On replonge dans les archives avant de (re)voir Titanic, dimanche soir sur TF1.
Janvier 1998. Première offre sa couverture au Titanic de James Cameron, projet accouché dans la douleur qui va définitivement le propulser au rang de cinéaste majeur. Quand nous rencontrons le réalisateur, le film débute tout juste sa carrière en salles et n’est pas encore sûr de rembourser son budget démesuré qui en fait alors le film le plus cher de l’histoire du cinéma. Flashback, à compléter avec son autre entretien-fleuve pour la sortie d'Avatar, en 2009.
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PREMIERE : Comment l'idée de raconter l'histoire du Titanic vous est-elle venue ?
JAMES CAMERON : Quand j'ai fait des recherches pour Abyss, j'ai été fasciné par la technologie utilisée pour explorer l'épave du Titanic. Elle venait d'être inventée par le professeur Robert Ballard que j'ai cherché à voir, et cette rencontre m'a donné envie de faire un film sur le Titanic. J'aimais beaucoup A Night to Remenber ("Atlantique latitude 4l°", Roy Baker, 58) et le film de Jean Negulesco ("Titanic", 53), avec Clifton Webb et Barbara Stanwyck, mais je me suis demandé si on ne pourrait pas intégrer dans un film ce qu'on sait maintenant de ce qui s'est passé cette nuit-là et créer une histoire qui ferait des allers et retours entre le présent et le passé.
J'avais aussi envie de raconter une histoire d'amour. J'avais essayé dans Abyss, mais sans faire passer l'histoire d'amour avant le récit de science-fiction. Quand ces deux idées se sont combinées, tout m'a semblé se mettre en place. En quelques jours, j'ai jeté sur le papier la première mouture du scénario. J'ai appelé mon ami Al Giddings (le chef op des scènes sous-marines d'"Abyss") pour lui demander des renseignements sur les sous-marins qu'il a utilisés pour Titanic, un documentaire tourné en Imax. Nous sommes allés à Moscou rencontrer le professeur Sagalevich, responsable des sous-marins, et nous l'avons convaincu de nous louer son matériel.
PREMIERE : Vous êtes donc descendu par 4 000 mètres de fond pour filmer l'épave du Titanic. Diriez-vous que ce fut pour vous un des meilleurs moments de la réalisation du film ?
JAMES CAMERON : Certainement, c'était une occasion unique... On m'a demandé si les dépenses engendrées par ces plongées étaient justifiées, mais ça aurait probablement coûté aussi cher de recréer ces scènes avec des maquettes et des effets spéciaux. Mais la principale contribution de cette expédition au film est quelque chose d'intangible. Voir l'épave de mes yeux m'a convaincu de faire un film aussi réaliste que possible et d'essayer, contradictoirement, de restituer sur l'écran l'émotion que j'ai ressentie à ce moment-là...
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PREMIERE : Il y a dans Titanic une scène où Leonardo DiCaprio et Kate Winslet sont à deux doigts de se noyer tandis que l'eau monte autour d'eux, qui n'est pas sans rappeler la scène de noyade d'Abyss.
JAMES CAMERON : Vous savez, j'aime l'eau, j'aime la plongée, mais c'est une relation passionnelle faite d'amour et de haine. Au cours de mes plongées aux quatre coins du monde, j'ai été près de me noyer au moins deux fois. Une question de secondes... C'est donc une sensation que je pense pouvoir bien restituer.
PREMIERE : Vous avez une relation du même ordre avec la technologie. Vos films font appel à des technologies de pointe, vous dirigez une entreprise d'effets spéciaux très performante, mais la plupart de vos films contiennent un message appuyé sur les dangers de la technologie.
JAMES CAMERON : On dirait qu'il y a là une dichotomie, non? Tous mes films sont plus ou moins une exploration de notre relation à la technologie, pour le meilleur et pour le pire. La technologie n'est pas mauvaise en elle-même. C'est le contrôle qu'on exerce sur elle qui est un problème. Le Titanic n'était pas un mauvais bateau. Il était juste mal dirigé, et c'est pour ça qu'il est devenu le tombeau d'acier de 1 500 personnes. D'un autre côté, nous sommes une espèce irrésistiblement attirée par la technologie. Il est trop tard pour faire demi-tour. Il y a trop de monde sur Terre pour pouvoir dire : "On arrête tout et chacun cultive à la main son bout de terrain." Nous sommes obligés d'aller de l'avant. Nous allons devoir inventer de nouvelles graines pour nourrir tout le monde et il va falloir apprendre à contrôler le réchauffement de la planète et les émissions toxiques. Sinon, nous mourrons tous. Le cinéma est un moyen de communication lui aussi très axé sur la technologie. Bien plus que la littérature ou la peinture. Je suis donc obligé d'avoir recours à la technologie pour exprimer des idées qui peuvent être anti-technologiques. Mais cette apparente contradiction ne me dérange pas.
