A voir sur Arte dans le cadre d’une soirée Kitano ou en replay sur arte.tv.
Beaucoup de spectateurs ont perdu le fil de la carrière de Takeshi Kitano. Après Zatoichi, en 2003, le cinéaste s’était lancé dans une série de films-essais conceptuels, collection d’ovnis réflexifs (Takeshis, Glory to the filmmaker !... ), qui ont désarçonné jusqu’à son fan-club. Il y eut tout de même la trilogie Outrage, a priori plus "accessible", mais même là, ce fut compliqué : seul le premier volet eut droit à une distribution en salles en France. Quelque chose semble s’être cassé dans le système Kitano, après les triomphes critiques, publics et festivaliers des années 90, de Sonatine à Hana-bi et L’Eté de Kikujiro.
Mais, au fond, il y a toujours eu quelque chose de "cassé" chez Kitano. Et pas seulement sa (belle) gueule, en partie défigurée après un accident de scooter. Quelque chose d’insondable, de mystérieux et d’insaisissable. C’est ce que raconte le beau documentaire d’Yves Montmayeur, Citizen Kitano, qui s’emploie à décrire et décrypter les mille visages du grand homme. Cinéaste génial, acteur magnétique, bien sûr, mais aussi comique cathodique, clown hystérique, écrivain, plasticien, "boufffon kamikaze"… Un peu comme si, en France, Alain Delon et Coluche n’avaient été qu’une seule et même personne.
Grâce à plusieurs entretiens exclusifs menés par Montmayeur avec Kitano himself, ainsi qu’aux interventions du spécialiste Michel Temman, on accède ici aux différentes facettes d’un artiste jamais aussi heureux que quand il peut prendre le contre-pied absolu de ce qu’on attend de lui. Réalisateur grave et mélancolique quand le grand public japonais attend sa prochaine facétie, poète méta quand les critiques espèrent son nouveau film de yakusas… Kitano lui-même donne ici quelques clés biographiques et psychanalytiques, en revenant notamment sur sa jeunesse de gamin des rues dans le Japon de l’après-guerre, toujours fauché et qui devait donc ruser pour assister au spectacle de kamishibaï, ce "théâtre de papier" ambulant. On est heureux de prendre de ses nouvelles, alors qu’il est censé repasser prochainement derrière la caméra (pour un film de samouraïs avec Ken Watanabe) et qu’un biopic (Asakusa Kid) racontera bientôt sur Netflix ses débuts sur scène dans les années 70… Plaisir suprême de ce documentaire : pouvoir admirer entre deux confessions ou analyses le sourire en coin de "Beat Takeshi", ses yeux rieurs. Très clairement ceux d’un indomptable sale gosse.
Citizen Kitano, d’Yves Montmayeur, sur Arte le 31 mars à 22h45 et en replay sur arte.tv jusqu’au 29 mai.
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