Toutes les critiques de Steamboy

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Certains ne savent peut-être pas que dans ce nouveau film d'Otomo Katsuhiro (Akira), les ambiances rétro-futuristes ne sont pas nouvelles. Cette parfaite synthèse entre tradition et modernité, entre les ères Meiji et post-Hiroshima était déjà présente dans Manie-Manie et Memories, les brouillons parfaits de Steamboy, oeuvre baroque et démente d'un démiurge de la catastrophe.
    En 1990, le nom d'Otomo commença à intriguer puis à exciter quelques lecteurs. Cette année-là fut publié Akira, le premier manga à être édité en France. Puis, en mai 1991, l'onde de choc fut totale, sismique et internationale, avec la sortie de son adaptation au cinéma. Le phénomène Akira avait commencé. En devenant un objet de culte "teen" et "punk soft" pour toute une génération d'initiés, un auteur naquit; et surtout, l'animation japonaise devint un objet d'idolâtrie sans précédent. Peu de temps avant Akira, film où triomphait une obsession apocalyptique "post moderne" tendance Mad Max de la crise économique, oeuvre monstre où corps et matières s'absorbaient et fusionnaient, Otomo signait l'un des trois sketchs de Manie-Manie, aux côtés de Tarô Rin et Kawajiri Yoshiaki. Dans ce court-métrage, Otomo montrait déjà sa passion pour les ambiances et les machines partagées entre deux époques. On y observait déjà une obsession du détail, un souci maladif des mécanismes, engrenages, tuyauterie, visses et autres soupapes, passant par la représentation d'un Japon du passé dans lequel se croisent les objets fantasmagoriques d'une modernité industrielle aujourd'hui encore en devenir. Avec Manie-Manie, Otomo livrait le croquis de Steamboy, grand film monomaniaque obsédé par le devenir de l'homme avec ses machines.Ces caractéristiques qui unissent Manie-Manie et Steamboy montrent une certaine cohérence dans le parcours de l'auteur. Pourtant, ce dernier n'a plus grand chose à raconter, du moins en apparence. Il hésite voire parfois renonce à jouer les dramaturges. Il ne paraît guère convaincu par l'histoire de son héros, Ray, jeune inventeur en pleine époque victorienne, fils et petit-fils d'ingénieurs-inventeurs partis pour l'Amérique tandis que sonne l'heure de la grande révolution industrielle. Mais ne faisons pas un mauvais procès à l'auteur. L'itinéraire de ce jeune homme découvrant les bons et les mauvais côtés de la science et du progrès (en résumé, machine de guerre et capitalisme contre amélioration du quotidien et loisir), partagé entre les obsessions démiurges de son père et l'humanisme de son grand-père, suit en filigrane les questionnements de l'auteur. Mais c'est par sa surenchère monstrueuse d'images et de scènes où compte plus le souci du détail millimétré que le film va à l'essentiel, en montrant une certaine tendance à l'effacement des figures et du drame au profit d'une émotion visuelle des plus singulières et finalement complètement cohérente. Steamboy devient là un objet passionnant, sidérant, un film où les volontés partielles de discours ont moins à être lues que vues. La nouvelle oeuvre d'Otomo défait toute tentative d'assimiler le discours à un récit, et demande à être regardée pour ce qu'elle est, du cinéma, des images. Le film, par son souci scrupuleux des matières (vapeurs, fumées) et mécaniques (engrenages, pistons, courroies), son attention portée aux textures et architectures baignées dans une tonalité automnale mélancolique, ses décors dessinés avec un réalisme hallucinant, ou encore son déluge d'inventions délirantes liées au thème de la vapeur, travaille une esthétique dans laquelle le regard se confond, se noie jusqu'à l'ivresse. Ainsi importe moins le sens de l'action que l'action elle-même, cascade d'effets technique et d'objets mécaniques nous plongeant dans une expérience sensorielle. Dans Steamboy, le personnage principal est moins Ray que la vapeur. Le véritable drame du film réside d'abord dans cette succession d'engins, de décors délirants et d'inventions modélisées entre passé et avenir. Une synthèse qui n'a rien de surprenant pour les Japonais, citoyens du pays peut-être le plus fortement marqué par le partage entre la tradition et la modernité, entre l'ère Meiji et Hiroshima, la révolution industrielle et Nagasaki, un capitalisme aveugle qui ne se pose aucune question et un passé qui, pour eux, est caché dans le présent.Steamboy est aussi une métaphore. Otomo ne cesse d'élaborer un monde avec une minutie malade pour ensuite le détruire. Entre faire et défaire, l'homme se trouve ainsi le maître d'un nouveau pouvoir qui lui échappe et le pousse vers le chaos. Tout passe par la technique, la mécanique, la machine, de la terre à la mer jusqu'à une cathédrale volante et démente qu'on croirait dessiné par Gaudi. L'homme peut tout conquérir et ainsi tout détruire. Cette approche philosophique sur la création, véritable palimpseste esthétique sur le progrès et ses excès, Steamboy le fait vivre par son déluge de formes parfaites qui petit à petit dérivent vers leur anéantissement. L'image avec les matières, le mouvement, emporte et situe sans cesse le regard vers ce tableau où le monde devient une vision paradoxale entre réalisme et fantasme, une fantaisie de démiurge qui imagine et compose un monde devenant une abstraction sensorielle.Steamboy passe ainsi à côté d'un récit sans doute sacrifié à quelques impératifs commerciaux, mais se révèle être un film passionnant en compensant ce défaut par une surenchère esthétique fulgurante. Il signe l'apothéose délirante du génie et de l'imaginaire incontrôlable de certains artistes japonais (certes toutefois de plus en plus rares) pour lesquels le fond réside en la forme. D'un regard (iken en japonais), l'on perçoit ce monde tel qu'il est et se montre à nous. Pour les Japonais, les deux pôlarités (forme/substance, contenant/contenu) ne laissent pas établir un possible cheminement de l'une à l'autre. Elles s'impliquent instantanément, la forme donnant en partie la substance. Steamboy est ainsi une oeuvre dans laquelle il est inutile d'aller chercher le caché, les secrets d'une quelconque lecture classique du récit. Tout est à l'image, elle seule nous parle et est la preuve irréfutable des visions apocalyptiques et optimistes du génial Otomo Katsuhiro.Steamboy
    Un film de Otomo Katsuhiro
    Japon, 2004, 110 mn
    Avec les voix de : Suzuki Anne (Ray Steam), Konishi Manami (Scarlett), Tsukayama Masatane (Edie Steam), Nakamura Natsuo (Loyd Steam), Kodama Kiyoshi (Robert Stephenson).
    Sortie nationale le 22 septembre 2004[illustration : © Gaumont Columbia Tristar Films]
    Sur Flu :
    - entretien avec Hayao Miyazaki (2001)
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    - Le site officiel du film