yasmine qui m’a poussé à monter de Vaux-en- Velin à Paris pour tenter ma chance. Sans lui, je n’aurais peut- être jamais fait de cinéma. » Et en passant pour la première fois derrière la caméra, l’interprète de Mektoub my love lui rend vibrant hommage. « Cet écorché vif qui avait traversé des moments difficiles et revenait sur le devant de la scène avant d’être soudain rattrapé par ses vieux démons a été l’inspiration première de L’Enfant du Paradis – jusqu’à son titre, clin d’œil au chef d’œuvre de Carné qu’il aimait tant. Cela fait 10 ans que j’écris sur lui. Pas dans l’idée d’en faire un film. Juste pour moi. Et puis un jour, ce film s’est imposé à moi, en mélangeant ma vie avec la sienne. On a tous les deux perdu notre mère et quand on s’est retrouvé sur Les Amants criminels, on ne s’est plus lâché. » Logique donc que Salim Kechiouche tienne aussi le rôle central de ce premier long. Un comédien au passé sulfureux à qui enfin la vie semble à nouveau sourire – une nouvelle compagne aimante (Nora Arnezeder, magnifique, qu’il nous fait redécouvrir), un fils dont il peut enfin espérer obtenir la garde, le métier qui lui tend à nouveau les bras – mais qui, pourtant, ne peut empêcher son passé, ses liaisons dangereuses, ses addictions revenir le hanter. L’Enfant du Paradis a la beauté de l’inéluctable. La tragédie est très vite annoncée. Kechiouche ne cherche jamais à créer un suspense artificiel et développe à travers ce geste fluide et limpide la puissance émotionnelle insensée de son récit, dont on ressort KO debout. Il a su transcender cette histoire si personnelle en un récit universel sur ces racines qu’au fond on ne peut jamais couper, même si elles vous tirent en permanence vers le pire de vous- même. Le tout dans un geste gourmand et généreux de cinéma, notamment cette manière de filmer la nuit, moment de tous les possibles, comme une pièce jetée en l’air et dont on ne sait jamais vraiment de quel côté elle va retomber. Cette première expérience derrière la caméra en appelle beaucoup d’autres.


La révélation du jour : Mallory Wanecque dans Les Pires

Auréolé de son prix Un Certain Regard cannois, le premier long métrage de Lise Akoka et Romane Guéret débarque à Cannes précédé par une réputation flatteuse et tout sauf usurpée. Celle qui furent directrices de casting enfants (notamment sur l’épatant Le Nouveau de Rudi Rosenberg) mettent en scène le casting, la préparation et le tournage d’un film au cœur d’une cité de Boulogne- sur- Mer par le prisme, notamment, des quatre ados repérés sur place, choisis pour en être les héros. Et elles signent une mise en abyme aussi savoureuse que cruelle pour raconter la dimension vampirique du cinéma et cette manière où comme dans Cendrillon, le carrosse doré redevient violemment citrouille, une fois l’ultime clap donné. Une mise en abyme à double titre puisque les réalisatrices ont pour l’occasion déniché par des castings sauvages les néo- comédiens qui tiennent les rôles principaux des Pires. Tous crèvent l’écran mais une un peu plus que les autres. Mallory Wanecque. Une présence démente, une justesse insensée, une espièglerie craquante et une puissance de jeu inouïe. Quand on la rencontre, on perçoit tout de suite ce qui a séduit les deux réalisatrices. Son enthousiasme, son hyper- activité, sa gourmandise à parler de ce qui lui arrive, à en savourer chaque seconde… avec un recul pourtant désarmant pour une adolescente de 15 ans. C’est la magie d’un coup de foudre réciproque. D’une jeune femme - qui, jamais, n’avait pensé se retrouver un jour devant une caméra - pour le cinéma. Et du cinéma pour ce diamant brut dont l’interprétation va bien au- delà de sa simple nature sans jamais perdre de son naturel. On peut parier sans prendre de grand risque que ce coup de foudre- là sera tout sauf un amour sans lendemain. Repérée par un agent (Raphaëlle Danglard chez UBBA), la Valenciennoise s’apprête à tourner dans les mois qui viennent aux côtés d’Ahmed Sylla et dans le troisième long métrage de Teddy Lussi- Modeste (Jimmy Rivière). En attendant de la retrouver aux César où sa nomination ne fait guère de doute et où la compétition avec notamment Rebecca Marder (Une jeune fille qui va bien) et Nadia Tereszkiewicz (Les Amandiers) s’annonce des plus palpitantes.