Fin 2021, elle nous avait reçus chez elle, à l’occasion du documentaire Jane par Charlotte, pour évoquer son parcours. Hommage en trois parties où il est ici question d’Antonioni, Gainsbourg, Delon, Romy Schneider et Bardot.
C’était une après- midi de novembre 2021, quelques semaines avant la sortie du magnifique documentaire Jane par Charlotte que sa fille Charlotte Gainsbourg lui avait consacré. Jane Birkin nous avait ouvert les portes de son appartement parisien de la rue du Cherche- Midi pour retracer sa carrière de comédienne et de réalisatrice. L’accueil y avait été aussi chaleureux que le lieu, véritable cabinet de curiosités qui nécessiterait des heures pour explorer les mille et un trésors et souvenirs qui le composent. Son chien s’était installé paisiblement à nos pieds et avait entamé une sieste qui allait durer tout le long de l’heure de confidences à laquelle elle s’était prêtée sans rechigner à emprunter la machine à remonter le temps. C’était sans doute parce qu’elle était profondément ancrée dans le présent que le passé ne lui faisait pas peur. Alors qu’on a appris aujourd’hui sa disparition soudaine à 76 ans, on a eu envie d’ouvrir à notre tour le livre de ce souvenir inoubliable avec elle. En trois parties pour survoler ses quasi 60 ans de carrière.
Comment le cinéma est arrivé vers vous ?
Grâce à ma mère ! Actrice était le métier qu’elle avait toujours voulu faire mais que mon père – avec qui j’ai, moi, toujours eu un rapport magnifique car il fut le premier homme à rassurer la jeune fille que j’étais – le lui avait interdit. C’est elle qui m’a poussé à aller auditionner pour une pièce de théâtre quand j’avais 17 ans. Je suis arrivée en ayant totalement oublié le texte qu’elle m’avait fait apprendre. Mais ce n’était pas grave car le personnage de cette pièce de Graham Greene était une sourde- muette, symbole de l’innocence qui finira écrasée par un autobus et violée ! Et ils ont trouvé que j’étais parfaite pour le rôle car j’étais maladroite et parce que j’étais totalement confuse d’avoir oublié ce que j’aurais dû savoir par cœur. Donc à 17 ans, me voilà avec Sir Ralph Richardson dans le plus grand théâtre de Londres… alors que je n’avais vraiment rien fait pour le mériter. Puis, un soir, je suis dans une boîte de nuit quand je suis tombée sur Roman Polanski et John Barry qui m’ont dit qu’il y avait une audition pour cette comédie musicale. Par quelle audace on pense qu’on peut chanter, danser et jouer alors que je n’avais aucune expérience ? Mais là encore, j’ai eu l’affront de le faire !
Vous aviez déjà le cinéma en tête ?
Oui, c’est même ce dont j’avais le plus envie. Toute jeune, à 14 ou 15 ans, j’ai tourné dans le premier film de mon frère Andrew car son amoureuse Hayley Mills tournait un Disney. J’y mourais de tuberculose sur les falaises de Brighton ! Et puis il y a eu aussi ce voyage que j’avais fait à Rome en 1965 avec mon père, dont la cousine Pempie était mariée avec Carol Reed qui était en train de tourner L’Extase et l’agonie avec Charlton Heston. Et je me souviens avoir demandé à Carol s’il pensait que j’avais une chance de devenir un jour actrice. Il m’avait répondu : « ça dépend si la caméra tombe amoureuse de toi ». Chose que je ne pourrai découvrir que quelques années plus tard lors de l’audition pour Blow-up.
Jane Birkin - Le cinéma et moi partie 2 : de Je t’aime moi non plus à La PirateComment en avez-vous été informée ?
Par la fille de Pempie et Carol, Tracy, qui devait passer ces essais. Je n’avais aucune idée de ce en quoi ils allaient consister. Je suis allée au rendez- vous. Je me suis retrouvée face à un mur noir et on m’a donné une craie pour écrire mon nom tout en étant filmée pour voir si j’étais cinégénique. Comme je suis dyslexique, ça m’a demandé énormément de concentration ! (rires) Et tout en le faisant, je me demandais ce que je faisais là. Je trouvais ça ridicule. J’ai commencé à pleurer et à ce moment- là, un très chic bonhomme est arrivé dans la pièce et m’a dit : « c’est parfait. C’est tout ce que je voulais savoir. » C’était Antonioni. Un homme d’une grâce absolue. Il m’a alors pris à part pour me dire qu’il voulait savoir si j’étais émotive, qu’il allait me donner deux ou trois pages mais pas le scénario en entier et que le rôle allait demander d’être entièrement nue
Comment avez- vous réagi ?
