Everything Everywhere All at Once
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Grosse surprise du box-office américain précédée d’un bouche-à-oreille assez dément, la nouvelle production A24 tient toutes ses promesses. Un ovni fascinant, avec Michelle Yeoh au cœur du multivers... et en quête d’elle-même.

Everything Everywhere All at Once commence comme un drame familial de poche : immigrée chinoise propriétaire d’une laverie, Evelyn Wang (Michelle Yeoh) semble à bout, incapable de dialoguer avec sa fille (Stephanie Hsu) et son mari (Ke Huy Quan), saoulée par son travail... On sent la dépression sous-jacente quand, soudain, première rupture de ton. Lors d’un rendez-vous avec une inspectrice des impôts qui a décidé de lui mener la vie dure (Jamie Lee Curtis, épatante), un alter ego de son époux lui apparaît, et lui confie qu’elle est la seule en capacité de sauver le multivers d’une étrange entité venue semer le chaos. Evelyn devient alors capable, à travers des mouvements improbables, de convoquer les compétences de ses « doubles » issus d’univers parallèles, autant de mondes où sa vie aurait été totalement différente. À partir de là, il est très tentant de résumer EEAAO à la liste de ses ingrédients : « Peut contenir des traces de cinéma hong-kongais (les arts martiaux seront centraux), de Cloud Atlas, d’Un jour sans fin, de Matrix (le côté méta et la figure de l’élu(e)), de Michel Gondry, d’In the Mood for Love... »

Mais ce serait faire bien peu de cas de la minutie avec laquelle Daniel Scheinert et Daniel Kwan, alias les « Daniels », leur petit surnom, détournent toutes ces citations assumées pour raconter la quête d’identité de leur protagoniste. Avec une idée démente toutes les cinq minutes, ils tricotent l’air de rien un langage cinématographique aussi débordant de générosité qu’efficient en matière de dramaturgie. Cette aventure intérieure est évidemment un peu trop longue et bordélique pour garder parfaitement l’équilibre durant 2h19, mais les Daniels mettent un point d’honneur à constamment surprendre et parviennent à toucher la corde sensible dans les situations les plus ubuesques – l’univers où les gens ont des doigts en saucisses pourrait bien vous tirer quelques larmes.

Foutoir cosmique 

Un film plein comme un œuf, gros foutoir à l’échelle cosmique mené tambour battant, et dont la réussite tient à l’exploration de l’extraordinairement grand (le multivers tout entier) pour régler une affaire a priori infiniment petite – la crise existentielle d’une mère de famille d’origine étrangère, engoncée dans sa vie. De quoi, au passage, mettre une sacrée claque à Marvel et son très frileux Doctor Strange in the Multiverse of Madness. Et ce qui pourrait ressembler de loin à un simple mausolée à la gloire de Michelle Yeoh (en forme olympique) se transforme très vite en une réflexion sur son statut et en un hommage réjouissant à tous les acteurs asiatiques sous-utilisés par Hollywood : l’éternel James Hong n’avait pas eu autant à jouer depuis bien longtemps et Ke Huy Quan (le Demi-Lune d’Indiana Jones et Data des Goonies, devenu depuis cascadeur et même assistant réalisateur de Wong Kar-Wai sur 2046 !) a tout l’espace nécessaire pour déployer un jeu délicieusement chaplinesque, entre humour physique et accablement pur.

Garanti sans pet

Optimiste et humaniste sans pour autant se vautrer dans la guimauve, le film poursuit par ailleurs le travail de ses réalisateurs entamé avec Swiss Army Man, leur précédent long sorti directement en DVD chez nous. Ils y exploraient déjà l’air de rien la piste ontologique, mais à travers les prouts du cadavre de Daniel Radcliffe : expurgé de cet aspect trivial et gaguesque, Everything Everywhere All at Once suit au fond scrupuleusement la même ligne, assurant que toutes les réponses au vide existentiel sont en nous, ou du moins à portée de main. Dans un cas comme dans l’autre, l’illumination et l’espoir ne tiennent pratiquement à rien, en l’occurrence à un pet ou à une succession de gestes incongrus.

Everything Everywhere All at Once, en salles le 31 août.