Rodeo de Lola Quivoron
(c) Les Films du Losange

Baptisé au festival de Cannes avec une polémique à la clef, ce film sensuel et nerveux refait surface au Champs-Elysées Film Festival. Critique.

Revoilà Rodeo, après le feu cannois où le film avait soulevé une tempête dans un verre rance. Ainsi dégagé des oripeaux qui l’ont vu paraître en grandes pompes avec les réseaux sociaux et C-News en chambres d’échos à la con, il est bon de le retrouver pour ce qu’il est vraiment : un bon film, inspiré, sensuel, nerveux, qui plonge le spectateur dans un bain qu’il n’a, à priori, jamais goûté. Où comment Julia (la révélation Julie Ledru), une jeune femme férue de deux roues va intégrer une bande de motards adepte du cross-bitume (sport motorisé extrême) et trouver un sens à une existence sans perspective. Sur Kombini en mode croisette, la réalisatrice Lola Quivoron, lunettes noires ad hoc, expliquait à propos du cross-bitume que : « … la pratique est criminalisée à mort, elle est illégale, car il y a eu des accidents… » Avant d’ajouter : « … Mais les accidents sont souvent causés par les flics, qui prennent en chasse et créent une forme de précarité qui poussent les riders vers la mort... » C’est là que le bât avait blessé… Est-ce cette « faute » de quart qui a valu à Rodeo le coup de cœur du jury d’Un Certain Regard à défaut d’un Grand Prix qui lui semblait promis ? On n’ose y croire.

Cinq événements à ne pas rater au Champs-Elysées Film Festival

Vie souterraine

Si on remet ça sur le tapis, c’est que le film de Lola Quivoron y apporte à rebours une lecture intéressante. Le film s’ouvre peu ou prou, sur un magnifique ballet motorisé façon Mad Max. On pressent d’emblée ce que le cinéma va permettre ici : révéler l’intrigante et sulfureuse beauté d’une fusion homme-machine. Fusion devenant un objet d’excitation que le film se chargera peut-être de titiller. Mais Julia aura à peine le temps de traverser ce miroir aux cylindres que l’irruption de la police provoque une évacuation précipitée et bientôt le décès d’un jeune rider.

Lola Quivoron maîtrise son sujet et sa représentation. L’important n’est pas tant de mettre en scène le spectacle d’une supposée bavure (tout reste hors champ), que d’en saisir sa triste finalité. Les circonstances qui ont vu la mort de leur copain ne sera d’ailleurs pas vraiment discuté au sein de la communauté. Le malheureux une fois enterré, verra son visage s’afficher sur la proue des motos en guise d’hommage avant de s’effacer complétement. Triste fatalité d'un mode d'existence extrême. La vie souterraine reprend illico son cours immuable. Pour Julia, en revanche, le défunt restera un ange aux allures de fantôme qui apparaîtra cycliquement dans ses cauchemars.

Le film délaisse peu à peu l’adrénaline du ride pour entrer dans un film noir. L’envers du décor du cross bitume abriterait en réalité un monde encore plus clandestin fait de trafics avec un taulard en guise de parrain. A ce compte-là, ce sont les adeptes de cette pratique qui pourraient voir d’un sale œil ce portrait "à charge".

Prise de pouvoir

Sauf que Rodeo est un récit immersif à la subjectivité revendiquée, la part documentaire reste en périphérie. Julia intègre ce monde et l’accorde à ses désirs. C’est une véritable prise de pouvoir sur le récit. Tout exsude et exulte avec elle. Julia, animal au sang chaud, ne dompte pas sa machine pour tenter d’improbables figures faisant d’elle l’as de la bande, elle est la machine elle-même. Son corps par une mécanique des fluides, redéfinit les contours de l’espace (effet Titane). Dès lors, quand la cinéaste approche de trop près les rives du réalisme social, le film perd immédiatement en intensité. Rodeo reste un film d’équilibriste autour d’une flibustière du bitume, une amazone aux yeux clairs… La (super-) héroïne avance de sas en sas, non pas pour revendiquer le droit de vivre, mais celui de renaître, enfin.  

Rodeo. De Lola Quivoron. Avec : Julie Ledru, Yanis Lafki, Antonia Buresi… Dist. Les Films du Losange. Durée : 1h45. Sortie en salles le 7 septembre.

Projeté au Champs-Elysées Film Festival :  le jeudi 23/06 à 18h30 (Cinéma Le Lincoln) et le Samedi 25/06 (Cinéma Le Balzac)