Première
par Sylvestre Picard
Connaissez-vous Jason Aaron ? Ce n'est pas un nom surgi de nulle part, car ce scénariste de comics est connu pour avoir donné à Thor deux fameux runs : la transformation de Jane Foster, atteinte d'un cancer en phase terminale, en Déesse du Tonnerre grâce au marteau Mjölnir ; et la poursuite par Thor de Gorr, le Boucher des Dieux, un alien cherchant à exterminer toutes les divinités de la Galaxie par vengeance. Thor: Love and Thunder tente d'associer dans un seul film ces deux histoires imaginées par Aaron. Deux histoires apocalyptiques, pleines de bruit et de fureur, que Jason -aussi connu pour sa série indé et ultra bourrine Scalped située dans les crimes d'une réserve indienne de nos jours- nourrit de sa passion parfois un peu balourde pour les combats titanesques et les citations grandiloquentes (pas étonnant que le scénariste ait aussi travaillé sur Conan le barbare). Mais bien que crédité au générique en tant que "creative consultant", on aura du mal à trouver le style d'Aaron dans Love and Thunder, montrant bien qu'il s'agit d'abord d'un film du Marvel Cinematic Universe et ensuite (et surtout) d'un film de Taika Waititi. Comme Thor : Ragnarok a fait un triomphe, le revoilà aux manettes d'un nouveau Thor. Et comme pour certaines suites signées de ses prédécesseurs (L'Ere d'Ultron, Les Gardiens de la Galaxie Vol. 2), la foudre ne retombe pas du tout au même endroit. Ce n'est pas une foudre façon Aaron, mais bien à celle de Waititi.
L'association des deux a de quoi surprendre : s'il fallait trouver une continuité ce serait avec la série de courts-métrages (très, très drôles) Team Thor où Taika Waititi imaginait la vie de coloc du Dieu du tonnerre en mode faux docu, quelque part entre The Office et Vampires en toute intimité. Mais alors que ces courts semblaient exister en parallèle du MCU en tant que bonus parodiques, comme des sketches du SNL, l'arrivée de Waititi avec Ragnarok transforme la parodie en matière officielle -conséquence, la parodie devient désormais indiscernable du reste, et surtout inconséquente. On ne pourra pas dire que Love and Thunder ne ressemble pas à son réalisateur -le problème étant, comment s'intéresser à un film qui traite ses personnages de façon aussi désinvolte ? Comme dans Team Thor, le héros est un grand balourd qui passe son temps à prendre les choses au premier degré et à faire des clins d'oeil à la caméra. Pourquoi pas, mais il y a plus important : que le film n'arrive pas à peser la bonne gravité de la tragique histoire de Jane Foster et de celle de Gorr. Même si dans la peau de ce dernier Christian Bale semble vraiment s'amuser comme un petit fou (disons : un peu plus que Christopher Eccleston dans Le Monde des ténèbres). Ce n'est guère surprenant, vu que Jojo Rabbit montrait bien l'inconséquence de Waititi pour traiter la fusion à froid des émotions cruciales, le rire et les larmes, mais c'est dommage : tant qu'à engager l'auteur de Vampires en toute intimité, mieux valait ne pas lui donner à traiter deux des storylines les plus puissantes de l'histoire du comicbook Thor.
Mais, peut-être vous dites-vous à juste titre, le problème avec Love and Thunder ne serait pas un problème de fan de comics ? Non, car ce qui cloche avec le film est un gros problème d'écriture de cinéma : celle du film est lourde comme du plomb. Les vannes sont rares, très appuyées et tombent très souvent à plat (on sauve Stormbreaker, la hache de Thor, qui a des crises de jalousie envers son ex-marteau), les SFX et les scènes de baston sont au niveau minimal, les hymnes hard rock sont plaqués, et le film paraît interminable malgré sa durée modeste (1h59!)... Le MCU aurait-il atteint un stade si industriel qu'il ne parviendrait même plus à générer du fun, encore moins de l'art ?