Asif Kapadia : "Je voulais comprendre qui était Amy Winehouse"
Mars Films

CStar programme une soirée spéciale Amy Winehouse, en ce vendredi soir.

La chaîne profite de la sortie de Back to Black pour consacrer sa soirée à Amy Winehouse via le documentaire Amy, du réalisateur Asif Kapadia. Il est sorti en 2015 au cinéma, et nous avions rencontré son créateur pour parler de ce dernier hommage à la chanteuse décédée prématurément le 23 juillet 2011.

Cette diffusion coïncide également avec le 30e anniversaire de la mort d'Ayrton Senna : disparu précisément le 1er mai 1994, le pilote automobile avait le droit à un portrait de référence du même cinéaste, en 2011.

Première : Comment êtes vous passé de Senna à Amy ?

Asif Kapadia : Le directeur de Sony Music adorait Senna et il est venu me voir pour me proposer de réaliser un doc sur Amy. Senna était une légende. Et j’adore le sport. Amy est une londonienne, une fille que j'aurais pu croiser dans ma jeunesse ; j’aurais pu aller à l’école avec elle, la rencontrer dans un bus. Ce qui m’intéressait c’était de repartir du début et de voir comment elle avait explosé. Qu’est ce qu’il s’était réellement passé ? C’était quelqu’un comme moi ou comme mes amis, une fille devenue célèbre, trop vite, trop fort, parce qu’elle était géniale. Mais à un moment, tout s'est cassé. Pour répondre à votre question, il se trouve qu'il y a un lien direct entre Amy et Senna. Nick, son premier manager qu'on voit dans le film, et sa copine marchaient dans la rue à Londres il y a quelques années. Il pleuvait. Ils se sont abrités dans un cinéma et sont rentrés dans une salle. Nick a insisté pour aller voir Senna qui jouait. Ils ont pleuré devant le film et sont sortis du cinéma émus. Lui aurait dit alors à sa copine : "ce serait génial si quelqu’un faisait un film comme ça sur Amy". Deux ans plus tard, je le contactais parce que je commençais mes recherches sur Amy et il m'a dit : “normalement j’aurais dit non. Je refuse toutes les propositions d'interviews. C'est trop douloureux, trop fatigant, trop stressant, mais comme il m'est arrivé ça, comme j'adorerais que quelqu'un fasse un beau portrait d'Amy, je veux bien te rencontrer”

C’est le premier témoin que vous avez rencontré ?

Non, j'avais déjà croisé des gens de l'industrie. Mais Nick a été la première personne à me donner la clé du film. Je ne voulais pas faire un film sur des célébrités qui parlent d’elle, d'Amy. Je voulais comprendre qui elle était, rentrer dans son intimité, dans sa tête. Récupérer des choses personnelles d’elle.

Pourquoi avoir appelé le doc Amy ?

Parce que c’est le sujet. 

Mais pourquoi Amy et pas Winehouse ? Votre précédent film s’appelait Senna et pas Ayrton.

C’est vraiment une drôle de question… Mais sans doute pour bien manifester qu'il fallait rentrer dans son intimité.

Senna était construit sur la rivalité Prost/Senna. Comment avez-vous structuré celui-là ?

Les chansons. Quand j’ai découvert qu’elle avait composé ses chansons et qu’elle y mettait autant d’elle, j’ai su que c’était la clé du doc. 

Ce n’est pas vraiment une découverte…

Pour moi, si. Je ne le savais pas. Je ne connaissais pas grand chose d’elle en réalité et ça m'a permis de fonctionner à l’instinct, sans trop faire de recherches. J’ai ses disques, comme tout le monde, mais je ne l’ai jamais vu live et je ne savais pas grand chose de son environnement. C’est peut-être que je suis paresseux, mais je ne commence jamais un documentaire en me documentant. J’ai juste parler aux gens qui l’entourent… 

D’habitude les documentaristes creusent une obsession, effectuent un gros travail en amont….

Pas moi. Ca m’ennuierait de faire un doc sur un sujet que je connais par coeur. Au contraire. Quand je ne connais rien, je suis dans la peau du spectateur, et j’apprends des tas de choses en le réalisant. Et ce que je trouve intéressant, les spectateurs peuvent le trouver intéressant aussi. Si ça marche ! Je n’ai pas d’agenda, pas d’idées préconçues… Rien. Juste les faits et les vidéos. 

Mais l’ennui, c’est qu’on sait déjà tout d’Amy Winehouse ! C'est une star tabloïd.

Vous croyez ? Parce que vous connaissez la fin. Mais personne ne connait ses débuts. Vous saviez qu’elle écrivait ses chansons ? 

Euh… Oui.

Et de quoi Rehab parlait ? Et vous connaissiez son album Franck ?

Comme beaucoup de monde.

