Son box-office est de plus en plus fébrile, ses séries de plus en plus ignorées et la défiance de l'industrie de plus en plus féroce. Mais Marvel est encore loin de s'avouer vaincu.
Presque cinq ans plus tard, Marvel n'a toujours pas réussi à faire la bascule. Au printemps 2019, Avengers : Endgame concluait la Phase III du MCU dans un déluge de feu et d'action rarement vu au cinéma. Avec à la clé un succès historique proche des 3 milliards de dollars, battu par le seul Avatar au box-office de tous les temps. À une autre époque, ce 22e film (!) du Marvel Cinematic Universe aurait probablement été le dernier, bouclant la franchise en lui offrant une sortie par la grande porte.
Mais dans le Hollywood du XXIe siècle, impossible de dire adieu à une telle poule aux œufs d'or. Disney a évidemment remis des pièces dans la machine. Beaucoup de pièces. Sans jamais retrouver son mojo super-héroïque. Sa phase IV, adossée industriellement à la mise en ligne de la plateforme Disney Plus, a sonné comme une véritable régression artistique. De Black Widow à Black Panther 2 en passant par Les Éternels ou Thor 4, aucun des hits annoncés n'a vraiment trouvé grâce aux yeux de la critique, voire du public, qui a sensiblement commencé à se détourner du MCU.
Les loupés des Phases IV et V
Concrètement, Wakanda Forever a rapporté un demi-milliard de moins que le premier Black Panther. Les tentatives d'étirement de l'univers vers l'Asie (Shang-Chi) ou vers le cinéma d'auteur oscarisé (via Chloé Zhao) ont à peine franchi les 400 millions de dollars. Et depuis Avengers : Endgame, seuls les films Spider-Man co-produits avec Sony - soit 2 sur 10 - ont réussi à passer la barre du milliard de dollars de recettes. Le plus inquiétant étant le loupé Quantumania en février dernier, puisque Ant-Man 3 devait établir Kang comme grand vilain du MCU pour les années à venir. Une étape cruciale dans le plan à long terme. Mais l'accueil très froid des fans cumulé aux affaires privées (un procès aura lieu dans quelques semaines) qui touchent Jonathan Majors risquent fort d'inciter Marvel à revoir sa copie, quitte à remplacer Majors en cours de route... voire Kang !
C'est indéniable, le Marvel Universe a perdu de son aura. Il a perdu de sa stabilité et de sa capacité à vendre tout et n'importe quoi au public. Alors la fameuse superhero fatigue est-elle vraiment là ?
La réalité du box-office
Pas nécessairement. Si le MCU n'est pas au top de sa forme, il faut regarder les chiffres du box-office avec un peu de recul. Par exemple, si le conspué Thor: Love and Thunder a effectivement fait un peu moins bien que le très apprécié Thor: Ragnarok (760 millions contre 840 millions), il a quand même nettement mieux performé que Thor: The Dark World (640 millions en 2013) ou Thor (450 millions en 2011). Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 font jeu égal avec le Vol. 2 (850 millions) et ont rapporté bien plus que le premier (650 millions en 2014). De son côté, le Multiverse of Madness (955 millions) a explosé le score du Doctor Strange original (680 millions en 2016).
Non, les films Marvel ne sont pas des "flops" ces dernières années. En revanche, ils font face à un sérieux problème de rentabilité. Les coûts de production sont allés croissants, sans que l'investissement ne soit systématiquement valable. Ainsi The Marvels arrive en salles cette semaine sans aucune certitude, mais avec le 4e plus gros budget de l’histoire de Marvel Studios ! Selon Forbes, Disney aurait mis la bagatelle de 274,8 millions de dollars dans la production, compensés par des subventions britanniques à hauteur de 55 millions, pour une facture finale à 220 millions. Il faut ajouter à cette somme le budget marketing (qui peut monter jusqu'à 100 millions pour un film de super-héros) et rappeler que toutes les recettes du box-office n’atterrissent pas dans les poches de Disney (aux Etats-Unis, les studios récupèrent environ la moitié, en Europe un tiers et en Chine seulement un quart). Ainsi, on estime que The Marvels devra rapporter au minimum 600 millions de dollars pour être considéré comme un succès en salles par le groupe.
Marvel Studios a bien pris conscience de ces dérives dispendieuses et Variety avance dans un récent dossier que le studio cherche désormais à revoir ses coûts de production à la baisse, à l'image du film, Blade désormais prévu pour 2025, et qui devrait se faire pour un budget inférieur à 100 millions de dollars ! Très loin des chiffres affolants d'Ant-Man 3, Black Panther 2, Thor 4 ou Les Gardiens 3, dont les budgets naviguaient entre 200 et 250 millions.
