On n’attendait pas Matteo Garrone sur ce territoire-là. Très loin de son Italie natale, le réalisateur de Gomorra suit ici le parcours de Seydou, un jeune sénégalais parti de Dakar avec un copain pour réaliser ses rêves d’Occident. Mais son odyssée va se transformer en cauchemar : Seydou va tomber sur des passeurs escrocs, être rançonné par l’armée puis torturé dans les prisons libyennes avant de prendre la mer sur un rafiot de fortune pour traverser la méditerranée… Moi Capitaine est donc un voyage infernal, mais doublé d’un récit initiatique. Car Garrone raconte surtout la perte de l’innocence de ses deux ados qui passent de la joie à la désillusion en affrontant la folie des hommes. Refusant le pensum socio ou le témoignage édifiant, il montre de manière inédite la migration – parfois très dure, souvent très violente – à travers les yeux de ceux qui la vivent. Et en mettant des visages sur des chiffres, il rend leur humanité à ces milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, qui partent chaque année pour un ailleurs fantasmé. On est donc loin, très loin, des terres arpentées par Garrone jusque-là. Pourtant, Moi Capitaine fonctionne étrangement comme une synthèse de tout son cinéma. De fréquentes échappées oniriques rappellent son obsession pour l’univers de la fable (on pense à son Pinocchio ou au Conte des contes), tandis que le mélange entre l’âpreté documentaire et la liberté de la fiction, évoquent ses tous premiers films romains (qui se confrontaient déjà au destin des migrants). Il s’appuie surtout sur un casting exceptionnel et l’apparition du jeune Seydou Sarr est l’une des découvertes récentes les plus sidérantes.