Première
par Sylvestre Picard
Au large de la côte syrienne, un sous-marin français attend de pouvoir récupérer une unité spéciale de nageurs de combat. Mais un autre submersible rôde, et seul le jeune Chanteraide, « l’oreille d’or » du navire français, est capable, à l’aide de ses écouteurs et de ses micros, de décrypter les bruits de la mer et de repérer le sous-marin ennemi. La tension est affolante, pourtant, c’est seulement la scène d’introduction du Chant du loup, et tout le film pourrait se tenir là, encapsulé dans son habitacle de submersible un peu bricolé : ces hommes d’équipage qui se serrent dans un espace réduit en utilisant un langage ésotérique, incompréhensible, bourré de chiffres et de symboles (« Trouve-moi une solution en 5-0-7 ! J’adopte ! ») qui donne une poésie inimitable (bien que militaire) à la moindre phrase. Ce langage technique est aussi celui du cinéma d’action américain, auquel Le Chant du loup fait référence en permanence : on pense évidemment au doublé À la poursuite d’Octobre rouge et USS Alabama, deux films de sous-marins pensés comme des duels mentaux, des parties de wargames sous l’eau et entre hommes.
OREILLE D'OR
Bien que très viril, le film de Baudry n’est pas non plus un actioner rutilant avec femmes sexy, méchants slaves et grosses bagnoles tunées -la formule à laquelle se résumait le genre en France durant les vingt ans de domination Europa-Corp. Mais, malgré une production carrée (et le soutien de l’armée, indispensable pour porter une production de cette ampleur), Le Chant du loup n’est pas Les Chevaliers du ciel sous la flotte. Pour sa première réalisation, Antonin Baudry, auteur de la BD Quai d’Orsay (sous le pseudonyme d’Abel Lanzac), n’envisage pas son film comme un document ni comme une métaphore politique mais comme un véritable thriller, où les personnages s’identifient à leur fonction. François Civil, Omar Sy, Reda Kateb et Mathieu Kassovitz : l’oreille d’or aussi autiste que tête brûlée, le sous-officier humain et héroïque, le commandant calculateur et froid, l’amiral vétéran et mal léché... Ce n’est pas le moindre des mérites du film que de penser le pont d’un sous-marin comme celui d’une scène où s’agitent quelques-uns des plus grands -à la fois en termes de jeu et de stature- acteurs français contemporains, et de faire identifier son spectateur au personnage du p’tit nouveau François Civil (déjà épatant dans Burn Out, film de moto surstylé et pas si éloigné du Chant du loup, mais que vous avez peut-être loupé en salles l’an passé).
ACTION PURE
Baudry, ancien diplomate, vient du monde du langage et de l’écrit, et ça se sent (le film s’ouvre sur une belle citation d’Aristote) : du point de vue technique, son premier film porte forcément des traces d’huile et de rodage, et ne parvient pas à atteindre l’épure d’une horlogerie suisse, mais à l’arrivée, son Chant du loup se situe à des milliers de miles nautiques au-delà de la concurrence en termes d’ambition et de carrure. Et le résultat est là. On agrippe son fauteuil, on retient son souffle, on se sent avec les personnages, entraînés par leur sens de la loyauté et de l’amitié (et non le sens du devoir cocardier) à accomplir un sacrifice inimaginable. Sous son ambition inédite dans le genre des films de guerre, voilà un cinéma d’hommes, pas couillu (bien qu’un peu sacrifié, le seul personnage féminin incarné par Paula Beer donnera au film un plan final superbe et déchirant) ni macho ; un cinéma qui recherche l’action pure et, dans ce but, met l’humain au centre de sa mécanique. Malgré sa gueule radicalement inédite dans le paysage cinématographique français, aller voir Le Chant du loup n’a rien d’un devoir patriotique. C’est simplement l’occasion de découvrir un bon film, un vrai.