L'industrie contre-attaque
Une nécessité économique, qui va de paire avec la révolution en cours dans le domaine des effets spéciaux, dont Marvel est très dépendant. Soumis à une énorme pression depuis plusieurs années, notamment en raison du rythme effréné du MCU, les employés de Marvel Studios’ visual effects (VFX) ont décidé de se syndiquer ! Un vote historique, puisqu'il s'agit d'une première à Hollywood depuis que les effets visuels ont été lancés il y a près d'un demi-siècle. Une syndicalisation qui fait suite à de sérieux coups de gueules postés anonymement en ligne (via Reddit) depuis des mois, pour dénoncer les délais irréalistes et la surcharge de travail imposés aux artistes VFX bossant pour Marvel, que certains estiment avoir "la pire gestion du marché."
Pas très positif pour l'image d'une franchise familiale et populaire. Surtout que dans le même temps, la domination sans partage des films de super-héros commence sérieusement à agacer à Hollywood. Les derniers grands cinéastes américains se sont lancés, ces derniers mois, dans une véritable fronde contre le Marvel Universe. Une bataille publique, presque philosophico-éthique, qui vise à discréditer le cinéma proposé par Kevin Feige et ses troupes.
Quentin Tarantino s'est payé récemment ses acteurs, "qui sont devenus célèbres en jouant ces personnages. Ce ne sont pas des stars de cinéma. Captain America, c'est lui la star. Thor est la star." Chris Evans et Chris Hemsworth apprécieront. "Je ne les remets même pas, franchement, pour vous dire la vérité... Mais bon, c'est l'un des héritages de la Marvelization des films hollywoodiens" assénait-il.
James Cameron, de son côté, taclait les effets numériques des films de super-héros : "Thanos ? Allons. Un peu de sérieux. Vous avez vu Avatar : La Voix de l’eau ? On ne joue pas dans la même cour..."
Leader de cette grogne anti-Marvel, Martin Scorsese a carrément publié une tribune dans le New York Times, dans laquelle il exprime sans détour son aversion pour ce cinéma-là : "J'ai développé un sens des films (ce qu’ils étaient et ce qu’ils pouvaient être) aussi éloigné de l’univers Marvel que ne peut l’être la Terre par rapport à Alpha du Centaure", balance-t-il avant de parler du cinéma comme d'une "forme d’art" regrettant que les films du MCU soient faits pour "satisfaire des demandes bien précises (...) après des études de marché, des tests auprès du public, des validations, modifications, jusqu’à ce que ce soit prêt à être consommé."
Un dénigrement mal digéré par le co-réalisateur des Avengers, Joe Russo, qui n'a pas hésité à aller au clash public avec Scorsese, opposant ses films faits pour les Oscars aux siens, faits pour le box-office. Preuve de la tension qui règne en ce moment à Hollywood autour des blockbusters de super-héros que certains aimeraient voir disparaître.
Le nouveau plan de bataille de Marvel
Marvel a senti le vent tourner. Le studio comprend que la momentum n'est pas en sa faveur et commence à revoir sa copie stratégique, en débutant par les séries. Les ratages Secret Invasion et She-Hulk, pas loin d'être des accidents industriels, ont conduit le grand patron Bob Iger - PDG de Disney - à monter au créneau, quitte à faire son mea culpa: "Notre empressement à développer notre contenu de manière significative, pour servir principalement nos offres de streaming, a fini par solliciter notre public bien plus que nécessaire en termes de temps et d'attention (...) Marvel a augmenté sa production de films, mais aussi de séries télévisées, et franchement cela a nuit à l'attention et à la concentration. Je pense que c'est ce qui en est la cause".
La cause derrière des chiffres au box-office en-dessous des espérances. Alors le groupe a décidé de calmer le jeu des séries. Elle va en produire en plus petite quantité. Et surtout repenser sa manière de les concevoir. Daredevil : Born Again est la première à en faire les frais. À moitié tournée, la nouvelle itération du justicier de Hell's Kitchen est mise en pause pour être réinventée. On devine que Disney va aussi limiter les interactions entre petit et grand écran, qui ont brouillé la narration du MCU ces derniers temps. Un boulet pour les cinéastes dont pâtit par exemple The Marvels, qui se présente en salles comme une suite des séries Miss Marvel ET WandaVision !
Du coup, le studio a annoncé cette semaine la création de "Marvel Spotlight", une toute nouvelle sous-catégorie Marvel, qui a vocation à créer des histoires indépendantes du Marvel Universe à la télévision, à plus petite échelle. Une nouvelle bannière surprise, sous laquelle sortira déjà la prochaine série Echo, à venir début 2024. Et toutes les autres après ?
Face aux défiances, face aux polémiques, face au marché du streaming, Marvel Studios tente de reprendre la main et va s'adapter, en limant ses budgets, en limitant ses séries, en réajustant sa narration, avec l'objectif de revenir au sommet en 2026 et 2027, dates de sorties de ses deux prochains films Avengers, qui feront office de juge de paix. D'ici là, la fameuse superhero fatigue ressemble plus à un souhait, qu'à une réalité.
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