Pour la première fois, la cinéaste teinte de fantastique son cinéma social. Grâce à cela, elle réussit le portrait vibrant d’une gamine de 12 ans en quête d’un avenir meilleur.
Les premières minutes du nouveau Andrea Arnold révèlent tout ce qui va suivre… en en cachant l’essentiel. Cet apparent paradoxe initial est à l'image du film qui va peu à peu nous conquérir sans qu’on ait forcément vu venir venir sa puissance émotionnelle. Bird s’inscrit d’emblée sur le terrain de jeu de la cinéaste : la chronique sociale, l’enfance, le récit initiatique et la construction d'une gamine face à des parents absents ou défaillants. Le tout au son d’une BO brit-rock impeccable accompagnant à merveille chaque mouvement de ce récit. L'héroïne ici s'appelle Bailey. Elle a 12 ans et vit avec son frère et son père qui les élèvent dans un squat au nord du Kent. Le pater familias s’apprête à épouser une jeune femme rencontrée quelques jours plus tôt et compte bien faire fortune… grâce à un crapaud du Colorado qui crache une bave hallucinogène quand il entend Yellow de Coldplay (oui, oui, vous avez bien lu !). Bref : Bailey est en quelque sorte la petite sœur de l’héroïne de Fish tank, le film qui avait révélé Arnold il y a 15 ans. Pourtant, aucune sensation de déjà vu. Comme les grands cinéastes, Arnold ne fait au fond que creuser ce sillon où elle excelle par sa capacité à diriger des jeunes talents (en l'occurrence la flamboyante Nykia Adams), à faire corps avec ses héroïnes (sa caméra en mouvement épouse les pulsions de Bailey) mais aussi par sa manière de ne jamais enfermer son récit dans le sordide - en témoigne le traitement très intelligent du père, jamais accablé car cherchant à faire du mieux qu’il peut et brillamment campé par Barry Keoghan.
C'est donc bien le mouvement, l'énergie, qui caractérise le cinéma d'Andrea Arnold et particulièrement ce film. Une fois la situation posée, la cinéaste observe cette enfant qui, à l'approche de la puberté, cherche à échapper à un déterminisme social et familial. D’abord seule en se cognant contre les murs puis accompagnée par un personnage énigmatique qui déboule dans sa vie, le fameux Bird du titre. Avec son jupon et son phrasé singulier, il fait penser à un ange tombé du ciel ou à un super-héros qui aurait perdu ses super-pouvoirs. Qui pourrait dire de prime abord s’il est bien réel ou s'il s'agit d'un ami imaginaire que s’invente Bailey ? En tout cas, il est bien le seul à la voir tel qu’elle est, à comprendre ce qu’elle veut et à vouloir accompagner chacun de ses mouvements vers plus de liberté. Et c’est précisément grâce à Bird… que Bird décolle, que Andrea Arnold sort de sa zone de confort pour s’aventurer pour la première fois sur le terrain du fantastique, venant dialoguer avec un certain Règne animal que nous avions découvert ici même voilà pile un an. On s’en voudrait de déflorer plus les choses tant l’effet de surprise participe à la manière dont ce film vous embarque et vous emmène loin de ce que vous auriez pu anticiper, en osant le mélo sans à aucun moment flirter avec la mièvrerie. On dira juste que ce voyage n’aurait pas été le même sans l’interprète de Bird, Franz Rogowski, dont la liberté de jeu, dont la poésie qui entoure chacun de ses gestes ou de ses regards, et dont la manière de s’exprimer symbolise la folie douce de ce personnage. Peu d’acteurs en auraient été capable. Le talent d’Andrea Arnold c’est aussi cela : savoir trouver et mettre en scène le bon acteur au bon endroit.
De Andrea Arnold. Avec Nykiya Adams, Barry Keoghan, Franz Rogowski… Durée : 1h59. Sortie indéterminée.
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