Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LE GARCON ★★★☆☆
De Zabou Breitman et Florent Vassault
L’essentiel
Combinant documentaire et fiction, un film comme un jeu de pistes autour d’une collection de photos de familles découverte dans une brocante. Une réussite.
C’est un film qui naît par hasard de la découverte dans une brocante d’une série de photos d’une même famille. Et de la curiosité de Zabou Breitman et de Florent Vassault d’en savoir plus sur eux et plus précisément sur ce garçon qui tape tout de suite dans l’œil de la réalisatrice. Qui est- il ? Est-il encore de ce monde ? Voilà le jeu de pistes que va proposer Le Garçon selon un principe original mêlant documentaire et fiction. Le documentaire pour l’enquête menée par Florent Vassault sur la piste dudit garçon. La fiction à travers laquelle Zabou Breitman tente d’imaginer son parcours en faisant appel à des comédiens. Et ce mélange des genres trouve vite sa vitesse de croisière, sa manière de faire dialoguer docu et fiction, sans chercher à un équilibre parfait mais en les faisant se nourrir l’un l’autre, Une vraie curiosité.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
AIMER PERDRE ★★★★☆
De Lenny et Harpo Guit
Le deuxième long métrage des frères Guit – mais le premier à sortir dans les salles françaises – met en scène Armande Pigeon (la géniale Maria Cavalier Bazan) et sa capacité à s’enfoncer toujours un peu plus dans une loose jouant sa vie sur des coups de dé. La loose a ceci de poétique à regarder qu’elle se contrefout des normes et qu’elle ne s’envisage pas forcément comme telle. Armande perd ce qu’elle gagne, se prend des portes et des vents, mais rencontre un tas de gens dont Catherine Ringer et Melvil Poupaud. Tout se configure à l’aune des tempêtes d’un scénario qui semble lui-aussi se jouer constamment à pile ou face. Aimer bricoler plutôt que figer les choses, les prémisses de l’amour – il n’est finalement question que de ça ici – restant un jeu d’équilibriste. Voilà donc une matière organique et romantique qui tient magnifiquement sur la longueur. Vive Harpo et Lenny !
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéTARDES DE SOLEDAD ★★★★☆
De Albert Serra
Le torero star Andrés Roca Rey, 28 ans, baigne dans un monde ritualisé, sculpté où le simulacre se voit constamment opposé à une force animale propre à le décharner. Tout ce qui précède l’entrée en scène (l’arène) répond ainsi à une mise en condition religieuse où le corps souverain aurait à la fois conscience de sa transcendance et de sa fragilité. Chaque blessure aura l’allure d’un stigmate christique. Albert Serra (Pacifiction) signe ici son premier documentaire et isole cet être prisonnier d’une bulle où s’affaire tout un monde prêt à se sacrifier pour lui. Il nous plonge par immersion et soustraction au plus près d’une tension extrême. Il saisit les mystères d’une chorégraphie entre l’homme et un taureau où la beauté que d’aucuns diront sacrilège, est souillée par ceux-là même qui entendent la façonner. Impressionnant.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
JE LE JURE ★★★☆☆
De Samuel Theis
Suite à un signalement de VSS mettant en cause Samuel Theis sur le tournage (et alors que l’enquête judiciaire est en cours et le cinéaste placé sous le statut de témoin assisté), Je le jure fera l'objet d'un dispositif proposé aux exploitants pour contextualiser les faits et permettre ainsi au film de connaître une vie en salles. Un film remarquable où le réalisateur continue de creuser le sillon de Party Girl et Petite nature. Cette exploration de sa terre natale, la Moselle, dont le passé industriel glorieux a laissé depuis longtemps place à un marasme social tragique. Son axe cette fois- ci est celui d’un film de procès mais vu à travers les yeux d’un juré tiré au sort, quadra un peu paumé dans sa vie professionnelle et amoureuse où il n’assume pas sa liaison avec une femme plus âgée. Theis orchestre remarquablement ce choc entre des individus lambda et l’institution judiciaire vite écrasante. Et film après film, Theis rejoue au fond la lutte des classes mais en refusant tout manichéisme, passionné par les zones grises, celles où les cartes sont rebattues et bousculent les certitudes.
Thierry Cheze
LIRE LOLITA A TEHERAN ★★★☆☆
De Eran Riklis
Adapté du roman autobiographique d’Azar Nafisi publié en 2003, Lire Lolita à Téhéran commence en 1979 quand une enseignante en littérature revient vivre à Téhéran avec son mari. Elle espère contribuer à travers l’enseignement universitaire à la révolution iranienne qui a renversé le Shah, mais découvre vite que les fondamentalistes au pouvoir imposent un contrôle de l’enseignement et font basculer le pays dans la dictature. Quelques années plus tard, cette prof réunit secrètement chez elle sept étudiantes pour lire des romans occidentaux interdits par le régime et faire ainsi acte de résistance... Réalisée par Eran Riklis (Les Citronniers), cette reconstitution du Téhéran des années 80 et 90 n’atteint certes pas la profondeur narrative d’un grand film sur l’Iran contemporain comme Les Graines du figuier sauvage, mais les compositions de Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi et leurs partenaires réussissent à transmettre le sentiment de révolte nécessaire.