J’ai dit que je ne savais pas quoi dire. Il m’a laissé le temps pour réfléchir… et peut- être demander à mon mari. C’est ce que j’ai fait. Pas pour avoir son autorisation car j’étais tout sauf une femme soumise. Mais pour avoir son avis. Et il a éclaté de rire en me disant que je n’oserai jamais car même dans notre intimité, j’éteignais toujours toutes les lumières. Tout en ajoutant ajouté que si j’arrivais finalement à le faire, ce serait sans doute pour le plus grand metteur en scène du monde ! Et il m’a expliqué qui était Antonioni dont je n’avais alors pas vu les films, comme Jacques (Doillon) le fera plus tard avec Rivette. J’ai donc accepté. Ce n’est pas le rôle de ma vie. En tout cas, il me semble que c’était impossible de savoir si j’étais intéressante ou pas. Le rôle était trop petit. Mais par la suite, Antonioni m’a très gracieusement appelé au fil de ma carrière y compris lors d’une émission de radio que je faisais en direct pour dire que, de son point de vue, je méritais d’avoir le prix d’interprétation à Cannes pour Dust ! C’était si généreux de sa part. Et à l’époque, j’étais persuadée que je ne pouvais être que rien pour lui. Ca m’a énormément touchée
Vous vous étiez sentie bien sur ce plateau ?
Non. C’est impossible de se sentir bien quand on doit se déshabiller devant deux ou trois caméras. C’était un tel bordel que je ne me souviens plus précisément, si ce n’est qu’on avait dû enlever les vitres car des gamins grimpaient aux lampadaires pour regarder ce qui se passait ! Mon partenaire David Hemmings a vraiment été très attentionné avec moi. J’ai vu aussi le perfectionnisme d’Antonioni qui réglait la sueur sur le visage de David à la gouttelette près ! Même pour cette petite scène de rien du tout, j’ai eu l’impression d’être redessinée par cet architecte de l’image. Ca a duré un ou deux jours.
Mais dès lors, vous allez continuer régulièrement à tourner. Et le cinéma va bouleverser le cours de votre vie avec la rencontre de Gainsbourg sur Slogan de Pierre Grimblat. On raconte pourtant il n’était pas très heureux de vous avoir comme partenaire au début du tournage…
Oui et je comprenais à 100% ! Tout commence à Londres où je vais passer des essais dans le studio de David Puttnam. On était très nombreuses. Il fallait descendre des escaliers et j’ai tout de suite dit à Pierre Grimblat en mauvais français que je savais que mes jambes n’étaient pas extraordinaires mais que j’étais prête à subir une opération chirurgicale pour qu’elles soient moins arquées. Ca l’avait fait rire donc il m’a demandé de venir à Paris pour les essais suivants. Je lui ai dit que je ne pouvais pas car je devais rester en Angleterre m’occuper de ma fille Kate. Et finalement, j’y suis bien allée une semaine plus tard ! (rires)
Là encore, vous forcez votre destin !
Oui mais Grimblat avait vraiment insisté. Just Jaeckin qui m’avait vue ce jour- là avant que je descende le retrouver lui avait rassuré qu’il était la fille que j’attendais ! Une fois à Paris, j’ai essayé d’apprendre mes trois petites scènes en français en à peine une heure. J’ai prié pour avoir un mini- accident qui m’empêcherait d’arriver aux studios de Boulogne tellement je me sentais nulle de ne pas parler français et de ne pas comprendre ce que j’allais dire. Et en arrivant sur place, j’entends ce texte merveilleusement dit… par Marisa Berenson. Donc j’imagine le désarroi pour le pauvre Serge quand il m’a vue débarquer après cette sublime actrice qu’est Marisa. Une gourde incapable d’aligner trois mots de français. La seule chose que je faisais plutôt pas mal, c’était pleurer. Mais lui trouvait ça un peu dégoûtant de mêler sa vie personnelle et son rôle. J’ai revu ces essais récemment et je ne comprends toujours pas comment Pierre a pu me choisir. Sauf qu’une fois choisie, j’ai failli ne pas pouvoir revenir car c’était mai 68 à Paris et tout était bloqué. Finalement, j’ai pu revenir avec Kate, on logeait dans un petit hôtel avec mon frère qui lui faisait alors des repérages pour le Napoléon de Kubrick. D’ailleurs quand Serge m’a vu avec ce beau jeune homme, il a un temps cru que c’était mon fiancé et que j’étais ce genre de fille qui courait deux garçons à la fois. Andrew m’a gardé Kate et je suis partie tourner à Venise avec Serge. Mais c’est vraiment grâce à Grimblat que la glace a été rompue entre nous
Pour quelle raison ?
