Apparences
20th Century Fox

Il aura suffi de quelques réactions acerbes sur les réseaux sociaux à propos de Flight pour réactiver le « problème Zemeckis ». « Ah bon, un problème Zemeckis ? », s’étonneront ceux qui ont grandi avec Retour vers le retourQui veut la peau de Roger Rabbit ? et Forrest Gump. OK. Resituons le contexte et les enjeux. Considéré par beaucoup comme un metteur en scène de génie, Robert Zemeckis n’a cependant pas l’aura d’un Spielberg avec lequel il partage plus d’un point commun. La « faute » à ses films complexes et ouverts (beaucoup plus que ceux de son rival et ami) dont la lecture au premier degré a engendré une foule de malentendus, qui perdurent aujourd’hui. Avec Forrest Gump, fable d’un pessimisme insondable, Robert Zemeckis était ainsi passé pour un gentil neuneu ; avec Contact, récit d’une quête filiale éperdue, pour un illuminé. Quelques réserves sur Flight - les critiques sont globalement positives, précisons - viennent réalimenter le débat sur le supposé mysticisme exalté de Zemeckis, insupportable aux yeux d’athées bornés et de cartésiens à l’esprit étriqué. Ce qui pose problème aux contempteurs de Flight, c’est son dénouement rédempteur qui induirait une prise de conscience supérieure du héros, confronté à des problèmes d’alcoolisme et de morale. Ajoutez-y des plans d’église détruite par un crash d’avion et de fidèles en prières et vous obtenez un réflexe pavlovien d’effroi face à tant de signes évidents de prosélytisme. Erreur fatale. Dans Flight, comme dans tous ses films, Zemeckis, humaniste désabusé, s’emploie à dénoncer les travers de la société américaine, soucieuse de son image (Retour vers le futur et Forrest Gump sont des sublimations tordues ; Apparences, une violente critique de l’American Way of Life) ou obnubilée par le culte de la jeunesse (l’ironie décapante de La mort vous va si bien) et de la réussite (Seul au monde et son héros, symbole de l’ultralibéralisme).

Les héros son fatiguésFlight, comme Contact, film-miroir avec son personnage salement névrosé qui fuit la réalité, montre une Amérique malade de ses mythes. Dans les deux cas, le héros, construction de l’esprit typiquement américaine, tenant de la morale et de l’ordre, est malmené, bousculé, poussé dans ses retranchements pour mieux renaître. Raisonnés par les dévots, mis en doute par leurs collègues, Whip et Ellie s’accrochent à des chimères jusqu’à ce que le sol menace de s’écrouler sous eux. Il ne leur reste plus qu’à s’accomplir ou à disparaître... Nous ne sommes pas du tout dans le domaine de la croyance - au sens spirituel s’entend - mais dans celui de la catharsis, lent processus dont le déclencheur est symboliquement un voyage aérien/spatial. Rien, dans ces deux films, ne laisse filtrer une quelconque inclination de Zemeckis pour la chose religieuse. Jusqu’aux derniers plans, il s’en tient à l’humain, à sa capacité de pardon et de transcendance qu’on peut estimer d’ordre divin mais aussi d’ordre purement ontologique. Est-ce de la faute de Zemeckis si ses films sont sujets à de multiples interprétations ? C’est plutôt leur grandeur. Là où les apparences sont diaboliquement trompeuses, c’est que le cinéma de Zemeckis est,de facto, fondé sur la croyance ou, pour être exact, sur des croyances : croyance - très américaine - dans le récit et dans la mise en scène (les acteurs en deviennent superflus, d’où ses expérimentations révolutionnaires sur la performance capture) ; croyance - très spielbergienne - dans les histoires que se racontent les personnages. Qu’il s’agisse de Forrest Gump narrant sa vie rêvée sur un banc, d’Ellie Arroway se persuadant de l’existence d’une vie extra-terrestre, de Chuck Noland prenant un ballon pour interlocuteur pour ne pas sombrer dans la folie sur son île déserte, ou de Whip Whitaker s’enferrant dans ses mensonges, le cinéma de Zemeckis est tout entier porté par le pouvoir tour à tour rassurant, stimulant et libérateur de la fiction.
Christophe Narbonne