Une comédie musicale autour d’un narco- trafiquant mexicain décidant de changer de sexe ! Audiard surprend et enchante avec un trio d’actrices flamboyantes : Zoe Saldana, Selena Gomez et LA révélation Karla Sofía Gascón.
Voilà déjà quatre jours que la compétition a commencé et pour tout dire, on commençait un peu à s’impatienter. On y a certes vu quelques bons films (Bird d’Andrea Arnold en tête) et connu autour de Megalopolis une de ces batailles d’Hernani dont Cannes a le secret. Mais rien de vraiment saillant. Un robinet d’eau gentiment tiède. Et puis, tel Zorro, Audiard est arrivé ! Et enfin, et soudain, le festival s’est embrasé. Comme un match qui débute après un long entraînement.
Entre Audiard et Cannes, l’histoire d’amour a commencé voilà déjà 28 ans par un prix du scénario pour sa première apparition en compétition avec Un héros très discret. Suivront Un prophète (Grand prix en 2009), De rouille et d’os, la Palme d’Or de Dheepan en 2015 et Les Olympiades en 2021. Le plus mal accueilli et plus largement le film sans doute le moins aimé (mais défendu par Première) de son auteur et pourtant annonciateur à sa manière de cet Emilia Perez. Par sa volonté d’un pas de côté. Par ce désir de se renouveler sur la forme (le noir et blanc) comme dans son équipe technique avec ce geste romantique qu’on ne lui connaissait pas, avec ce côté fleur bleue assumé.
Sauf que Emilia Perez va plus loin, plus haut, plus fort. Une comédie musicale autour d’un baron de la drogue mexicain désireux de changer de sexe. Rien que ça ! Mais pas uniquement ça ! Un pari fou dans lequel Audiard mêle – sans mauvais jeu de mots – les genres avec une dextérité inouïe. Le chant, la danse, la tragédie grecque, le film d’action qui défouraille, le film de narcos, le mélo… Entrer dans Emilia Perez est la promesse d’un voyage inouï, spectaculaire, trépidant pendant 2h10 sans temps mort. Le récit s’ouvre sur Rita (Zoé Saldana), une avocate précaire forcée de mettre son talent au service de la défense de criminels qu’elle enrage de réussir à faire acquitter presque à tous les coups. Et dont la vie bascule la nuit où elle se fait kidnapper par ce narcotrafiquant, Manitas , pour l’aider à changer de sexe et devenir Emilia, la femme qu’il a toujours été au fond de lui, après s’être fait passer pour mort auprès de sa famille. Changer de sexe donc mais aussi de nature car dans un geste de rédemption, Emilia va créer une association de bienfaisance apportant son aide aux victimes des narcotrafiquants tout en se débrouillant – toujours avec l’aide de Lisa – pour réunir à ses côtés sa femme (Selena Gomez) et leurs enfants en se faisant passer pour une parente éloignée. Le calme avant la tempête… pour des questions de cœur évidemment, qu’on vous laissera découvrir le 28 août lors de sa sortie en salles.
Drogue, violence, transition de genre… Emilia Perez s’inscrit pleinement dans son époque donc mais ici, les sujets sont au service du film et pas l’inverse. Nulle trace de discours, de message à faire passer. Juste du cinéma. Rien que du cinéma. D’une fluidité scénaristique dingue au vu de la multitude de rebondissements qui s’y produisent, d’un premier degré assumé et tellement rafraîchissant dans une époque de cynisme roi. D’une qualité musicale renversante grâce aux mélodies si divinement ourlées par la chanteuse Camille et son compagnon Clément Ducol (jusqu’à une revisitation des Passantes de Brassens en espagnol qui vous déchire le cœur dans la toute dernière ligne droite), aux chorégraphies puissantes de Damien Jalet qui accompagnent, bousculent, dynamisent le récit sans l’écraser et qui symbolisent au fond ce qu’est Emilia Perez. Un film qui ne gonfle pas ses muscles mais ouvre les cœurs.
Et cela, il le doit aussi à l’incarnation de ses héroïnes. Le trait commun à tous les films d’Audiard, celui qui a révélé Tahar Rahim, Karim Leklou, Reda Kateb et offert quelques-uns des plus beaux rôles de leur carrière à Marion Cotillard, Vincent Cassel, Romain Duris, Matthias Schoenaerts... Dès le premier plan d’Emilia Perez, on a le sentiment de redécouvrir Zoé Saldana, la superstar d’Avatar à qui personne avant Audiard n’avait confié un rôle aussi riche de pleins et de déliés. A ses côtés, bien que dans un rôle plus secondaire, Selena Gomez brille, elle aussi, de mille feux dans le rôle de la femme volage par qui la tragédie va arriver. Mais dans ce trio, il y a une figure de proue. Une actrice dont le destin vient de basculer en ce 18 mai 2024, Karla Sofia Gascon qui, comme le personnage qu’elle incarne, fut aussi un homme avant sa transition en 2018. Dès qu’elle paraît à l’écran, tout prend une autre dimension. Son personnage, le cadre, ses partenaires, l’histoire qui nous est raconté. Ce soir, le festival de Cannes 2024 vient de trouver son favori. Celui auquel tous les autres films de la compétition vont désormais être comparés. Jacques Audiard n’a jamais été aussi proche de remporter sa deuxième Palme !
De Jacques Audiard. Avec Karla Sofía Gascón, Zoé Saldana, Selena Gomez… Durée : 2h10. Sortie le 28 août 2024
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