Avant de réaliser "Ni le ciel ni la terre", Clément Cogitore s’était fait remarquer grâce à ses courts métrages et ses documentaires impressionnants. Cette expérience lui sert ici à représenter avec beaucoup de réalisme l’avant-poste militaire et surtout les paysages où se déroule son étrange histoire. Il montre un pays où la géographie entre en action et en imagination. En suivant les codes balisés du film de guerre, on pense d’abord qu’il va réaliser une variation sur Le Désert des Tartares (le doute, l’attente, tout ça). Mais il choisit rapidement de basculer dans un récit "magique", aux frontières du fantastique. Il nous entraîne alors dans une belle réflexion sur le deuil, l’absence et, de manière plus subtile, sur le visible et l’invisible, et sur la nécessité de se raconter des histoires pour garder la cohésion d’un groupe. Ces thèmes poétiques, le réalisateur les embrasse avec une sobriété inattaquable. On regrettera que la densité théorique du film ait parfois du mal à s’incarner, que l’aspect beckettien du dispositif ne soit pas transcendé par une mise en scène plus puissante, mais Cogitore est assurément un cinéaste à suivre.
Première
par Gérard Delorme
Avant de réaliser Ni le ciel ni la terre, Clément Cogitore tournait des documentaires, et c'est probablement de cette expérience qu'il s'est servi pour représenter un avant poste militaire en Afghanistan avec tant de réalisme qu'on s'y croirait, depuis l'agencement strictement règlementaire du camp, jusqu'à l’organisation des patrouilles, en passant par les biscottos saillants des soldats qui soulèvent de la fonte pour tuer l'ennui dans cette espèce de prison en plein air. On est en plein réel, jusqu'à ce que l'histoire nous entraîne sans en avoir l'air dans une réflexion captivante sur la nécessité de se raconter des histoires, en frôlant au passage des registres inattendus comme le fantastique ou le surnaturel. (...) Un espoir d'explication arrive à travers le récit d'une enfant selon laquelle les disparitions ont eu lieu dans une zone sacrée. Mais dans la réalité, le capitaine va devoir rendre des comptes à l'armée et aux familles. C'est là où le film prend toute sa dimension, en montrant que lorsque la raison fait défaut, il faut bien trouver un moyen de justifier l'inexplicable. Les mensonges nécessaires qui en découlent sont à la base des mythes, des légendes et des histoires que l'humanité a inventées depuis l'aube des temps, et dont le cinéma n'est qu'un des instruments. Le thème est extrêmement puissant, et Clément Cogitore le raconte avec une maîtrise technique très impressionnante pour un premier film.