Réalisateur de l’emballant Marmaille qui marque ses débuts dans le long métrage, le Réunionnais nous raconte son parcours pour faire de son rêve une réalité.
Première : Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ?
Grégory Lucilly : J’ai eu très tôt envie de raconter des histoires. A l’âge de 9 ans, j’avais même écrit une nouvelle de 20 pages, Les Incroyables aventures de Monsieur Dragon au pays des hommes. J’en étais si fier que je voulais le faire lire à mon instituteur de CM1 et pour cela, je l’avais glissé dans mon cahier. Mais devant toute la classe, il a dit « Gregory, Les Incroyables aventures de Monsieur Dragon, je m’en fous un peu ! » C’était hyper violent à vivre. Si bien que je l’avais jeté dans une poubelle en rentrant chez moi. Pendant un petit moment, j’ai cherché à faire vivre ce truc qui était en moi sans savoir comment. Mon père avait senti que j'étais un garçon un peu solitaire, qu'il fallait trouver un peu une manière de m'occuper. Donc il m'emmenait beaucoup au cinéma et je me prends un premier choc avec L’Ours de Jean-Jacques Annaud. La fondation de tout sans doute quelque part.
Puis au collège, j'ai eu la chance de rencontrer une professeure qui, percevant que j’ai ça en moi, me pousse à écrire des rédactions un peu différentes et le virus s'empare définitivement de moi. Je vais m’intéresser de plus en plus au cinéma. Je dévore chaque mois Première, même si ce n’était pas simple de le trouver à La Réunion. Et l'année du bac, j'emprunte la caméra de mon lycée pour aller tourner un petit documentaire sur un sujet de philosophie autour de la folie au lieu de la traiter par une rédaction. Ce film-là est resté sur le banc de montage car je n'avais pas d'argent pour financer sa post-production. Mais c'était mon premier essai et, pour accéder à l'hôpital psychiatrique de Saint Paul je m'étais fait passer pour un journaliste de RFO qui venait faire un reportage. Mon stratagème avait vite été découvert mais et le chef de service avait été tellement étonné par ma démarche qu’il m'avait permis de tourner deux jours et de rencontrer des malades.
MARMAILLE : LA DECOUVERTE D'UN CINEASTE [CRITIQUE]Comment allez-vous réussir à faire de votre rêve de devenir cinéaste une réalité ?
Quand j’ai annoncé mon désir de devenir cinéaste à mes parents, on ne peut pas dire qu’ils aient été franchement enthousiastes ! (rires) Alors, pour parvenir à aller en métropole, j’ai fait une classe prépa et j’ai décroché le concours d’une école de commerce à Reims. Mais une fois sur place, je fais feu de tout bois pour rebifurquer vers le cinéma. J’y tourne des courts métrages en leur expliquant qu’il n’y a pas meilleur exercice de management. Et pour mon année de stage obligatoire, je réussis à intégrer l’équipe de marketing international chez Pathé. C’est à l’issue de ces douze mois que j’ai su que je ne finirais jamais mon école de commerce.
Vos parents ont réagi comment ?
J’éprouvais une vraie culpabilité car ils s'étaient endettés jusqu'au cou pour que je puisse faire mes études. Mais je crois qu’ils ont compris que ma passion était plus forte que tout. Et dès lors, je me démène. Je participe à des concours de scénario de courts métrages, j'enchaîne des petits boulots pour me glisser sur les plateaux de tournage. C’est sur l’un d’eux, celui de Hello Goodbye de Graham Guit en 2008 que je sympathise avec le chef opérateur Gérard Stérin. Et lui m’assure que si je veux être cinéaste, je dois me lancer et pas essayer d’enchaîner les postes d’assistant réalisateur. Cette phrase fut un déclic.
Qui provoque quoi concrètement ?
Je plaque de nouveau tout et je décide de rentrer chez moi à la Réunion. Car je tiens à faire mon premier court métrage sur place. A cette époque, contrairement à aujourd’hui où La Réunion est devenue une terre de tournage, il n’y a pas grand-chose pour faire du cinéma. Pas de loueur de matériel par exemple. J’ai donc dû me débrouiller avec les moyens du bord mais je me lance. Je suis convaincu que je suis prêt. J’écris un scénario de court métrage, j'y vais bille en tête. Et ce tournage me fait comprendre à quel point je n'étais pas prêt ! (rires) Car bien sûr, j'avais vu les choses en (trop) grand , j'avais fait fermer des rues, j'avais fait venir 200 figurants… Mais ce film a pu exister. Il a même eu sa petite vie en festival. Il ne remporte aucun prix mais ça me booste. Je vais donc en enchaîner d’autres, dont l’un en 35 mm car je tenais à me confronter à la pellicule. Et pour gagner ma vie, je travaille comme assistant réalisateur sur une série télé qui se tourne à La Réunion, un 70 fois 26 minutes pour France Télévisions, tourné en double équipe, avec quatre réalisateurs différents.
Quand va naître l’idée de Marmaille, votre passage au long métrage ?
A la fin de mon quatrième court métrage, je me dis qu’il est temps de me confronter au long. Et je reprends une idée de scénario qui est en moi depuis 2012. Car j’ai en moi la certitude que ce premier long, je le ferai à la Réunion et en créole réunionnais, même si je me doute que ce sera un frein pour le financement et que je ne sais pas encore que je vais rencontrer les gens de Ciné Nominé, les producteurs d’Un p’tit truc en plus qui m’accompagneront et me pousseront même à ne pas dévier de cette voie.
C’était quoi ce déclic pour ce scénario dans lequel un adolescent rêvant de devenir une star de break dance et sa sœur élevant seule son bébé qui, mis à porte par leur mère, se retrouvent placés chez leur père qu’ils n’avaient jamais rencontré. ?
Une visite dans les bureaux de la protection de l'enfance à Saint-Leu, où, au fil d’une discussion, une assistante sociale m’explique que les cas d’abandon d’enfants par leur mère est quelque chose d’au fond assez banal. Ca me paraît tellement inconcevable que je vais creuser la question en allant à la rencontre de magistrats, d’officiers de police judiciaire, d’enfants et d’adolescents qui ont connu cette situation. Je comprends que c'est un problème qui n'est pas propre à la Réunion mais assez universel. Et ça m’a incité me lancer dans l’écriture de ce scénario, à partir de la rage de mon personnage principal avec des scènes qui sont toujours présentes dans le film au final.
Vous avez déjà votre deuxième long en tête ?
Oui et je sais déjà qu’il se déroulera lui aussi à la Réunion !
Marmaille. De Grégory Lucilly. Avec Maxime Calicharane, Brillana Domitile Clain, Vincent Vermignon... Durée 1h32. Sorti le 4 décembre 2024
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