Tran Han Hung signe un film classique et somptueux sur la gastronomie, l’art de vivre et l'amour, avec Juliette Binoche et Benoît Magimel incandescents.
Le titre laissait craindre le pire (et permettait accessoirement toutes les blagues imaginables). Sa traduction anglaise est encore pire : “the pot-au-feu”. avouons qu'on s’attendait à une vieille soupe académique, un bouillon indigeste. Ce Dodin Bouffant ressemblait moins à La Grande Bouffe, qu’à un Festin de Babette franchouillard : pas vraiment le plat qu’on avait envie d’avaler à Cannes.
Le film s'ouvre sur une photo cuivrée et des intérieurs magnifiques. Puis pendant vingt minutes, on assiste à la préparation d’une tourte feuilletée… Arrive alors une scène, fantastique. Dodin Bouffant fait goûter une sauce à une jeune apprentie (une version gamine d’Anya Taylor Joy). Elle en devine la composition et, à chaque élément trouvé, la sauce se recompose progressivement à l’écran. Une belle idée de cinéma magnifiée par l’intelligence du montage et la composition impressionnante de la comédienne. En une séquence, Tran Han Hung vient de retourner le spectateur et de poser la note émotionnelle de son film. Après des années d'absence, le nouveau long du cinéaste est un grand film sur la culture française (la cuisine comme art suprême), doublé d'un portrait de personnages qui vont apprendre à s’aimer ou à s’apprivoiser dans une cuisine.
Inspiré par le roman de Marcel Rouff, La Vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, le film s'empare du personnage de ce gastronome épicurien du XIXème totalement fictif. Du roman, Tran Han Hung reprend surtout une anecdote : après avoir été reçu avec somptuosité par le prince d'Eurasie, Dodin va vouloir l'inviter à son tour et cherche un repas qui pourrait l'impressionner (lors du déjeuner à la cour, les invités du prince eurent le droit à des centaines de plats et plus de six services). en partant de ce mince prétexte, le cinéaste croise la fable, le regard documentaire et une love story sotto voce. Il y a d'un côté une expérience sensuelle et sensorielle de la cuisine. On découvre deux ou trois recettes filmées en temps réel et souvent en plan séquence. L'art culinaire est montré comme une succession de rituels et d'apprentissages récités, captés dans des plans lents, majestueux, vaporeux. On voit des légumes, des viandes, des poissons, des sauces et des vins. On découvre une liturgie de gestes, de postures, mais aussi des douleurs et des joies secrètes. Surtout Tran Han Hung agrémente son observation d'une belle et simple histoire d'amour entre Dodin et sa cuisinière Eugénie. Une passion contenue qui ne peut s'assouvir complètement parce que pour les deux personnages, seule compte vraiment la cuisine.
Et tout cela fonctionne. D'abord par la puissance et la grâce de cette lente succession d'images. Ici, nul fétichisme, nul exotisme historique. La maîtrise de Tran Han Hung est celle d'un sculpteur d'image qui donne vie au moindre cadre, saisit la moindre émotion. Il façonne son histoire dans une matière faite de durée, d'odeurs et de goûts. Il sublime une nature morte à laquelle il redonne constamment vie. Mais il peut pour cela compter sur un casting éblouissant et notamment sur son duo de stars. Binoche n'a jamais été aussi impressionnante (sublime oserait-on) dans un registre étonnamment contraint, tandis que Magimel est une fois de plus terrassant dans sa gestuelle et sa diction.
Dodin Bouffant est une masterclass d'acteurs qui confèrent à cet objet de cinéma une très forte intensité et un surplus d'émotions.
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