Un monde de Laura Wandel
Tandem Films

Dans son premier long présenté à Un Certain Regard, la réalisatrice belge raconte le harcèlement scolaire en filmant à hauteur d'enfant. Un film impressionnant, étouffant, dont elle détaille la genèse.

Un monde met en scène Nora, une élève de primaire confrontée au harcèlement dont son grand frère Abel est victime, tiraillée entre son père qui l’incite à réagir, son besoin de s’intégrer et son frère qui lui demande de garder le silence, Pourquoi ce sujet- là pour un premier long ?

Laura Wandel : Mon impulsion d'écriture naît souvent d'un lieu. Et là j'ai eu spontanément l'envie de placer ma caméra dans une cour de récréation. Car j'ai le sentiment que c'est le premier lieu où, dans sa vie, on se retrouve en contact avec le monde extérieur et où on fait ses armes pour la suite. C'est l'apprentissage de l'intégration à une communauté. Et les graines qui poussent là, bonnes ou mauvaises, restent en nous et influencent nos vies d'adulte.

C'est aussi un des rares endroits auxquels les caméras n'ont pas accès, aujourd'hui où on a l'impression que tout le monde filme tout, tout le temps. Ca aiguise forcément votre appétit de cinéaste ?

Evidemment. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai passé énormément de temps dans une cour d'école pendant toute la phase d'écriture. Car il fallait que je me remette à jour par rapport à mes souvenirs personnels. J'observais, je prenais des notes...

Vous alliez aussi parler aux enfants ?

Eux, surtout, venaient spontanément me parler car ils étaient curieux de savoir ce que je faisais là. Et en retour, je leur demandais à quoi ils jouaient. En parallèle, j'ai aussi rencontré des parents pour qu'ils me racontent leurs points de vue à eux quand ils se sont retrouvés plongés dans des situations de harcèlement. Cela m'a conforté dans l'idée que, dans ce type d'histoire, tout le monde essaie de faire quelque chose mais qu'on vit dans une société où tout va tellement vite qu'on n'a pas le temps de prendre le problème à la racine et qu'on essaie juste d'éteindre des incendies au lieu d'empêcher qu'ils se déclarent

Le processus d'écriture d'une histoire d'une telle violences est-il violent ?

Indéniablement car quand j'écris, j'ai besoin de me mettre dans l'émotion des scènes. Et ce processus d'écriture a duré 4 ans. Être tout le temps là- dedans n'a rien d'évident. Je me suis inspirée de choses qu'on m'a raconté, de mes propres souvenirs... Mais je n'entend pas pour autant raconter toutes les cours de récréation, juste la perception de cette petite fille face à la situation qu'elle rencontre devant le harcèlement dont est victime son frère et qu'elle a au départ le sentiment d'être la seule à voir. Et la violence qu'elle peut ressentir se traduit aussi par tout un travail sur le son. Car une cour de récré, c'est un brouhaha permanent et assourdissant.

Comment avez vous construit le casting d'Un monde ?

Pour mettre les enfants à l'aise dans cet exercice évidemment inédit pour eux, je leur demandais de dessiner leurs cours de récréation et de m'expliquer les jeux auxquels ils jouaient, C'était là encore une source d'inspiration pour moi et une manière de voir ce que chacun dégageait potentiellement. Le processus a duré plusieurs mois. J'ai vu une centaine d'enfants. Et quand Maya Vanderbeque s'est présentée, presqu'avant même de me dire bonjour, elle m'a dit cette phrase incroyable: "je veux donner toute ma force à ce film". Elle a 7 ans à ce moment- là. Ses mots m'ont bouleversée et il y avait dans son énergie quelque chose que je n'avais jamais vu avant. Elle a même modifié la vision que j'avais à l'écriture de son personnage, Nora.

Comment dirige t'on les enfants dans des situations aussi extrêmes et violentes tant moralement que physiquement ?

Ma responsabilité est évidemment décuplée. Dès le départ, il a été évident pour moi que je ne leur ferai pas lire le scénario, que je leur expliquerai juste les très grandes lignes du récit, à savoir qu'il est question de harcèlement Puis on a construit toute une méthode de travail avec deux coachs exceptionnels . D'abord pour habituer les enfants à ne pas regarder la caméra. Ensuite pour travailler leurs émotions afin qu'ils ne soient jamais débordés par elles. On a ainsi travaillé pendant trois mois, tous les week- end où je leur expliquais à chaque fois le début d'une situation et je leur demandais ce qu'ils feraient et ce qu'ils pourraient dire face à elle, dans la "vraie" vie. On construisait donc la scène ensemble pour arriver souvent à ce qui était écrit dans le scénario mais en leur permettant de s'approprier la situation. Et je leur demandais alors de dessiner dans un cahier la scène en question. Et ce cahier, cette succession de dessins, est devenu leur scénario qui les a accompagnés à chaque instant du tournage. Il était essentiel pour moi que cela passe par des jeux d'enfants, qu'ils s'amusent et qu'on construise ensemble cette histoire. De toute façon, sans ce travail préalable, nous n'aurions pas pu tenir les 25 jours de tournage

L'idée de filmer cette histoire à hauteur d'enfants est née dès l'écriture ?

Oui, j'ai eu très tôt cette intuition de rester tout le temps à la hauteur de Nora et uniquement dans son point de vue. J'avais en tête les images de Rosetta, du Fils de Saul... Mon directeur de la photo Frédéric Noirhomme avait donc harnaché une caméra autour de sa taille et suivait Maya partout. L'idée était de s'adapter à elle, d'être tout le temps à l'affût de ce qu'elle faisait. On ne voit donc les visages des adultes que quand ils se baissent à sa hauteur. Je voulais que le spectateur se sente engagé dans ce récit, le ressente physiquement. La même logique a prévalu au choix de l'école pour tourner. J'avais besoin d'un lieu qui crée une ambiance pesante et envie de longs couloirs interminables pour que Nora ait la sensation de se perdre dans un monde trop immense pour elle. Un sentiment qu'on a tous ressenti enfant, je crois.