Michael Lonsdale Maestro
Rezo Films

Première avait rencontré l'acteur en 2014 pour une longue interview carrière.

Nous venons d'apprendre la mort de Michael Lonsdale, comédien vu notamment dans Des hommes et des Dieux, Moonraker, La Mariée était en noirBaisers volésLe Nom de la rose ou encore Hibernatus. Première l'avait rencontré en 2014 pour parler en détail de sa carrière, alors qu'il se rendait à Cabourg, en Normandie. Il venait de tourner dans Maestro, de Léa Fazer avec Pio Marmaï et Déborah François.

L’immense acteur Michael Lonsdale est mort

(Il rentre dans la voiture ) Alors c’est avec vous qu’on travaille, donc ?

Oui, on a à peine 217 km pour évoquer votre carrière. Vous pensez que ça suffira ?
Oh oui, largement, hein. Vous connaissez Cabourg, vous ?

Vaguement. C’est vous qui avez eu l’idée de faire cet entretien en voiture ?
Ah non, on m’a juste dit que ça nous ferait gagner du temps par rapport aux plannings. Vous savez quel est le thème du festival où nous allons ?Le Chauffeur : C’est le festival du film romantique Aaaah, très bien…

C’est un film romantique pour vous Maestro ?

Ah oui complètement. C’est d’abord une histoire d’amour.

J’avais l’impression que c’était plutôt un film sur l’éveil à la sensibilité artistique.
C’est aussi ça. Mais il faut tomber amoureux pour s’éveiller à l’art non ?

Complètement. Dans le film vous interprétez le rôle d’Eric Rohmer et...
Non non j'interprète un vieux metteur en scène inspiré d’Eric Rohmer, ce n’est pas la même chose. En plus on ne se ressemble pas du tout physiquement avec Rohmer.

J'imagine que vous vous connaissiez quand même l’un et l’autre, même si vous n’avez jamais travaillé ensemble…
Pas du tout, je ne l’ai jamais croisé de ma vie. C’est quelqu’un qui avait sa bande à lui, ses acteurs à lui. Et puis je n’ai jamais trop aimé ses films, je les trouve un peu… mièvres. A part Ma Nuit Chez Maud qui est somptueux. Mais bon le reste…

Quand on regarde votre filmo, on imagine quelqu’un de très sûr dans ses goûts et dans son rapport au cinéma. Vous vous considérez comme un acteur cinéphile ?
J’étais cinéphile avant d’être acteur, oui. J'achète Les Cahiers du Cinéma depuis le numéro 1 ! Enfin là j’ai arrêté... Mais oui quand j’étais jeune j’étais un vrai rat de cinémathèque. J’allais tout voir. Des grands films hollywoodiens à Dreyer en passant par Welles. J’adorais le cinéma, tout les cinémas.

Qu’est ce qui fait que vous choisissez d’être acteur, plutôt que réalisateur ou scénariste, alors ?
Je ne savais pas trop ce que je voulais faire de ma vie. Je peignais, un peu. Mais j’attendais surtout un signe du destin. C’est arrivé un jour en lisant la revue Arts. Il y avait cette publicité pour un cours d’actorat: “Voulez savoir si vous êtes fait pour être comédien ?”. J’ai mordu à l’hameçon. Mais je n’ai pas du tout aimé ça. Notre professeur était un peu dingue.

C’est à dire ?
Il nous faisait improviser sur des thèmes du style : Imaginez que vous êtes un père à la recherche de votre enfant dans un camp de concentration. N’importe quoi. On ne peut pas demander ça à des débutants. J’ai donc quitté ce cours pour allez suivre celui de Tania Balachova. Là bas j'ai rencontré des gens comme Delphine Seyrig, Laurent Terzieff, je joue du Tchekhov ou du Feydeau, c’était merveilleux.

Vous comprenez à quel moment que vous tenez là votre vocation ?
Un jour Tania Balachova vient me voir et me dit : “Michael, vous êtes bien mignon, mais j’aimerais vous voir vous énerver parfois quand vous jouez, parce que vous êtes toujours dans le même registre. Alors vous allez me jouer la première scène du Misanthrope et je veux vraiment voir la colère en vous”. Ça m’a terrorisé, parce que je suis quelqu’un de très doux, la violence me révulse depuis l’enfance. Mais bon je m’éxécute parce que c’était une grande pédagogue. Je joue la scène devant elle, et je suis très mauvais. Je la refais une fois, dix fois, quinze fois, et je suis systématiquement nul, impossible d’y mettre une quelconque intensité. Elle me menace alors de me renvoyer de son cours si je n’y arrive pas. J’ai le coeur qui bat très fort, les mains moites, je rejoue à nouveau la scène, je suis dans un état second et là je me mets à hurler, à envoyer valdinguer une chaise au milieu de la scène : ma professeur était ravie. Je suis rentré chez moi, blême, je me suis mis immédiatement au lit, en me disant que je n’étais pas fait pour ce métier. Mais le lendemain je suis quand même retourné au cours. Il y avait eu un déclic. J’avais compris ce que c’était que la comédie.

