Première
par Elodie Bardinet
22 ans après sa sortie américaine, Jumanji a droit à une suite. Que personne ne réclamait vraiment, mais Sony nous l’offre quand même à Noël. Après tout, le concept du jeu familial plus dangereux qu’il n’y paraît est par principe assez large pour multiplier les histoires remplies d’animaux sauvages et de pièges à couper le souffle. Alors, pourquoi pas ? Dans cette version 2.0, les règles ont changé. Jumanji ne s’invite plus dans le monde des joueurs pour chambouler leur quotidien tranquille, mais ce sont eux qui basculent dans son univers cruel
Bienvenue dans la jungle
Dès la scène d’intro, le ton est donné : les jeux de plateau, c’est ringard, il est temps de passer aux jeux vidéo. Après l’aspiration d’un ado en 1997, le jeu embarque dans la jungle de Jumanji quatre lycéens de notre époque, le geek peureux Spencer (Alex Wolff), la bêcheuse Martha (Morgan Turner), le sportif musclé Fridge (Ser'Darius Blain) et la pom-pom girl Bethany (Madison Iseman) –vous avez dit clichés ? On sait que celle-ci grouille de menaces en tous genres depuis qu’Alan Parrish (Adam Hann-Byrd enfant, puis Robin Williams adulte) y est resté coincé 26 ans dans le premier volet. En intégrant le jeu, les quatre jeunes sont remplacés par des avatars : le geek devient un leader charismatique (Dwayne Johnson), l’intello de service une aventurière sexy (Karen Gillan), le sportif un petit porteur de sac (Kevin Hart) et la bimbo, un gros cartographe (Jack Black). Pour s’en sortir, ils devront faire face à de nombreux pièges et résoudre des énigmes pour atteindre le niveau final. Chacun a trois vies, mais attention : après trois "game over", c’est fini (le film laisse entendre que celui qui meurt dans le Jumanji meurt vraiment).
Cette suite mise avant tout sur le fun, et parfois ça marche : quelques règles du jeu sont franchement rigolotes, comme l’explication des PNJ/personnages non-joueurs et des fonctionnalités de chaque avatar (Kevin Hart qui sert d’inventaire mais est incapable de courir vite, The Rock qui possède l’art du "punch" et un pouvoir de séduction hors normes …). Le côté "méta" de ce nouveau concept peut également faire mouche : assumant pleinement ses clichés scénaristiques, l’équipe joue avec, ce qui donne parfois des scènes piquantes (quand l’aventurière en mini-short s’énerve, car elle est la seule à porter une telle tenue pour explorer la jungle, par exemple). Dommage que ces bons gags soient noyés dans un récit trop souvent prévisible et quelques blagues franchement balourdes (la scène des deux ados incapables d’échanger un baiser correct est gênante, tout comme celle où l’héroïne tente de draguer deux gardes après avoir suivi les conseils de Jack –Bethany- Black). Le jeu vidéo en lui-même est par ailleurs assez mal construit : on ne visualise pas vraiment les différences entre les niveaux, le méchant, joué par Bobby Cannavale, n’a absolument pas la carrure d’un boss de fin, on retrouve à peine les codes du "gaming"…
Ces faiblesses scénaristiques sont en partie sauvées par le casting, qui s’amuse visiblement beaucoup. Dwayne Johnson et Kevin Hart, qui partageaient déjà l’affiche d’Agents presque secrets l’an dernier, prennent un malin plaisir à s’envoyer des vannes, Karen Gillan parvient à créer une héroïne attachante malgré sa construction bateau, et Jack Black s’éclate à jouer une jeune fille écervelée. Si l’évolution de son personnage n’a rien d’original, il sort son épingle du jeu en misant à fond sur sa fibre comique.
"Dans la jungle tu attendras, un cinq ou un huit te délivrera"
Le plus frustrant, dans ce nouveau Jumanji, c’est qu’à force de modifier les règles du jeu, il devient difficile d’y retrouver l’esprit du premier film. Si certains effets-spéciaux peuvent paraître un peu vieilliots aujourd’hui, cette comédie pour toute la famille fourmillait d’excellentes idées : les pièges de plus en plus impressionnants, le méchant joué par l’acteur qui incarne le père du héros pour accentuer les enjeux dramatiques de l'histoire, le petit garçon qui est transformé en singe parce qu’il triche… Et elle était portée par un casting particulièrement attachant, le regretté Robin Williams en tête. Avec Bienvenue dans la Jungle, Jake Kasdan (CBad Teacher) tente de faire écho à cette ambiance, mais sans jamais retrouver sa folie destructrice, ni son humour ravageur. Ce n’est pourtant pas faute de faire vibrer les tambours, ni de réutiliser une partie du bestiaire original (le troupeau de rhinocéros, les moustiques, les félins…), mais Bienvenue dans la Jungle n’atteint jamais le niveau d’originalité de Jumanji. Et même l’hommage à Alan Parrish, teasé dans les bandes-annonces, est finalement minuscule.