Une réussite esthétique indéniable, mais un scénario qui peine à se hisser au même niveau. Critique sans spoilers, ou presque.
Après avoir tenté de mêler Batman au reste de la populace super-héroïque (Batman V Superman et Justice League), Warner Bros. revient à la formule initiale de l’encapé solo, dix ans déjà après The Dark Knight Rises. Aux commandes, Matt Reeves, réalisateur de Cloverfield et des deux derniers volets du reboot de La Planète des singes. Objectif table rase : exit le carnaval burtonien, la solennité bondienne des Batman de Nolan ou l’inquiétude viriliste de Zack Snyder. Il s’agit ici de désosser l’icône pour n’en garder que l’essence (forcément noire), et lui redonner sa licence de détective surdoué dont le cinéma l’a toujours privé.
On fait donc connaissance avec un Batman bleu bite (Robert Pattinson), en fonction depuis seulement deux ans. Vingt-quatre mois à arpenter les rues de Gotham la nuit pour chasser le spleen de la mort de ses parents (qu’on ne verra pas une énième fois, rassurez-vous), et à s’incruster sur les scènes de crime de son seule pote, le lieutenant - pas encore commissaire - James Gordon. Le justicier solitaire agit dans l’ombre et sa seule existence suffit à insuffler la peur dans l’esprit des malfrats de la ville, comme l’appuie un peu lourdement la deuxième scène du film. La vengeance personnifiée se retrouve à enquêter sur un tueur en série qui élimine un par un les puissants de Gotham. Et sur chaque lieu de meurtre, le mystérieux Riddler laisse des indices destinés à Batman… Une investigation qui le mettra sur la piste de Selina Kyle (Zoë Kravitz, gracieuse et troublante) et le mènera jusqu’aux bas-fonds de la ville, gangrénés par les mafieux Carmine Falcon (John Turturo, fantastique en parrain) et Oswald Cobblepot, alias le Pingouin (Colin Farrell, méconnaissable et flamboyant).
The Batman : "On capte le bouillonnement intérieur du personnage" [interview]Casseur de gueules obsessionnel
Construit comme un film noir lo-fi et grandiloquent à la fois, The Batman épate d’abord par sa vision de Gotham, plus vivante que jamais. La direction artistique impeccable donne naissance à une vraie ville, criarde et malfamée, dont la « réalité » ne peut être remise en doute. Robert Pattinson y évolue comme une évidence, gros charisme sans trop en faire, solidement ancré, il trouve sa propre voie sans plagier ses prédécesseurs. Un Batman obsessionnel, un vrai vigilante, casseur de gueules entre l’ombre et la lumière (soit à peu de choses près tout le projet du film), sublimé par le directeur de la photo, Greig Fraser (Dune, Rogue One, Cogan, Zero Dark Thirty…). Visuellement, The Batman échappe d’ailleurs à toute influence cinématographique passée, Matt Reeves redoublant d’efforts pour réinventer le mythe en s’abreuvant à la source des comics. Une vision racée qui ne tient malheureusement plus tout à fait quand le scénario rentre dans le dur : la noirceur évoquée en interviews semble amoindrie malgré la brutalité des scènes d’action, et la promesse d’un Dark Knight torturé n’est pas tenue. La faute, en partie, à une caractérisation minimaliste de son alter ego, Bruce Wayne, au trauma murmuré, à peine nourri par des discussions sommaires avec Alfred (Andy Serkis, présent dix grosses minutes sur près de trois heures).
Un choix clair de la part de Reeves, qui cherche à compenser ce Bruce fantomatique en se focalisant sur les tourments de Batman, et surtout son implication personnelle dans le jeu de piste avec le Riddler. Belle idée sur le papier, sauf que l’enquête en elle-même patine vite. On s’attendait à un Zodiac ou un Mindhunter superhéroïque, mais le « Batman détective » délaisse le terrain du suspense et du thriller pour se transformer en gimmick : l'enveloppe cachée sur la scène de crime, la petite énigme à déchiffrer... La répétition du procédé finit par lasser et l’imbrication finale de Batman dans toute cette affaire est au bas mot une déception.
Reste la volonté du cinéaste de confronter les figures du Chevalier Noir et du Riddler à travers un combat mental où se télescopent leurs folies respectives. Une dualité portée fébrilement par la mise en scène (notamment les plans aux jumelles) mais qui force Batman à s’interroger sur ses propres limites. Pattinson intériorise ce trouble, alors que Paul Dano lui jette au visage, sans hésiter à en faire des caisses. Deux acteurs pas tout à fait dans la même énergie de jeu, comme déréglés, ce qui crée une étrange impression tout en nourrissant - en creux - une discussion intéressante sur la vision de la justice portée par ces deux personnages.
Plus que dans ses démonstrations de force ou son entêtement à ne jamais ressembler à ce qui l’a précédé, c’est dans ces interstices un peu trop rares où The Batman est à son meilleur : quand il se décide enfin à montrer l’agitation intérieure de son héros au lieu de la théoriser.
The Batman, de Matt Reeves, le 2 mars au cinéma. Bande-annonce :
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