Furieuses, lyriques, dynamiques : les premières minutes de ce film d’animation étaient dévoilées en exclusivité mondiale à Annecy.
Les derniers avions en papier s’écrasent sur la scène. Les derniers rires s’abolissent contre les murs de la salle principale de Bonlieu. Et un silence religieux envahit le lieu plein à craquer. Écran noir. Peter Jackson apparaît, applaudi comme une rock star ou comme le Dieu d’une secte dont tous les membres seraient rassemblés là ce matin. Le réalisateur commence à expliquer d’où vient l’idée de ce film d’animation avant que la caméra ne se mette à trembler frénétiquement. Hors-champ, on entend alors la voix de Gollum qui se met à engueuler Jackson (« t’es nul Jackson, t’es un enfoiré. Serkis est bien meilleur que toi !») et tente de lui piquer la caméra. Après quelques insultes (et sous-titres) censurées, la lumière se rallume et Andy Serkis monte sur scène. Il vient présenter quelques images du Seigneur des anneaux : la guerre des Rohirrim. Et notre Monsieur Loyal du jour donne d’abord quelques éléments de contexte.
Initié il y a trois ans par Warner Bros. Animation, La Guerre des Rohirrim est donc un long métrage animé, adapté de l’univers de Tolkien. On ne repart pas d’un épisode connu du canon ou déjà illustré dans les films puisqu’il s’agit d’une histoire, inédite à l’écran, se basant sur des appendices du Seigneur des anneaux. La réalisation de ce prequel a été confiée à Kenji Kamiyama (Ghost in the Shell : SAC_2045) et le script a été écrit par Jeffrey Addiss et Will Matthews (Dark Crystal : Le temps de la résistance). Au-dessus du berceau de ce projet particulier planent des ombres bienveillantes. Jackson et Fran Walsh étaient dans la boucle (« Ils adorent ce qu’ils ont vu », annonce fièrement Serkis) et Philippa Boyens, scénariste du Seigneur des anneaux, est la productrice de ce long métrage. Dont on découvre enfin les premières images.
Tout commence par le vol de deux aigles immenses au-dessus de vallées verdoyantes. Une voix off (celle de Miranda Otto qui jouait Eowyn et narre le film) donne un peu de contexte : nous sommes 200 ans avant les événements du Seigneur des anneaux. Helm Hammerhand est le roi légendaire du Rohan. Sa famille, ses alliés, défendent le royaume contre l’armée des Dunlendings. Helm a deux fils et une fille, Héra. C’est elle, chevelure rouge feu, traits fins et allure fière, qu’on voit à l’image parcourir la vallée, à l’ombre des deux aigles. A cheval, elle s’élance sur un promontoire, s’arrête, descend de sa monture et lance un énorme morceau de viande aux aigles pour les nourrir.
D’emblée, ces quelques images de présentation donnent le ton. L’animation est réalisée à la main. A l’ancienne donc. Par moments elle est un peu saccadée et pas toujours très fluide, mais il y a quelque chose d’organique, d’anguleux même, qui correspond assez bien à l’esprit de ces temps obscurs et à l’univers de fantasy de Tolkien. Par ailleurs, le character design des personnages lorgne clairement du côté des premiers Miyazaki, même si la palette de couleur est moins contrastée, moins vibrante et souvent plus terne.
On récupère Héra quand elle arrive dans la cour du château. C’est aussi le moment que choisit l’un des vassaux de Helm, Freca, pour demander une audience au roi. Freca, une montagne menaçante au visage recouvert de tatouages, veut organiser le mariage entre son fils Wulf, et Héra. Helm est d’abord circonspect et leur dialogue de plus en plus virulent commencé dans la salle du trône s’achève sur un duel à main nue à l’extérieur du château. Entourés de leurs hommes, les deux seigneurs font pleuvoir les coups (belle scène dynamique qui rend parfaitement la violence du moment) jusqu’à ce qu’une droite massue de Helm sèche Freca. Qui meurt immédiatement. Son fils Wulf tente de venger son père sur le coup, est blessé par Helm, et part en le menaçant de mort….
