Un Hitchcock / Truffaut nouvelle génération.
Guillermo del Toro est l’une des superstars de l’édition 2017 du Festival Lumière, la fiesta cinéphile organisée par Thierry Frémaux à Lyon. Invité à présenter son petit dernier La Forme de l’eau en avant-première, le cinéaste mexicain montre également ici des films de son panthéon perso (Le Doulos, Viridiana, La Planète des Vampires…), signe des exemplaires de son livre The Strain à ses fans, discute avec Michael Mann avant la projection de Heat restauré en 4K, se promène partout avec son copain Alfonso Cuaron, se régale dans les bouchons lyonnais…
Il a également donné une master-class durant laquelle il est revenu en détail sur l’un de ses doux rêves : un livre d’entretiens avec deux géants du cinéma, Michael Mann et George Miller. La veille, sur la scène de l’Auditorium de Lyon, Thierry Frémaux évoquait un hypothétique documentaire de del Toro sur Michael Mann. Mais non, il semblerait bien que ce soit un livre auquel pense le réalisateur de Hellboy. Voici le "pitch" de ce très intrigant projet, pensé comme une réponse au triomphe des séries télé :
"J’ai demandé à Michael Mann et George Miller de m’accorder deux semaines de leur temps, pendant lesquelles je les interviewerai sur le cinéma en tant qu’art. Aujourd’hui, le discours dominant, c’est de dire que le cinéma disparaît au profit des séries. Ce qui est vrai, en termes d’audiences. Moi, je suis accro aux deux, cinéma et séries. La suprématie du feuilleton (the long arc), en ce qui concerne l’intrigue et les personnages, est indéniable. La vitesse du téléchargement fait que notre intimité avec les séries s’est accrue. On va au lit avec, littéralement. On fait plus souvent l’amour à son iPad qu’à n’importe qui d’autre ! Les séries donnent naissance à des intrigues exceptionnelles, à des personnages exceptionnels. Quand tu dis Walter White, tout le monde sait de qui tu parles. Mais la grande différence, c’est que le cinéma, lui, fabrique du mythe et des images indélébiles. Pensez au plan de l’ascenseur qui s’ouvre dans Shining avec le flot de sang qui en jaillit… Vous pouvez dessiner ce plan, de mémoire. Pareil pour le bébé stellaire à la fin de 2001, l’Odyssée de l’espace. Indiana Jones pourchassé, émergeant du haut d’une colline. Le rasoir qui tranche l’œil dans Un Chien andalou. Chaplin coincé dans l’engrenage des Temps modernes. Ce sont des images mythiques."
"Nous devons élever le débat sur le cinéma"
"J’adore Deadwood, j’adore Les Soprano, mais je suis incapable de me rappeler d’un putain de plan ! Je pourrais vous citer des moments, bien sûr, quand Tony tue (spoiler), ou quand ils se perdent dans les bois, mais impossible de me rappeler quelle est la lentille, quel est l’angle ou quelle est la composition du plan. Notre art, le cinéma, n’est jamais discuté en ces termes. Pourtant, quand on parle d’un tableau, surtout depuis que la photographie a dispensé la peinture de l’impératif du réalisme, la base de la conversation, c’est la composition. La vigueur du trait, le pinceau utilisé… ce sont des éléments de langage très importants dans le discours sur la peinture. Nous devons élever le débat sur le cinéma, montrer ce qui rend notre art unique, discuter de la création et de la composition des images. Et je crois que Maître Michael Mann et Maître George Miller, qui sont d’intrépides fils de pute (fearless undomesticated motherfuckers) sont les interlocuteurs idéaux. Je veux faire ce livre pour ceux qui viendront après, qui découvriront le cinéma comme moi je l’ai découvert avec le Hitchcock / Truffaut. Il faut réévaluer les maîtres d’un point de vue formel. C’est important. »
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