Je devais jouer une scène dans une baignoire où je devais paraître fou de bonheur dans ses bras. Mais dans le regard de Serge, depuis le début de tournage, je ne voyais que du mépris. J’ai dit à Pierre que je n’allais pas y arriver. Pierre m’a assuré que je me trompais, que Serge ne me méprisait mais que je l’intimidais. Alors il a organisé un dîner et s’est éclipsé pour nous laisser tous les deux. J’ai alors tiré Serge vers la piste de danse. Là il a marché sur mes pieds et j’ai compris que Pierre avait raison : tout était maladresse et charmant chez lui. Mais qui sait ce qui se serait passé sans ce dîner
On a l’impression qu’il va justement falloir attendre que vous tourniez sous sa direction dans Je t’aime moi non plus votre premier grand rôle pour que vous vous sentiez vraiment comédienne…
C’est vrai.
Même dans La Piscine de Jacques Deray, face à Alain Delon et Romy Schneider, vous n’aviez pas ressenti ça ?
Non. Sur ce projet, pour tout vous dire, j’étais d’abord surtout contente de pouvoir rester en France près de Serge. Car après Slogan, je devais rentrer à Londres car je ne voulais pas revivre ce que j’avais vécu auprès de John Barry : rester sans travailler aux côtés d’un génie. Je sais que la nuit avant mon départ Serge a pleuré toute la soirée de manière très dramatique devant une bougie de l’hôtel des Beaux- Arts ! (rires) Et puis on est allés dîner avec Grimblat et dans les escaliers, j’ai repéré un type un peu louche qui n’arrêtait pas de me regarder. C’était Jacques Deray ! Il était venu car Grimblat lui avait assuré qu’il avait trouvé la fille qu’il lui fallait pour le rôle. Me voilà donc partie le lendemain à Saint- Tropez pour rencontrer Alain et Romy et voir si je pouvais correspondre au rôle de la fille de Maurice Ronet. Et c’est parce qu’ils m’ont adoubée que je me suis retrouvée dans La Piscine. Mais une fois encore, je me sens comme une pièce rapportée. Et je le vis bien car je suis trop heureuse d’avoir avec moi Serge, Kate et mes parents. Honnêtement, je n’avais pas compris l’importance de mon rôle dans ce récit. Car sur le tournage, on ne voyait que Romy et Alain. C’était magnifique d’observer ce côté si profondément dense et érotique qui émanait d’eux, celui des ex- amants qui sans doute les dépassait.
Mais là encore vous ne vous sentiez pas à l’aise ?
Non mais aussi parce que Romy m’avait suggéré d’emmener Kate qui avait alors un an et demi sur le tournage puisqu’elle était venue avec son fils David et Alain avec Anthony qui avaient le même âge. Et puis un jour, je me suis fait engueuler par Deray car le tournage était ouvert à la presse et comme il voulait me faire passer pour une jeune fille de 18 ans, le fait que j’avais une enfant cassait son coup. Je me suis réfugiée dans les toilettes avec Kate et je refusais de sortir. Alors Romy est venue. Je lui ai expliqué ce qui s’est passé. Et elle m’a assuré que Jacques allait me demander pardon. Elle est allée le chercher et, à travers la porte, il l’a fait. C’était vraiment un film de mecs.
Quatre ans plus tard après La Piscine et le duo Delon- Romy Schneider, vous vous retrouvez face à un autre mythe : Brigitte Bardot dans Don Juan 73…
On était alors en vacances dans une maison que Serge avait loué à prix d’or pour nos deux familles : la sienne et la mienne. Et puis, le lendemain de notre arrivée, Vadim m’appelle pour me proposer le film. Alors on a laissé en plan les deux familles et on est rentrés à Paris. Et évidemment l’attrait de l’affaire était et reste Bardot. Un personnage tellement délicieux et dénué de toute ambition. Dans les scènes de nu, on ne savait pas quoi bien faire l’une et l’autre. Alors, je lui ai proposé de chanter une chanson… Et elle a commencé à fredonner… « Je t’aime moi non plus » ! Un moment inoubliable
C’était quand même fou de la retrouver ainsi… Vous pressentiez qu’elle allait arrêter sa carrière dans la foulée ?
Honnêtement non. Mais j’ai pu assister à une scène glaçante. On devait tourner quelques prises en extérieurs. Nos caravanes- loges étaient dans la rue. Et Vadim avait dû lui dire quelque chose de déplaisant au sujet des rushes de la veille. Elle pleurait beaucoup et alors que c’est elle qui faisait le clap, elle n’arrivait pas à articuler deux mots. Elle était en détresse. La scène avait lieu dans une voiture et quand on est sorties, en traversant la rue, j’ai vu les gens heureux de la voir malheureuse. Ca m’a sidérée ! Sans doute que cela a participé à son envie tout arrêter. Elle était si parfaite qu’elle représentait un danger pour beaucoup
Jane Birkin - Le cinéma et moi partie 3 : de Jane B. par Agnès V. à Jane par Charlotte
Commentaires