PREMIERE : Qu'est-ce qui a occasionné les dépassements de budget ?
JAMES CAMERON : Beaucoup de gens font le parallèle avec Waterworld pour dire que, dès qu'on fait un film qui se passe sur l'eau, on s'expose à ce genre de problème. Mais, en réalité, ce n'est pas l'eau qui est la principale cause des dépassements. C'est parce que nous avons décidé de recréer le Titanic, un navire grand comme un immeuble de 90 étages couché sur le côté. Nous n'avons pas construit le paquebot entièrement à l'échelle ; donc, c'est comme si nous avions bâti un immeuble de 75 étages. Nous aurions peut-être pu éviter ça en nous appuyant davantage sur des effets spéciaux, mais mon expérience dans ce domaine m'a appris qu'ils sont eux aussi extrêmement onéreux. Un seul plan peut coûter trois ou quatre cent mille dollars. Ce n'est donc pas une solution.
D'autant que nous faisions un film de 3 heures qui se passe presque entièrement sur le Titanic. Il fallait donc que notre bateau soit assez grand, assez détaillé pour qu'il y ait toujours un nouveau lieu, un nouvel angle afin d'éviter que le spectateur se sente coincé pendant trois heures dans un petit décor. Nous savions donc, dès le départ, qu'il y aurait beaucoup de construction. Chaque équipe m'a donné son budget, je les ai additionnés et j'ai apporté le résultat au studio. Une fois que tout a été construit, on s'est aperçu que ça coûtait plus cher que prévu. Ce genre de chose arrive tous les jours quand on construit un pont, un musée ou un hôpital. Mais du fait qu'il s'agissait d'un film, ça a attiré beaucoup plus l'attention. Terminator 2 n'avait dépassé son budget que de 8 %. Pareil pour True Lies. Titanic a dépassé le sien de 45 %, ça fait beaucoup. Et puis, à la différence de T2 et True Lies, je n'étais pas en mesure de dire aux gens du studio qu'ils allaient recouvrer leur investissement. Ça m'a conduit, en producteur responsable, à renoncer à mon salaire et à mon pourcentage sur les recettes.
PREMIERE : Ce n'est donc pas une bonne affaire pour vous !
JAMES CAMERON : C'est pourri, oui ! Mais c'est un film unique à plus d'un titre. C'est un film que je voulais faire à tout prix. Même si ça défie la raison. Je me suis battu de toutes mes forces pour que le film se fasse, et une fois que nous avons commencé à le faire, les choses sont allées en empirant. J'ai donc renoncé à être payé. Mais il ne faut pas trop qu'ils espèrent que je recommence la prochaine fois.
PREMIERE : Avoir votre nom associé comme producteur, scénariste et réalisateur au film le plus cher de l'histoire du cinéma, est-ce pour vous un sujet de fierté ou d'inquiétude ?
JAMES CAMERON : J'ai l'habitude. Abyss était le film le plus cher de son époque avec 42 millions de dollars. Maintenant, c'est le prix d'un gros film indépendant. On peut dire qu'en dix ans le coût des films a quadruplé. Chaque année, quelqu'un va se trouver dans la position de celui à qui l'on dit qu'il vient de faire le film le plus cher du monde. Moi, je fais un film tous les deux ou trois ans, et c'est généralement un gros film. Je suis donc particulièrement exposé.
PREMIERE : Certains réalisateurs et producteurs attendent de voir comment Titanic marchera pour se lancer dans des projets du même calibre.
JAMES CAMERON : Plus ils attendent, plus leur projet coûtera cher. Tout est dans le rapport entre ce qu'un film va coûter et ce qu'il peut rapporter...
PREMIERE : Qui dit gros budget dit grosse pression...
JAMES CAMERON : Ça n'a pas eu d'effets sur le film, ou ça ne l'a rendu que meilleur. Quand j'étais enfant, je participais à des concours où il fallait peindre en plein air et en public. Je peux vous dire que c'est très stimulant. C'est de la création au vu de tous. La plupart des acteurs vous diront qu'ils ne sont jamais meilleurs que devant une salle de théâtre pleine. Plus l'enjeu est élevé, plus il faut être bon.