Vous aviez quel âge ?
20 ans, par là. Après ça il ma fallu 10 ans pour percer un peu dans le cinéma. Truffaut était venu me voir au théâtre et m’a proposé un rôle pour La Mariée était en Noir. Et c’est là que ma carrière au cinéma commence vraiment.

Kill Bill inspiré par La Mariée était en noir avec Jeanne Moreau ?

Avant cela vous avez quand même tourné des petits rôles chez des grands cinéastes comme dans Le Procès de Welles, notamment…
Ah, Welles… Un jour je rentre chez moi, et je me rends compte que ma femme de ménage espagnole m’a laissé un mot sur la table : “Appeler Mistir Willis à tel numéro. Urgent”. Il était tard dans la nuit, mais après tout si c’était urgent… Je compose le numéro, à l’autre bout de la ligne quelqu’un décroche “Hello I’m Orson Welles…”. Incroyable. Il me propose donc le rôle du pasteur dans son nouveau film, une seule scène, une soirée de tournage, je suis fou de joie. Je réussis l’audition et je me retrouve quelque semaines plus tard sur le plateau. Ma scène était tournée en plan séquence. Après la première prise il me dit “Michael ; it’s ok. Are you happy?” Je lui réponds que, ma foi, oui. Mais il me fait quand même refaire la scène. Une fois, deux fois… huit fois. Après ça “Thank you very much. Bye, Michael”. Et c’est tout. J’aurais aimé rester sur le plateau, le regarder travailler, mais ce n’était pas possible. Après ça je ne lai plus jamais revu…

Vous figurez quand même tous les deux au générique de Paris Brûle-t-il ?...
Oh mais moi je suis figurant sur ce film. Ce qui est amusant c’est que je tournais un film pour la télévision dans les même studios que Paris Brûle-t-il ? et c’est moi qui ai hérité de la loge de Welles après qu’il ait fini ses scènes. La loge était remplie de bouteilles vides, de cognac, whisky, etc... Il était tellement ivre pendant le tournage qu’il avait fallu deux assistants pour le traîner jusqu’au plateau, lui laisser réciter ses dialogues et se dépêcher de le rattraper avant qu’il ne s’écroule. Ivre à chacun de ses plans. Et en même temps il est absolument fabuleux dans le film. Dans le genre Losey était pas mal non plus. Nous avons fait trois films ensemble et souvent il était tellement saoul qu’il s’endormait carrément au milieu des prises. A la fin de chaque journée de tournage il filait au pub, se commandait une pinte dans laquelle il versait 4 shots de vodka. Il buvait ça, et hop, il rentrait chez lui ! Ça ne l'empêchait pas d’être un homme délicieux et un réalisateur exceptionnel.

Comment vous expliquez votre cote auprès des cinéastes anglo-saxons, vous en avez accroché un bon paquet à votre palmarès...
Je ne saurais pas vous l’expliquer mais j’adore jouer en anglais, qui est ma première langue, c’est vraiment une expérience de jeu différente. Ça remonte de loin. Et puis j’aime la musicalité de la langue…

C’est votre grande obsession ça en tant que comédien: la musicalité des mots, la rythmique du phrasé…
Il parait oui...

Ça ne vous parait pas évident ?
Non je n’ai jamais travaillé ça. C’est ma manière de parler dans la vie de tous les jours, comme vous pouvez le constater...

Oui mais cette voix justement elle vous définit. Jamais un mot plus haut que l’autre. Une élocution très douce quel que soit le rôle. D’ailleurs je repense à cette scène incroyable d’India Song ou vous mettez à hurler de douleur : vous êtes hors champ à ce moment là et on n’arrive à peine à croire que c’est bien votre voix.
C’est amusant que vous me parliez de cette scène. Je crois que j’ai un peu perdu pied au moment de la tourner. Je n’allais pas très bien à l’époque, j’avais des problèmes personnels et j’ai investi dans ce moment toute la souffrance qu’il y avait en moi. Vous saviez que cette scène avait été tournée bien avant le reste du film ?

