Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2021 du festival du film francophone
Le film : Chère Léa de Jérôme Bonnell
La délicatesse est le maître mot du cinéma de Jérôme Bonnell. Ce Chère Léa s’inscrit dans la droite lignée du Chignon d’Olga, des Yeux clairs et du Temps de l’aventure, avec toujours cette aisance à explorer les tourments amoureux, les moments où les cœurs s’emballent comme ceux où la passion n’est plus vécue de la même manière par les deux concernés. Chère Léa dure le temps d’une journée et son titre fait écho à ce qui constitue la colonne vertébrale du récit, cette lettre – au contenu mystérieux – que son héros Jonas (Gregory Montel, de tous les plans ou presque, épatant de bout en bout) écrit à celle qui l’a quitté (Anaïs Demoustier, une fois encore impeccable dans une partition pourtant complexe), lasse qu’il repousse sans cesse le moment où il allait quitter sa femme pour elle. Chère Léa raconte l’impossibilité de dire au revoir et encore plus adieu quand on aime et que l’autre n’aime plus. L’incapacité à supporter que l’être aimée puisse en aimer un autre. Les emportements mal maîtrisés. Les déclarations qui ne servent plus à rien puisque la flamme est depuis longtemps éteinte. La majeure partie du film se déroule dans un café, celui en face de l’immeuble de Léa, où Jonas s’est installé pour écrire sa lettre, repoussant un à un les rendez- vous de sa journée, sous le regard intrigué et chaleureux du patron du lieu (Grégory Gadebois, irrésistible comme toujours). On pense beaucoup à Un air de famille (que Gadebois a d’ailleurs merveilleusement joué sur scène) dans cette capacité à s’emparer d’un lieu comme d’un petit théâtre avec ses personnages hauts en couleur dont chacun vient nourrir le récit principal, par petites touches jamais envahissantes. Bonnell se montre ici tout aussi juste dans la comédie que dans l’émotion pure (le face à face entre Jonas et son ex- femme, campée par Léa Drucker, dans un café de la gare de l’Est, moment d’une grâce absolue). La délicatesse faite cinéaste, on vous dit. (en salles le 15 décembre)
Le scénario : Les Jeunes amants
« Si cette histoire avait été celle d'un homme de 70 ans qui tombe amoureux d'une femme bien plus jeune que lui, ça n'aurait pas été en soi un sujet » Voici comment Carine Tardieu présente son quatrième long métrage, centrée donc sur une histoire d’amour entre une femme de 70 ans qui pensait ce type de passion derrière elle depuis longtemps et un homme de 45 ans, marié et heureux en couple. Le fameux coup de foudre qui vous tombe dessus et balaie tout mais dont la fameuse différence d’âge va susciter des réactions exacerbées. Après de beaux débuts avec La Tête de maman et Du vent dans les mollets, Carine Tardieu avait un peu déçu avec Ôtez moi d’un doute. Elle signe ici son plus beau film en développant (avec la collaboration d’Agnès de Savy au scénario) un personnage de septuagénaire qui peine à croire et pour partie à vivre cet amour aussi intense que ne le furent ses premiers battements de cœur. Avec en plus cette urgence du temps qui passe et de cette maladie tue à ses proches et qui envahit de plus en plus son corps. La réalisatrice fuit tout pathos pour raconter une passion capable de tout renverser sur son passage, y compris les résistances de sa principale protagoniste. Melvil Poupaud et Fanny Ardant s’y révèlent sublimes de complicité et d’intensité. Cette dernière avait déjà excellé dans un personnage de femme tombant amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle dans Les Beaux jours de Marion Vernoux face à Laurent Lafitte en 2013. Pour autant, ici, elle ne bégaie jamais, dans le ton d’un film plus grave et plus poignant.
Le premier film: Les Meilleures de Marion Desseigne Ravel
Bande de filles, Divines, Bonne mère… Les films racontant le quotidien des cités ou des banlieues ultra- majoritairement vus par le prisme masculin dominant ont heureusement leurs exceptions, auxquelles vient s’adjoindre ce premier long métrage de Marion Desseigne Ravel. La cinéaste parle ici d’amour ou plus précisément d’un amour impossible quand on a une réputation à tenir vis-à-vis de sa bande. Un amour entre deux jeunes femmes. Celui qui tombe sur Nedjma. Un coup de foudre pour sa toute nouvelle voisine Zina. Ses premiers vrais battements de cœur qui vont un temps balayer ses propres doutes et peurs et même le regard des autres, avant que la réalité ne la rattrape et qu’elle subisse le rejet violent de ses amies de toujours et de sa propre petite sœur ainsi que les réactions insultantes des gens de son quartier. Marion Desseigne Ravel traite cette question de front, raconte l’homophobie au quotidien, le ravage fait par une vidéo sur le net, le jugement de l’autre condamnée parce qu’elle n’est pas comme vous, le communautarisme dans ce qu’il peut avoir de plus terrible chez les plus jeunes. Dans une très belle scène, la mère de Nedjma prend sa fille à part et lui dit ne pas comprendre pourquoi alors que sa génération à elle s’est battue pour la liberté, celle de leurs enfants s’enferme dans les règles, les conventions religieuses, les oukases contre ceux qui ne pensent et n’aiment pas comme eux. Et pour autant, la réalisatrice ne joue ni les juges, ni les procureures, ni les avocates. Elle raconte une situation et ses conséquences avec, chevillée au corps et au cœur, la certitude que l’amour peut finir par triompher de tout. Même si il faut rentrer d’une certaine manière dans les règles, en le cachant. Marion Desseigne Ravel n’est donc non plus ni naïve, ni désabusée mais porteuse d’une qualité devenue de plus en plus rare sur tous ces sujets : la nuance. Son film jamais manichéen et ses interprètes principales Lina El Arabi (primée à Angoulême en 2016 pour Noces) et la débutante Esther Rollande, renversantes de justesse et de complicité.
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