Musicien génial, l’homme qui a notamment produit et arrangé Thriller de Michael Jackson, est mort à l’âge de 91 ans. Au cinéma, il a composé des scores de légendes. Sélection.
Q est mort. Pas le bricoleur de gadgets de James Bond, non, Mister Q. aka Quincy Jones, celui dont l’un des plus grands faits d'arme est d’avoir façonné Michael Jackson en roi de la pop à l’orée des eighties. Producteur et arrangeur de génie, on lui doit donc le génial triptyque Off the Wall, Thriller et Bad (auquel on pourrait rajouter l’hymne humanitaire We Are the World) , mais aussi le swing langoureux et imparable de Fly Me to the Moon de Frank Sinatra et une floppée d’albums en son nom propre : The Quintessence (1962), Big bang Bossa Nova (1962) dont le tube Soul Bossa Nova sera immortalisé par la franchise Austin Powers, The Dude (1981) ou encore Back on the Block (1989) fusion du jazz et d’un hip hop en pleine bourre.
Né en 1933 au sein d’une famille pauvre dans les faubourgs de Chicago, génie précoce, il s’extirpe de la misère et d’une vie chaotique par la musique. D’abord jeune trompettiste, il est sideman pour l’orchestre de Lionel Hampton avant de s’épanouir derrière les consoles faisant de chacune de ses productions des bijoux soyeux et intemporels. Formé en France dans les années 50 par Nadia Boulanger, sorte de Paula Strasberg du monde musical, Q a notamment bossé pour Eddie Barclay et donc avec les Aznavour, Brel et Salvador… De retour aux Etats-Unis, il posera définitivement sa patte et accumulera les récompenses (on parle de 27 grammys).
Will Smith rend hommage à Quincy JonesEt le cinéma alors ? Jones l’avait dans le sang comme il l'expliquait au français Stéphane Lerouge, éditeur de l’indispensable coffret The Cinema of Quincy Jones chez Universal en 2016. A douze ans il écumait ainsi les petites de salles de Seattle avec un sens critique déjà bien affûté : « J’étais accroc au point de pouvoir en quelques mesures reconnaître l’identité musicale de chaque studio : il y avait un « son Twenty Century Fox » qui était celui d’Alfred Newman, un « son Paramount » associé à l’écriture de Victor Young… »
Parmi la kyrielle de musiques de film qu’il a composées, nous en avons choisi cinq. Sélection 100% subjective qui entend rendre compte d’un parcours exemplaire en celluloïd.
Le prêteur sur gages, de Sidney Lumet (1965)
En tant qu’afro-américain, la musique de film semblait un territoire inaccessible pour Quincy Jones. L’univers conservateur et ultra-régenté d’Hollywood n’imaginait pas autre chose qu’un héritage classique perpétué par les Hermann, Steiner, Korngold… Pour son film Le prêteur sur gages drame oppressant autour du propriétaire d’une échoppe d’Harlem hanté par les camps de la mort, Sidney Lumet ébloui par l’album The Quintessence demande à Quincy Jones de posé une musique sur les images de son film. Et le jazz de pénétrer l’univers pourtant fermé à double tour du « pawnbroker » incarné par le massif Rod Steiger. Outre le thème porté par la voix suave de Marc Allen en ouverture et Sarah Vaughan en clôture, les quatre minutes de piano quasi solo de The Naked Truth est anthologique. Jones et Lumet se recroiseront à plusieurs reprises, notamment pour la comédie musicale The Wiz (1978) sur laquelle Quincy Jones croisera un certain Michael Jackson.
Dans la chaleur de la nuit, de Norman Jewison (1967)
Quincy Jones, Ray Charles et Sidney Poitier se connaissent depuis les années 50, partageant des rêves à priori trop grands pour eux dans une Amérique ségrégationniste. Les voilà réunit dans ce film aux cinq Oscars qui dénonce le racisme. L’action se passe dans le Deep South et voit un flic noir (Poitier) mener une enquête criminelle au sein d’une population hostile. Ray Charles immortalise d’emblée le film de sa voix profonde sur la chanson titre In the Heat of The Night composée par Jones. Le reste de la partition avec l’utilisation à priori hors sujet d’un cymbalum, instrument du 14e siècles des confins de l’Europe et ses orchestrations complexes, suinte le malaise de partout. « Le timbre métallique du cymbalum vous accroche l’oreille, explique Jones à Lerouge, vous frappe émotionnellement et traduit l’idée du déracinement. Inconsciemment l'instrument vous fait comprendre que Sidney Poitier est loin de chez lui, qu’il évolue dans un environnement qui n’est pas le sien. » Et de conclure : « Voilà donc les trois ingrédients de cette partition : la tension, la moiteur, la graisse du Sud. »
De sang-froid, de Richard Brooks (1967)
L’histoire raconte que Truman Capote, l’auteur de ce récit-enquête autour du meurtre d’une famille du Kansas par deux paumés à la fin des fifties, aurait essayé de dissuader Richard Brooks de confier la B.O à un musicien noir. « Pourquoi un compositeur nègre sur une histoire sans aucun personnage de couleur ? » lui aurait carrément balancé Capote. A l’écoute du score, l'écrivain serait venu ramper aux pieds de Jones pour s’excuser. Et de fait, la musique qui emprunte autant au jazz qu’au dodécaphonisme est d’une richesse folle. Elle rend génialement compte de la psyché perturbée des deux héros. C’était le score préféré de Quincy Jones. Jones retrouvera Brooks pour Dollars (1971) Le titre éruptif Money Is chanté par Little Richard qui ouvre les hostilités est absolument dingue.
Guet-Apens, de Sam Peckinpah (1972)
A l’issue d’une projection test, Steve McQueen n’est pas satisfait de la musique écrite par le fidèle de Sam Peckinpah, Jerry Fielding. L’acteur fait donc engager Quincy Jones. Le musicien moyennement motivé par l'exercice s’acquitte de la commande aidé notamment de l’harmoniciste légendaire Toots Thielemans. Outre son love thème sirupeux le reste du score très jazzy est censé soutenir l’énergie de ce film de braquage. Le tempétueux Sam Peckinpah vexé d’avoir été dépossédé de la musique de son film se paiera une pleine page dans Variety pour remercier son ami Jerry Fielding. Au final, Quincy Jones n’aura jamais rencontré le cinéaste pour lequel il travaillait. Souvenirs mitigés donc.
La Couleur Pourpre, de Steven Spielberg (1985)
Avec ce grand drame historique adapté du prix Pulitzer d'Alice Walker, Quincy Jones devient producteur de cinéma. C'est lui qui approche le réalisateur d'E.T. pour diriger la poignante histoire de Celie Harris et qui le convainc qu'il est légitime pour filmer cette histoire sur le racisme dans les États du sud. Pour la première fois, Spielberg fait ainsi une infidélité à John Williams. Quincy Jones compose lui-même la musique du film, combinant des éléments de jazz, de blues et de gospel, dont le morceau "Miss Celie's Blues" et décroche ainsi trois nominations aux Oscars.
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