Première
Que peut un homme dans l’antre du patriarcat ? Revêtir la cravate et s’en aller glaner quelques pécules dans une tour de verre. Rester. Rester celui qu’on attend de vous. Ou s’échapper, le soir venu, vers les contrées érotiques d’un cabaret. Rêver d’amour. L’élégant Joyland, premier long-métrage du Pakistanais Saim Sadiq, 31 ans à peine, ose la question.
C’est l’histoire d’un type, Haider (Ali Junejo), venu de Lahore (deuxième ville du Pakistan), à l’étroit dans son couple, emprisonné dans une famille patriarcale et des lois désuètes. On l’intime de se ranger. Devenir père, égorger des chèvres, trouver un job, avoir des horaires et des épaules carrés, « se viriliser ». Il exécute. Déniche un petit boulot dans un cabaret. Rencontre une danseuse trans saisissante Biba (Alina Khan). Tombe en amour. Saim Sadiq filme, sans effet démonstratif, la banalité d’une liaison amoureuse, les premiers émois, les longs dilemmes, les tabous, le retour des mœurs locales. L’amour est politique chez Sadiq. Politique et mélancolique. Il tisse des liens impossibles, fixe des caractères et révèle des libertés. Il danse aussi, rit, colore, saigne. Fait la différence.
Si le film a failli faire, mi-novembre, les frais de la censure du gouvernement pakistanais (qui a finalement revue sa copie suite à la polémique engendrée), il a d’ores-et-déjà acquis une renommée internationale. Premier long-métrage pakistanais en Sélection officielle à Cannes et Prix du jury Un certain regard en mai 2022, Joyland s’apprête à postuler aux Oscars 2023. Pour le meilleur.
Estelle Aubin