Première
par Christophe Narbonne
Souvent présenté, de manière péjorative, comme un Spielberg bis (ce dernier lui a mis le pied à l’étrier), Robert Zemeckis est un entertainer qui, sous ses dehors aimables, cache un humaniste contrarié. La majeure partie de ses films questionne la conscience et la mémoire, fait la chasse à des fantômes qu’on croyait oubliés, plonge au plus profond de la psyché pour en extraire le meilleur. Avec Flight, sans doute son projet le plus ambitieux à ce jour – entendez, fi lm de prestige à grand sujet –, le réalisateur de Seul au monde revient jouer dans la cour des grands après une décennie passée à explorer les limites de la performance capture au travers d’une « trilogie » inégale (Le Pôle Express, La Légende de Beowulf, Le Drôle de Noël de Scrooge). La première séquence du film en pose les enjeux. Aux côtés de Denzel/Whip, en train de comater dans son lit, une jeune femme sculpturale et dénudée s’affaire pendant cinq minutes. Ses fesses et ses seins sont offerts aux regards du personnage masculin et du spectateur. Cette nudité frontale, contraire à des canons hollywoodiens très stricts en la matière, est aussi surprenante que la présence de Denzel Washington dans une telle situation (sa pudeur est légendaire). La suite justifie cette entrée en matière inattendue : Whip est à la fois un héros américain (comme l'acteur, dans un contre-emploi fascinant) et une épave en sursis. Un alcoolique un peu junkie, dont la soudaine notoriété va révéler les failles béantes, dans lesquelles vont s’engouffrer les compagnies d’assurance (de l’avionneur, du syndicat du personnel de bord et des sous-traitants) pour éviter de payer les pots cassés. Flight est donc non seulement un grand film de rédemption souvent déchirant, mais aussi le reflet d’une Amérique intransigeante, procédurière et bigote, dont Zemeckis s’emploie à démontrer l’hypocrisie avec un sens de laprovocation réjouissant – outre cette ouverture insolente en forme de doigt d'honneur à la face des censeurs puritains, le cinéaste tape sur les extrémistes religieux et les ultralibéraux cyniques. Mais le coeur de ce long métrage, son âme, c’est Whip et son combat pour sortir de l’addiction et du mensonge, que le réalisateur met en scène de façon quasi impressionniste. Une église détruite, une rencontre amoureuse fortuite, une porte de chambre d’hôtel mal fermée sont autant de signes auxquels Flight se garde bien de donner une interprétation évidente, laissant le héros se dépatouiller avec la bouteille et sa conscience. Le cheminement intérieur du personnage, chaotique, est clairement une métaphore du vol-crash initial, sur lequel les spéculations sont aussi indécentes que cathartiques. Dans les deux cas, l’atterrissage est spectaculaire.