- Fluctuat
Le film de morts vivants est synonyme d'époque dépressionnaire. Zombie (Dawn of the dead), le chef d'oeuvre ultime de Romero et Argento (monteur de la version européenne, la meilleure), déjà passé entre les mains de Danny Boyle pour un remake déguisé et british (28 days later, un peu raté), fait aujourd'hui l'objet d'un remake distribué par Universal. Efficace et sans cynisme, cette nouvelle version est l'occasion de nous montrer intelligemment comment les images ont aujourd'hui contaminé le monde.
L'histoire est à peu de chose près la même : un groupe de survivants trouve refuge dans un centre commercial assailli par une horde de morts vivants, dont les morsures contaminent et transforment en zombie en quelques heures à peine. Après un prologue d'une certaine efficacité qui fait d'emblée la différence (ici, il n'y aura pas de second degré), le film de Snyder (jusqu'alors publicitaire connu et récompensé) pose rapidement ses partis pris. Désormais, il s'agit moins, comme chez Romero, d'un pamphlet anarchiste, d'une vision d'un monde sombrant dans une apocalypse réaliste. Pour Snyder, il est n'est plus vraiment question de faire parler la réalité, d'avoir un discours qui soit dans un rapport significatif. Peu importe que l'image soit à lire, qu'il s'agisse de politiser le réel par une fable gore.En effet, dans ce Dawn of the dead moderne (rebaptisé pour la France L'armée des morts), nous sommes passés de l'autre côté. Il n'est plus question de rabattre le discours dans la représentation, mais d'en jouer comme des objets déjà constitués. Ceci est posé très rapidement dès le générique : images vidéos salies, pixellisées, import direct d'actualités CNN où on distingue une prière musulmane. Ce montage permet d'une part de nous montrer l'étendue chaotique de l'invasion des zombies, tout en jouant sur le regard par l'image : est-elle une preuve ? Sa texture peut-elle être une donnée du sensible, de l'intelligible, du visible ? Tout en actualisant aussi ce qui était déjà présent chez Romero : l'impuissance des survivants face aux images les isolant, la présence obligée des médias comme unique relation moderne au monde. D'autre part, ce montage est une manière de montrer rapidement qu'ici tout se jouera non plus dans un rapport à une réalité décalée et pourrissante (le style, la photo de Romero empruntait volontairement une esthétique télévisuelle de l'époque, qui lorgnait vers une approche documentaire) mais aux images de notre modernité.Tout s'insère dans un flux recyclable, où le monde comme le cinéma n'a plus à être représenté selon ce qui serait une possible construction d'un dispositif cernant la réalité (même fantasmé chez Romero), car aujourd'hui celle-ci se confond avec ses propres productions, ses propres images. Pour exemple, ce qui ressemble à de la citation : la présence de Tom Savini (créateur des effets spéciaux et acteur chez Romero, une célébrité) en shérif aperçu dans des actualités, ou encore de Ken Foree (acteur chez Romero) en télévangéliste, qui cite ses propres lignes de dialogue tirées du premier film. Manière de montrer, à l'initié particulièrement, que Dawn of the dead, c'est déjà du passé, des images, toute une culture qui va avec, et que désormais il va falloir faire avec, les réactualiser pour tenter d'en faire vivre l'idée de leur essence. Dès lors, sur ses bases, Snyder ne se refuse rien. Les zombies n'avanceront plus de manière lente et désordonnée mais se propulseront rageusement sur leur victime. Plus question de jouer sur le contraste d'un espace par lequel les personnages seront définis, mais au contraire sur la multiplication de personnages auxquels on ne s'attache quasiment plus, insérés dans un espace dont le seul enjeu est les potentialités de risque.Ces choix permettent à Snyder d'entièrement rabattre son film du coté d'un rapport purement jouissif aux images qui, en apparence, ne se soucient plus de faire discours, mais seulement de créer des tensions, maximiser l'intensité dramatique, saturer les effets. Nerveux, rythmé, le film s'adapte à son époque. Il prend sa forme tout en tentant de capter et réactualiser le souvenir de Romero. Moins qu'une question de regard, chez Snyder il s'agit d'immersion, d'un plongeon dans un cinéma où ce qui compte avant toute chose est de participer. Il s'agit donc d'une modernisation de Dawn of the dead où la question d'une critique des sociétés consuméristes et industrielles n'a plus lieu d'être, car désormais le discours (qui désormais a bel et bien basculé du coté du cynisme) ne peut passer seulement qu'au travers des images (et non plus comme contrepoint dialectique), mais aussi parce qu'il est devenu impuissant et inutile dans un monde accepté, où il n'est plus question de lutter. Le centre commercial est un fait, une institution indiscutable. A sa manière, Dawn of the dead montre comment tout est monté d'un cran au-dessus : l'éthique de l'image ne fait plus question (tout en conservant pourtant ses gardes fous en Europe, mais ceci est une autre histoire), tout doit passer par elle, même le film (avec sa photo saturée rappelant une esthétique publicitaire). On ne cherche plus à élaborer une critique du monde, mais seulement montrer comment on va s'en sortir. Les corps des personnages en nombre servent plus de prétexte à la destruction. On s'amuse à tirer sur les zombies dans un ball-trap débridé en leur donnant des noms de stars. Seul compte la sensation, la jouissance, qui par ses choix de mise en scène révèle comment toute la question de la réalité - elle-même apparemment toujours plus fausse et donc vraie - devient impraticable autrement qu'en passant par les images.Images toujours, comme le final du film, qui n'hésite pas à prolonger habilement la fiction vers une autre lors du générique, où les personnages fuient sur une île. Comment ne pas voir en cette terre, ce bateau qu'on accoste, ce plan sur les vers, le tout entraperçu à coup de charcutage de bande vidéo numérique, un certain atterrissage méta filmique du coté du Zombie 2 de Fulci ? Cette passerelle habile montre encore comment Snyder, bien plus intelligent que malin ou cynique, a su profiter encore une fois de notre rapport constant aux images et au cinéma. En jouant avec réminiscence et actualisation des procédés, il s'empare autant des possibilités du cinéma, de la télévision, du clip ou encore du jeu vidéo. Film de minuit idéal, Dawn of the dead est un bon antidote à tous les parangons factices et post modernes ayant tenté de marcher sur les plates bandes d'un genre devenu une simple manière de se situer face aux images. Frontal, excessif, même si parfois un peu décevant, le film donne la preuve qu'arrive enfin entre les mains de jeunes réalisateurs, des productions leur permettant de faire revivre les films qui les ont nourris dans leur adolescence et dont ils ont su tirer et réactualiser l'originalité et l'authenticité. Ce n'est pas ça qui en fait un grand et véritable cinéma populaire à célébrer (il est encore justement trop question de souvenir et pas assez d'exploitation pure comme la grande époque du cinéma italien), mais ce n'est déjà pas si mal.L'armée des morts (Dawn of the dead)
Un film de Zack Snyder
D'après l'oeuvre de George A.Romero.
Avec : Sarah Polley, Ving Rhames.
Sortie nationale le 30 juin 2004[Illustrations : DR Metropolitan FilmExport]
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