La guerre est déclarée. Le film peut donc commencer.
Retour en salle où Philippa Boyens, Kenji Kamiyama, Joseph Chou et Jason Demarco (deux producteurs) sont venus pour dévoiler les coulisses de cette production.
Boyens explique d’abord que l’histoire du film remonte à loin. La scénariste-productrice fut d’abord séduite par la puissance de l’idée principale aussi synthétique et brève soit-elle dans les livres. La Guerre des Rohirrim, c’est « la guerre, ses décombres, ses effets » (« the wreckage of war »), avec une puissance visuelle et des personnages fascinants. Ce que confirme Kamiyama : « Cette histoire représente à peine une page dans le corpus de Tolkien. Mais l’impact est très fort. Du coup, il nous fallait faire preuve d’une très grande imagination. Nous devions d’autant plus laisser libre cours à notre imagination que le texte est bref, notamment pour le design des personnages. Par exemple, la cicatrice de Wulf. D’où vient-elle ? Qu’est-ce qu’elle signifie ? Il fallait nourrir le background de chaque personnage et c’est là où la présence de Philippa - qui connaît cet univers par cœur - fut une aide essentielle »
Les deux producteurs reviennent sur les débuts du projet. « Quand la Warner m’a appelé, se souvient Chou, je n’ai pas hésité une seconde. J’ai accepté immédiatement. Et puis une fois le projet lancé, là, j’ai compris quel délire ce serait (rires). Les défis étaient gigantesques. La production a commencé en plein Covid, il allait falloir travailler avec plus de 60 sociétés de production à travers le monde, il faudrait être fidèle au roman, fidèle au film… C’était dingue. » Mais pour Demarco, l’un des pontes de Warner animation, il y avait une évidence plus forte que tout : « Adapter Tolkien en animé me paraissait évident. Cette histoire correspondait à la perfection à la tradition de l’animé. Je crois que c’est le genre idéal pour la fantasy. »
De son côté Boyens revient sur l’originalité du film, le point de vue féminin de l’histoire. « Cette aventure devait être celle d’Héra. C’est la première fois qu’un film du Seigneur des anneaux est drivé par une femme et ça change tout. Dans le livre, ce personnage n’est pas nommé sinon par une lettre, H, et c’est nous qui l’avons baptisé Héra. Tolkien a su créer des personnages féminins très forts, mais celui-là était en retrait. Du coup, il ne fallait surtout pas en faire une superhéroïne, mais au contraire une femme authentique, réelle, qui apprend, fait des erreurs, ressent des émotions. Et ce sont ses choix qui font avancer le récit. C’est un film violent, qui nous plonge au cœur de la guerre, mais à partir d’Hèra, on pouvait aussi construire un vrai film de personnages, partager leur intimité, les voir vivre. »
Le nouveau film en live action du Seigneur des Anneaux a un nom et un réalisateur !Tous évoquent les difficultés d’un tournage épique. Kamiyama : « Après le coup de fil de Warner, j’ai d’abord pensé que ce serait impossible. Impossible de réaliser ce genre d’histoires. Impossible de le faire en animation à la main. Trop de chevaux, trop de détails, trop de personnages ! J’ai failli refuser, avant de me dire qu’une chance pareille ne se présentait qu’une fois dans une vie. Qu’il fallait courir le risque ». Le risque, c’est ce qui a séduit Demarco. « Ce film était dès le début un saut dans le vide. On l’a fait par amour pour cet univers et pour ce monde. A chaque fois qu’on doutait, à chaque fois qu’on était perdus il y avait Tolkien et il y avait Philippa, son script magnifique et ses personnages fabuleux. »
Les mots de la fin reviennent au réalisateur, Kamiyama : « Le film a été un voyage dans l’inconnu. Imaginer que sa sortie est prévue pour Noël me paraît incroyable. Nous avons mené une guerre et cette guerre est sur le point de prendre fin. On espère que vous jugerez que nous en sommes sortis victorieux. »
Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi (2003) ou le pari fou de Peter Jackson
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