Que vaut le film de Laszlo Nemes, jeune cinéaste hongrois qui se confronte à la Shoah.
Dans le cadre format carré l’image est floue. Un homme marche vers nous, devient net en plan très rapproché. C'est l'image séminale de Shoah. Mais c'est surtout le héros du Fils de Saul qu'on ne quittera plus pendant toute la durée du film. Qui nous plonge caméra à l’épaule dans le travail quotidien d’un juif sonderkommando (forcé de collaborer à l'extermination) d’un camp d’extermination. Saul accompagne les déportés vers la chambre à gaz, fouille les vêtements laissés derrière, nettoie la "douche" du sang et des cadavres, et recommence. Et puis, sous la pile de cadavres, un enfant apparaît qui a survécu. Un officier allemand l’achève sous le regard de Saul, qui, obsédé par cette vision, va tout mettre en oeuvre pour donner une sépulture décente au corps, suivant le rite juif. L’ouverture du film est étouffante, stupéfiante et nous précipite dans l’inframonde de l’extermination, avec les cris et les coups des gazés hors champ. Répondant presque littéralement au débat Lanzmann / Spielberg. Faut-il montrer ? Jouer avec l'irreprésentable ? Le jeune réalisateur (38 ans) László Nemes a choisi et ne voit rien de la solution finale, mais entend tout avec les oreilles de Saul. C’est sans conteste de l’horreur pure. C’est aussi brillant que dérangeant.
Laszlo Nemes - Le Fils de Saul : "Je ne suis ni avec Lanzmann ni avec Spielberg"
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Premier long de cet ancien assistant de Bela Tarr, Le Fils de Saul convoque donc Lanzmann, mais aussi et surtout la surpuissance des images de Requiem pour un massacre comme autre film tutélaire. Le sujet radioactif, l’atopie du décor (la forêt pleine de brumes), les flammes dantesques, le format carré qui nous emprisonne dans le film, le rapport à l’indicible et au hors-champ… Pourtant, là où le film de Klimov construisait patiemment, graduellement en trois heures insurpassables en termes de cinéma son horreur jusqu’à l’apocalypse finale, Le Fils de Saul s’épuise et patine après son ouverture dingue. Le reste du film devient trop procédural, et l’errance circulaire de Saul dans le dédale du camp finit par s’affaiblir en bout de course. Là où Thierry Frémaux promettait en sélection officielle un film qui allait choquer, provoquer les débats, Le Fils de Saul est en fait plus lisse que prévu à cause de son essence même de film-concept. En se focalisant sur la tête et les épaules de Saul (qui ne quitteront presque jamais le cadre), en mettant le hors-champ dans le flou, il se tire une balle dans le pied et provoque une curiosité pour ce qu'il refuse de montrer. De là à le voir comme la caution choc du cru 2015...
Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)
Le Fils de Saul a remporté le Grand prix au Festival de Cannes 2015. Il sort en salles le 4 novembre.
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