Après 14 ans d’absence, le journaliste kazakh tente d’être encore plus dingue que l’Amérique trumpiste. Compliqué.
C’était écrit : Borat devait revenir un jour. Après tout, Ron Burgundy, le présentateur télé moustachu joué par Will Ferrell, a fait son come-back. Derek Zoolander a été ressuscité par Ben Stiller. Tous ceux qui avaient prophétisé le triomphe de l’"idiocratie" au temps de Bush Junior ont droit à un nouveau tour de piste. Avec, toujours, cette question en ligne de mire : quel impact la comédie peut-elle prétendre avoir quand le réel est devenu dingo ? Quand les mensonges débiles sont devenus la norme du discours politique ?
On avait un moment parié, devant la série Who is America ? (diffusée sur Showtime en 2018) que Sacha Baron Cohen en aurait bientôt fini avec les déguisements. Son génie transformiste n’avait certes jamais été aussi impressionnant et kamikaze, mais l’humoriste prenait le risque d’être bientôt trop identifiable sous les moumoutes et les postiches, d’autant plus qu’il essayait désormais d’attraper des poissons de plus en plus gros – toutes les stars de l’ultra-droite US défilant devant sa caméra, de Dick Cheney à Sarah Palin.
Ce problème – celui de l’activiste politique de moins en moins bien caché derrière le slip kangourou de l’entertainer – est souligné et mis en scène dès les premières minutes de Borat 2, quand le reporter kazakh, de retour aux Etats-Unis 14 ans après ses premiers exploits, est instantanément reconnu dans la rue par tous les badauds. Borat/Baron Cohen va donc passer le film sous d’autres accoutrements – une manière de dire, en creux, que la réactivation du personnage n’était au fond qu’un prétexte. Un moyen de rameuter le plus de monde possible devant ce tract anti-Trump, mis en ligne sur Amazon à dix jours des présidentielles.
Le comédien profite de ce flou artistique autour de Borat pour mieux laisser le champ libre à la fille de celui-ci, Tutar – qui est venue en Amérique pour être "offerte" à Mike Pence, vice-président de Donald Trump – ou "vice pussy grabber", comme on dit au Kazakhstan. Ce cadeau sera une manière pour l’envoyé spécial kazakh de resserrer les liens entre les USA et les dirigeants de son pays, qui admirent tous la poigne de fer de « McDonald Trump ». En chemin, le père et la fille (formidable Maria Bakalova, une révélation) vont croiser la route d’influenceuses Instagram, d’opposants à l’avortement, de chirurgiens esthétiques, de bourgeoises républicaines, qui tous aideront Tutar à réaliser son rêve : épouser un vieil homme blanc friqué et vivre "dans une cage dorée, comme Melania".
Difficile, comme toujours chez Baron Cohen, de savoir ce qui relève ici du "vrai" documentaire ou du pur bidonnage. Le rassemblement pro-Trump où Borat, dans la peau du chanteur Country Joe, fait entonner des refrains haineux à la foule ("Obama what we gonna do ? Inject him with the Wuhan flu !") a par exemple sans doute eu lieu "pour de vrai". On a plus de mal à croire à la séquence où il va vivre en confinement chez deux conspirationnistes débonnaires, même si Baron Cohen a récemment affirmé au New York Times qu’il était resté pour les besoins de cette séquence "in character" pendant cinq jours d’affilée. Les scènes en question ne donnent aucune impression de vérité. Mais après tout, peu importe : voir Borat faire des exercices de fitness en gode-ceinture à quelques centimètres du visage d’un redneck portant un t-shirt « Bien sûr que oui j’ai voté Trump » met quoi qu’il en soit de bonne humeur. Chez Baron Cohen, cette incertitude fait partie du deal depuis toujours, et n’est au fond pas très gênante si la séquence fonctionne dans l’économie comique générale du film. Du moment que c’est drôle et pertinent…
Borat 2 est donc ce road-movie très trash mais aussi assez tendre, une odyssée féministe au cœur de la misogynie trumpiste ordinaire, qu’on pourrait presque résumer par cette réplique géniale de Tutar : "My daddy is the smartest person in the whole flat world" ("Mon papa est la personne la plus intelligente de toute la terre plate"). Mais le voyage s’enlise dans la dernière ligne droite, quand arrive le climax, un canular politique énorme qui tourne en boucle, depuis la sortie du film, sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info. Après s’être infiltré à un meeting de Mike Pence déguisé en Donald Trump, Baron Cohen décide de piéger Rudolph Giuliani (ancien maire de New York et conseiller juridique du Président), via une interview bidon, menée dans une chambre d’hôtel par une Tutar déterminée à s’offrir à lui. La scène, qui avait déjà fait parler d’elle en juillet dernier (Giuliani, découvrant qu’il avait été victime d’un coup monté, avait appelé la police) a clairement été conçue pour servir de caillou supplémentaire dans la chaussure du parti Républicain, à quelques jours de l’élection. On y voit "Rudy", les mains baladeuses, demander à la journaliste son adresse et son numéro de téléphone, avant de s’allonger sur un lit en glissant sa main dans son pantalon… avant que Borat ne surgisse en sous-vêtements féminins, lui demandant de ne pas coucher avec sa fille de 15 ans (l’actrice en a 24) : "She too old for you ! Take my anus !". Sur le plan du happening politique, on peut estimer que l’acteur tapait beaucoup plus fort dans Who is America ?, en faisant dédicacer un kit de waterboarding à Dick Cheney ou en poussant carrément à la démission le parlementaire Jason Spencer. Cette scène avec Giuliani est problématique. Certes, elle met en évidence que le proche de Donald Trump ne se fait pas prier pour franchir la ligne rouge, mais c’est au prix d’une manipulation qui dessert le propos. Car avoir été piégé, allumé, chauffé, c’est précisément l’excuse fallacieuse qu’invoquent les agresseurs quand ils sont pris la main dans le slip. Et qu’invoqueront à n’en pas douter les supporters de Giuliani. On reste à la fois sans voix face à l’indécence du politicien, et gêné que le canular, par sa roublardise extrême, puisse aussi facilement être retourné contre lui-même par ceux qu’il entend dénoncer. C’est, si l’on peut dire, le serpent qui se mord la queue.
On ne peut en tout cas pas s’empêcher de se demander devant cette séquence en forme de parodie terminale de la politique-spectacle ce que l’agitateur sixties Abbie Hoffman aurait pensé de tout ça – Hoffman, grande gueule rigolarde et révolutionnaire, vient d’être magnifiquement ressuscité par Baron Cohen dans Les Sept de Chicago d’Aaron Sorkin. Sauf surprise de dernière minute, son meilleur déguisement de l’année.
Borat, nouvelle mission filmée, de Jason Woliner, avec Sacha Baron Cohen, Maria Bakalova… Sur Amazon Prime Video.
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