PREMIERE : Comment avez-vous recruté Leonardo DiCaprio et Kate Winslet ?
JAMES CAMERON : Je ne les connaissais ni l'un ni l'autre. Je les ai rencontrés pour le film, et je leur ai demandé d'interpréter quelques scènes. J'ai travaillé avec Kate pendant trois, quatre heures, à l'issue desquelles j'ai été convaincu qu'elle pouvait jouer le rôle de Rose. Je ne leur ai pas donné le rôle immédiatement. Il y avait d'autres gens que je voulais voir, mais ils n'étaient pas aussi bons. C'est une décision instinctive, quelque chose qui ne peut pas se quantifier, mais c'est aussi la décision la plus importante du film. Le budget, la construction ou non d'un nouveau studio , tourner au Mexique plutôt qu'en Pologne, les effets spéciaux, tout ça est secondaire. Le plus important était de trouver qui allait jouer Jack et qui allait jouer Rose, parce que si vous vous trompez là, le film est fichu. Je pense que nous avons fait le bon choix. Leonardo est probablement un des meilleurs acteurs, sinon le meilleur de son âge. Et il a cette révoltante beauté par-dessus le marché. C'est une combinaison étonnante. Tout le monde sait qu'il y a des stars qui n'ont qu'un talent médiocre mais compensent par leur personnalité ou leur charisme... Ce n'est pas le cas de Leonardo ni de Kate, et ce n'est pas si courant.
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PREMIERE : Leur avez-vous demandé de faire des recherches pour leur rôle ?
JAMES CAMERON : J'ai donné à Leonardo des photos et des images d'époque, des photos de Georgia O'Keeffe par Alfred Stieglitz, des romans... Et Kate a travaillé avec un spécialiste des accents parce qu'elle est anglaise et qu'elle devait prendre l'accent de Philadelphie du début du siècle. Nous avons beaucoup répété. Je voulais qu'ils prennent conscience de l'époque, de la manière dont les gens parlaient...Tous les acteurs ont travaillé avec un professeur de maintien, sauf Leonardo parce que son personnage est censé tout ignorer des bonnes manières. Ils ont aussi travaillé avec un chorégraphe pour les scènes de danse.
PREMIERE : Qu'ont-ils apporté à leur personnage que vous n'aviez pas prévu ?
JAMES CAMERON : Le domaine dans lequel ils ont le plus travaillé, et à juste titre parce que c'est la partie que j'avais le moins bien cernée dans le scénario que je leur ai soumis, est le moment qui se passe au lendemain de leur première rencontre. C'est une scène très complexe, six pages d'un seul tenant. Nous avons passé deux ou trois jours à improviser, à travailler sur cette scène par tous les bouts avant que je la réécrive en prenant en compte leur contribution. C'est la première fois que je travaillais de cette manière. Au bout du compte, ce n'est pas la meilleure scène du film, mais ça aurait pu être la pire. On les croit, on croit à la possibilité d'une relation entre eux. Mais la plupart des scènes ont été tournées quasiment telles que je les avais écrites. A part peut-être la scène où Jack est invité à dîner dans la salle à manger des première classe. J'en avais trop écrit. Je faisais trop parler le personnage, et Leonardo ne se sentait pas à l'aise. Il avait l'impression que Jack faisait trop d'efforts pour se faire admettre des autres. Je l'ai écouté et j'ai raccourci la scène, qui, du coup, marche beaucoup mieux.
Léo a ce que j'appellerais un excellent détecteur de conneries. J'avais écrit un bon scénario, mais il l'a rendu meilleur. Kate fonctionne différemment. Plus comme une comédienne de théâtre. Elle travaille sur le matériau qu'on lui donne. Leonardo n'hésite pas à remettre en question le scénario et le scénariste, en l'occurrence moi. Et c'est bien, tant que ça ne va pas trop loin. Sur un film de cette ampleur, le scénario doit être respecté. On peut être créatif en l'interprétant, mais on ne peut pas tout chambouler au dernier moment. Prenez la scène ou ils crachent tous les deux par-dessus le bastingage. Leonardo la détestait, Kate aussi, Peter Chemin de la Fox également. J'ai dû supplier : "Je vous en prie, faites-moi plaisir. On la tourne, et si elle ne fonctionne pas, on l'enlèvera au montage." Finalement, c'est une des meilleures scènes du film.
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