Damien Leblanc
LES CONTES DE KOKKOLA, UNE TRILOGIE FINLANDAISE ★★★☆☆
De Juho Kuosmanen
Les Contes de Kokola rassemble trois courts muets, en noir et blanc, qui nous transportent dans un univers post-Méliès détonnant. Il y a d’abord Mattila le vagabond et la Belle Femme qui raconte l'histoire d'un vieil homme et de son fidèle compagnon expropriés de leur modeste maison par les autorités. Vient ensuite Bouilleurs de cru clandestins qui réinvente le tout premier film muet finlandais, désormais perdu. Enfin Une Planète fort lointaine emboite le pas d’une veuve, gardienne de phare, qui construit une fusée pour rejoindre son défunt mari sur une planète éloignée. Ces trois petits films résument au fond l’art de Kuosmanen. Une mélancolie cachée sous un vernis comique, un regard tendre sur des personnages en marge cherchant leur place dans un monde qui les dépasse et une liberté bricolée et poétique irrésistible. Les Contes de Kokkola ne fait pas que rendre hommage au cinéma primitif. Kuosmanen y régénère son langage pour raconter ses histoires fondamentalement finlandaises mais universellement touchantes ou drôles.
Gaël Golhen
NO BEAST SO FIERCE ★★★☆☆
De Burhan Qurbani
Le titre emprunte son nom à une réplique du Richard III de Shakespeare : « Il n’est de bête aussi féroce qu’elle n’éprouve une once de pitié. » Ça tombe bien puisque Burhan Qurbani (Berlin Alexanderplatz) réactualise ladite pièce transposant l’action dans une Berlin en proie à une guerre des gangs arabes. Une jeune femme convoite un trône. Pour parvenir à ses fins, elle n’hésite pas à trahir tout son petit monde. L’histoire est vieille comme la nuit des temps mais le cinéaste germano-afghan l’empoigne avec une telle fougue dévastatrice qu’on reste accroché aux basques de son anti-héroïne qui ne semble plus rien attendre du monde sinon le chaos. La mise en scène assume la théâtralité du matériau originel faisant de chaque décor un lieu sans âge ni identité. C’est peu dire que ça dépote. Si un méchant issu d’un métaverse de l’usine Marvel venait à débarquer au milieu des décombres, on accueillerait la chose sans trop de surprise. L’épreuve vaut largement le détour.
Thomas Baurez
SOME RAIN MUST FALL ★★★☆☆
De Qiu Yang
Le format 4/3 comme un étau qui se resserre. En jouant de ce champ de vision restreint, le cinéaste chinois Qiu Yang met minutieusement en exergue la situation de Cai, femme au foyer prisonnière d’une vie morose. Entre un mari qu’elle n’aime plus et une fille qui la méprise ouvertement, une amertume lancinante paralyse son quotidien jusqu’à imprégner chacun des plans. Tandis qu’autour d’elle le monde s’évertue à rester en mouvement, son incapacité à avancer est retranscrite à merveille par un rythme excessivement lent et une caméra statique. Autant de choix artistiques qui font de ce film une prouesse de mise en scène, bien que légèrement austère. Mais cette rigidité se dissipe lorsque vient la nuit. Une nuit sans fin éclairée par les phares des voitures et les néons des enseignes. Celle où la parole se délie entre les membres d’une famille tandis que, dehors, la pluie résonne.
Lucie Chiquer
MANAS ★★★☆☆
De Mariana Brennand Fortes
Co- produit par les Dardenne et Walter Salles, ce premier long raconte le désir d’émancipation d’une gamine de 13 ans au cœur de la forêt amazonienne, pour échapper à son père, incestueux avec elle comme avec ses sœurs. Un besoin vital qui va se fracasser sur l’attitude tout aussi prédatrice des hommes à qui elle va vendre ses crevettes sur des bateaux qu’elle envisageait comme la possibilité d’un ailleurs. Mariana Brennand Fortes trouve le ton juste – étouffant mais jamais glauque car toujours mû par un espoir - pour parler de violence faite aux femmes
Thierry Cheze
DE LA GUERRE FROIDE A LA GUERRE VERTE ★★★☆☆
De Anna Recalde Miranda
Comment est-ce qu’un documentaire parvient à nous faire flipper à ce point ? Anna Recalde Miranda s’est intéressée à la culture du soja au Paraguay, et en déroule une longue histoire d’horreurs, connectant la répression anticommuniste en Amérique du Sud, la torture, les dictatures qui changent de visage, la pollution, les multinationales, le changement climatique… Militant et éclairant mais désabusé, un film qui diffuse, comme le dit la réalisatrice en voix off, « une tristesse âpre et solitaire ».