C’est à dire ?
En fait ce son provient d’une émission de radio on nous avions joué le texte d’India Song et Marguerite l’a conservé pour le film. Mais Duras c’est plus du cinéma… c’est… c’est autre chose quoi. Elle ne savait pas vraiment comment on tournait un film. Le tournage d’India Song débutait par une scène de bal. Marguerite crie “Action”, l’orchestre se met à jouer, les acteurs à dire leur texte et là l’ingénieur du son devient fou: “Marguerite il faut choisir, soit on enregistre le dialogue soit on enregistre la musique mais pas les deux en même temps !”. Elle n’était pas au courant ce genre de choses, ahaha…

Dans quelles circonstances vous devenez ami avec Duras ?
Au moment où je suis choisi pour jouer dans sa pièce, L’amante anglaise, vers 1968. Marguerite changeait tout, tout le temps. Ça perturbait beaucoup Madeleine Renaud, qui jouait le rôle principal. C’était pas vraiment les mêmes méthodes de travail, ahaha. Elle était incroyable Madeleine Renaud, tout était de l’instinct pur chez elle, elle n’intellectualisait rien. Un jour le metteur en scène Claude Regy lui demande de faire durer un silence avant de dire sa réplique. Elle s’agace: “Ah mais mon ptit chéri les silences c’est ennuyeux. Et puis moi je ne sais pas les faire les silences”. Sauf que quand elle a bien voulu le faire c’était sensationnel. Je voyais sur scène le public suspendu à son silence. Elle ne se rendait pas compte a quel point ce silence était chargé d’intensité. Mais qu’est ce qu'elle le faisait bien !

L’année où vous avez tourné India Song, vous tournez également Le Téléphone Rose de Molinaro. C’est votre botte secrète ça, passer sans souci des auteurs les plus radicaux aux plus popus ?
Il faut bien manger vous savez. J’aimais beaucoup Doudou Molinaro, mais son Hibernatus je ne voulais vraiment pas le faire. Bon j’avais des soucis financiers qui m’y ont finalement contraint… Quand je suis arrivé vers les studios pour mon premier tournage j’aperçois Doudou seul à la terrasse de café, je lui demande pourquoi il n’est pas sur son plateau : “De Funès ne veut pas que je sois présent pendant qu’il tourne ses scènes, il dit qu’il se débrouille mieux sans moi…” Quelle ambiance… J’ai eu de la chance, De Funès m’aimait bien parce que je savais le suivre quand il improvisait. Vous voyez la fameuse scène du “Vous dodelinez ?”

Oui…
De l’impro totale. De Funès ne carburait qu’à ça. Celle que j’aimais moins en revanche c’était sa femme. Un beau jour elle vient me voir et elle me dit avec son air de bourgeoise: “Politiquement vous êtes plutôt de quel bord ?” Je lui ai répondu que j’étais d'extrême centre… En fait elle cherchait les “rouges” dans la production, elle veillait à ce qu’il n’y en ait pas trop dans l’équipe…

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Pour en revenir à ce goût du grand écart c’est quand même assez unique en France, à la limite je ne vois que Depardieu ici capable de ce genre de choses…
Je l’ai bien connu à ses tout débuts Gérard, on avait fait quatre pièces de théâtre ensemble. Il était adorable, très serviable, il venait repeindre des meubles chez moi. A l’époque il disait qu’il serait le nouveau Belmondo. Et puis après ça il a changé. Quand il me croisait il me disait à peine bonjour. Je n’étais plus d’aucune utilité pour lui. Plus il est devenu populaire, plus il est devenu insupportable. Une absence totale de considération pour les gens. Il a quand même fait de grands films. Mais ça a duré quoi ? Dix ans ? Après ça c’est devenu un commerçant… Moi j’aime les artistes, pas les gens qui courent après la gloire. Votre analogie marcherait mieux avec un garçon comme Amalric, qui comme moi a fait un vilain dans un James Bond, et puis va aussi tourner avec de grands réalisateurs. On a tourné ensemble dans ce film, mince comment s'appelle-t-il…

Munich ?
Non, enfin si. Mais on a fait beaucoup mieux que ça. Le film de Nicolas Klotz, allons, j’ai oublié le nom. La Question humaine, voilà !

Vous n’aimez pas Munich ?
Si, c’est bien fichu. Il est gentil comme tout en plus ce Spielberg. Il joue avec les gosses sur le plateau, il dit bonjour à tout le monde. Il ne crie jamais. Charmant.

Mince, on arrive à Cabourg et on a évoqué qu’une toute petite partie de votre carrière, je vous avais bien dit que ça ne suffirait pas…
Et bien ça sera l’occasion de se revoir une autre fois, non ? Dites ça à l’air très joli Cabourg, quand même. Vous saviez que Le Balbec de Proust est inspiré de cette ville ?

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