Je ne pense pas, mais de toute façon, ce n’était pas le sujet du doc. Ce qui m’intéressait c’était de voir ce qui mène à sa mort. Comment on y arrive. 

Et qu’est-ce qui l’a tué d’après vous ?

Je ne sais pas. Beaucoup de choses. Ses problèmes, l'industrie, le manque d'amour.... Mais je sais ce qui aurait pu la sauver. Je pense que le jazz aurait pu la sauver. Que tourner dans des petites salles l’aurait protégée. Chanter ce qu’elle avait envie de chanter. C’est de ça dont parle le film. De ça et des problèmes qui l’ont tuée. On a tous des problèmes dans la vie (des crédits, des ruptures...) mais elle, elle en est morte parce qu’elle ne les a jamais réglés et que l'industrie l'a sans doute trop exploitée.  

On a précisément l’impression d'assister à un meurtre industriel.

Il y a plein de facteurs. La musique est un business compliqué. En faisant ce doc, je me suis rendu compte d'un truc très bizarre. Dans le cinéma, quand tu fais un film, il y a une personne dont le rôle est d'aider les gens sur un tournage. De vérifier que tout se passe bien. C'est l'assistant réalisateur. Le réalisateur, les acteurs, les producteurs ont tous des missions précises, mais celle de l'assistant, c'est vraiment de protéger les gens. Dans la musique, ce métier n'existe pas et je crois que ça dit beaucoup de choses sur cette industrie. L'autre chose qui m'a frappé, c'est sa mort et la manière dont les médias l'ont traitée. C’est bizarre de rendre sa disparition si cool. Un journaliste meurt à 27 ans et personne ne se dira que c’est cool ! C’est stupide, triste. Pas cool. L’industrie a mis en scène sa mort d'une manière immonde. Dans mon doc, je n’ai jamais voulu rendre ça cool. Parce qu'il s'agissait d'une personnalité complexe, fragile, qui ne pouvait pas s’en sortir. Son rapport à ses parents, à son petit ami, son anorexie... la vie d'Amy était chargée et elle n'a pas tout réglé. 

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Vous jouez quasiment le rôle d’un psy...

Pas du tout. Mais le coeur du sujet c’est cette fille talentueuse qui n’arrive pas à être heureuse et qui se crame. Le sujet du film c’est ça, et l’amour. Celui qu’elle n’a pas reçu, celui qu’elle aimerait donner, celui qu’elle attend… Ses chansons ne parlent que de ça.

Vous n’avez jamais voulu vous concentrer sur la création de Back to Black ?

On en parle. 

De loin. Amy n’est pas vraiment un docu sur sa musique en fait

Mais si. Sinon, de quoi parle le film ? 

D’une petite fille juive qui ne réussit pas à gérer le succès et l’amour et qui finit mal.

Mais si j’avais fait un doc sur Back to Black ca n’aurait pas fait un bon film. La personne qu’elle est quand sort Back to Black n’est pas la véritable Amy. Tu te goures si tu commences là, ou si tu ne parles que de ça. Il faut la comprendre et pour ça, tu dois remonter un peu avant. Je ne voulais pas que Senna soit un film de sport. Et je ne voulais pas que Amy soit stricto sensu un film sur la musique. C’est sur une artiste. C'est un film sur l’art. Il n'était pas question de célébrer Amy. Je voulais qu’on découvre la véritable Amy. Avec des bonnes performances, des mauvaises. 

Plus de mauvaises !

Il y a de très beaux morceaux, de sublimes performances. Mais une partie de sa carrière, la fin, a été un ratage... 

La fin justement est très procédurale. Drogue, alcool, rehab... vous multipliez les scènes de cauchemars.

Parce que tout le monde connait ça. On sait deux choses d’Amy Winehouse. C’est une chanteuse. Et elle morte comme on sait. Du coup, je pouvais me contenter de documenter factuellement la fin de sa vie. La vraie révélation c’est qu'avant elle avait été heureuse. Beaucoup de gens pleuraient au début du film parce qu’ils découvraient qu’elle avait été drôle, maligne, provocatrice mais dans le bon sens du terme. Beaucoup de spectateurs pensaient qu’elle était un peu stupide et qu’elle foirait tout. L’émotion du film vient du changement. Du glissement progressif du bonheur vers le malheur. 

Vous citez beaucoup les tabloïds à la fin, vous les mettez en avant, vous utilisez même les flashs pour rythmer votre film. Vous n'avez pas eu peur de verser là-dedans ?

J’espère que j’évite cet aspect là. Que je ne suis jamais dans l’exploitation. Les tabloids me permettaient de contextualiser, d’expliquer ce qu’il se passait. J’ai vu beaucoup de choses bien pires que ce que j’ai laissé dans le film. Des trucs horribles, infâmes. Mais je ne les ai pas gardés. Par respect pour elle. J’espère juste avoir été respectueux. 

Bande-annonce d'Amy :


Notre critique d'Amy