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
BELLADONE ★★☆☆☆
De Alanté Kavaïté
La science-fiction peut aussi être un genre minimaliste. Dans Belladone, Gaëlle (Nadia Tereszkiewicz) s’occupe illégalement d’une colonie de personnes âgées sur une île coupée du monde, dans une société où l’on chasse la vieillesse. À travers sa mise en scène conflictuelle entre une jeune trentenaire dévouée dans sa protection des aînés et des corps vieillissants qui ne cherchent qu’à savourer leurs derniers jours sur Terre, le film réfléchit en effet des problématiques du contemporain, radicalisées par une projection futuriste, en huis clos. Mais il pâtit hélas de la direction de jeu donnée à son actrice principale, en lui demandant de rester bloquée sur un monde intense, systématiquement au bord des larmes. Cela se fait particulièrement ressentir dans une scène à table où Gaëlle essaie d’empêcher les anciens de boire du vin par un trop-plein maternisant : elle passe à côté de sa jeunesse, et le film de ce sujet en or et ô combien contemporain.
Nicolas Moreno
COVAS DO BARROSO, CHRONIQUE D’UNE LUTTE COLLECTIVE ★★☆☆☆
De Paulo Carneiro
Quand en 2018, les habitants du village portugais de Covas do Barroso apprennent qu’une entreprise britannique va implanter sur ses terres une mine de lithium à ciel ouvert, ils décident de tout faire pour l’en empêcher et sauvegarder leur montagne. Un combat qu’ils rejouent dans cette fiction aux allures de western indéniablement puissante dans ce qui y est raconté mais où le décalage entre la maladresse de leurs interprétations et la rigueur formelle de sa mise en scène n’est pas toujours des plus heureux.
Thierry Cheze
RUPESTRES ★★☆☆☆
De Marc Azéma
En 2011 sortait Rupestres !, une œuvre collective confrontant des dessinateurs de BD vétérans à l’art pariétal (celui des cavernes) préhistorique. La version documentaire les met au boulot. Les voilà donc en train de peindre eux-mêmes les murs d’une grotte dans le Lot. C’est à peu près toute la raison d’être de Rupestres, le film : faire le making of d’une œuvre multiple, mais sans que son discours sur l’art ne creuse très profondément. Rester en surface avec un tel sujet, un comble, non ?
Sylvestre Picard
PREMIÈRE N’A PAS AIME
LE JOUEUR DE GO ★☆☆☆☆
De Kazuya Shiraishi
Pour son tout premier long à connaître une sortie dans nos salles, Kazuya Shiraishi nous entraîne dans le Japon féodal dans les pas d’un ancien samouraï dont la vie modeste qu’il mène désormais avec sa fille est entièrement dédiée… au jeu de go. Un exercice de stratégie qui se révèlera fort à propos quand il devra se battre pour obtenir réparation face à des calomnies. Il faut une sacrée dose de courage comme cinéaste pour aller arpenter des terrains si magistralement magnifiés par les grands maîtres comme Kurosawa. Mais surtout bien plus d’inventivité, de souffle et de vision que celle proposée par ce récit qui pâtit d’un rythme lancinant suscitant un ennui abyssal. La reconstitution d’époque n’a rien de compassé mais chaque rebondissement prend des plombes et rend artificielles les scènes où soudain tout s’accélère, à commencer par celles de combat qui se voudraient l’acmé du film. Il manque une signature à ce projet prisonnier des codes du genre.
Thierry Cheze
I AM GITMO ★☆☆☆☆
De Philippe Diaz
Après le 11-Septembre, Gamel est suspecté de terrorisme et arrêté par les États-Unis. Transféré d’Afghanistan au camp de Guantanamo pour être interrogé et torturé, il ne peut compter que sur la conscience d’un interrogateur militaire chargé de son dossier… Jeu d’acteurs très (très) amateur, manque évident de moyens (tout semble tourné dans des préfabriqués) : I am Gitmo n’est jamais à la hauteur de son sujet. Conseil d’ami, économisez un billet et revoyez plutôt Désigné Coupable ou The Card Counter.
François Léger
Et aussi
Au fil de l’eau, programme de courts métrages
100 millions !, de Nath Dumont
Las demas, de Alexandra Hyland
Novocaïne, de Dan Berk et Robert Olsen
La reprise
Mais ne nous délivrez pas du mal, de Joël Seria
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