Quels films ont influencé Thierry Klifa pour concevoir cette comédie facétieuse sur une famille d'arnaqueurs ? Le scénariste et réalisateur se confie.
Thierry Klifa quitte les ambiances dramatiques (Le héros de la famille, Tout nous sépare...) pour son nouveau film, Les Rois de la piste. Une comédie suivant une “Ma Dalton” et sa tribu, arnaqueurs de père en fils, qui se retrouvent plusieurs années après un cambriolage raté. Pour un dernier coup ? Pour se réconcilier ? On n'en dira pas plus, mais sachez que Fanny Ardant et ses enfants (Mathieu Kassovitz, Nicolas Duvauchelle et Ben Attal) multiplient les fausses pistes tout en s'amusant comme des fous - surtout l'aîné, qu’on n’avait pas vu prendre autant son pied au cinéma depuis longtemps. Seront-ils assez malins pour tromper les policiers incarnés avec tout autant de malice par Laëtitia Dosch et Michel Vuillermoz ? Réponse en salles depuis ce mercredi.
Les Rois de la piste : une comédie délicieusement facétieuse [critique]Avant la sortie des Rois de la piste, nous avons demandé à son co-scénariste et réalisateur de nous confier quelques sources d'inspiration de son drôle de film. Si l'influence de L'Affaire Thomas Crown est évidente, il nous parle aussi de La Panthère Rose, des anti-héros des frères Coen, des "Princes sans royaume" de Jean-Paul Rappenau ou encore du cinéma féministe de Jonathan Demme. Voici une poignée d'influences, garanties sans spoiler, son réalisateur prenant bien soin de ne pas divulgâcher ses multiples rebondissements.
Vogue (1990) clip de Madonna réalisé par David Fincher
Ce n'était pas tellement pour citer David Fincher, même si c'est un plus... C'est parti du fait que tout ça existe, en réalité : ce tableau, La musicienne, qui est au début du clip de Madonna, a vraiment été volé pendant 17 ans. Il y a véritablement eu deux détectives qui sont partis à sa recherche, qui ont traversé l'Europe pour le retrouver. Madonna, c'est elle qui a fait monter la cote de Tamara de Lempicka. C'est aussi vrai qu'elle avait un tableau d'elle dont elle a fait changer le visage... Dans mes rêves les plus fous, j'aurais aimé qu'à la fin Madonna apparaisse et nous fasse un clin d'œil. Bon, ça aurait été dur à faire et ça aurait cassé l'émotion, mais j'avais eu cette idée au départ.
Fargo (1996) des frères Coen
Pour le côté "inspiré d'une histoire vraie" ? Peut-être que ça m'a influencé d'une certaine façon, car je l'ai revu en écrivant le scénario, je me souviens m'y être replongé intentionnellement en commençant l'écriture. De façon générale, ce qui me plait chez eux, c'est leur manière de dépeindre des anti-héros, mais je n'ai pas repris précisément d'idée pour ce film, non.
Hors de prix (2006) de Pierre Salvadori
On s'est amusé avec mon co-scénariste Benoît Graffin à détourner un peu tous les codes, et la souris d'hôtel ou de casino, c'est une figure emblématique du cinéma. Laetitia Dosch c'est ce personnage-là, mais en même temps elle joue avec ce cliché, elle mène la barque. C'est elle qui mène l'enquête. Elle n'est pas du tout cette femme qu'on aurait pu croire en la voyant arriver. Pierre Salvadori, j'aime beaucoup son travail de manière générale. Et Benoît, c'est pareil, j'apprécie par exemple le film qu'il avait fait avec Sandrine Kiberlain Edouard Baer, Encore heureux.
Donc oui, Salvadori c'est quelqu'un qui m'a marqué, un metteur en scène que je trouve vraiment formidable. Chez lui, ce sont toujours des personnages très borderline, qui ont une fantaisie, mais qui peuvent être aussi très dépressifs. Des gens qui cherchent leur place ou qui sont rejetés par la société. Il y a un film de lui que j'adore, qui s'appelle Dans la cour avec Gustave Kervern et Catherine Deneuve, où ils sont tous les deux étrangers au monde qui les entoure. II y a toujours une sorte de fantaisie teintée de mélancolie chez Salvadori qui me plaît beaucoup.
Audrey Tautou est absolument parfaite dans Hors de prix [critique]A bout de course (1988) de Sidney Lumet
C'est un de mes films préférés. A sa sortie, il était arrivé dans les salles françaises presque en catimini, très peu de gens l'ont vu. Moi, j'aimais déjà beaucoup Sidney Lumet, River Phoenix... Ça fait partie de sa trilogie sur le militantisme avec À la recherche de Garbo et Daniel. Ce sont aussi des films sur la famille. Garbo, ça m'a beaucoup influencé pour le personnage Fanny Ardant. Ce rapport fusionnel qu'elle a avec ses fils...
J'ai été profondément marqué par Family Business, aussi. Ces films de Lumet, ils ont de la fantasy, ce sont des histoires un peu abracadabrantes mais qui en même temps révèlent des choses très justes sur la famille, sur la place qu'on a, la place qu'on prend, la place qu'on vous donne... A bout de course, j'y repense tout le temps. Dans tous mes films, dès que je pense à une scène dans une cuisine avec une famille, je les vois eux en train de danser sur la chanson sur James Taylor. Je rêve de réaliser une séquence comme ça.
Un journaliste m'a dit en conférence de presse : "A travers la famille, il y a une représentation de la société." Oui, c'est vrai, je ne l'aurais pas posé en ces termes, mais c'est ça aussi Les Rois de la piste : autour d'une table se réunissent des gens qui racontent la société d'aujourd'hui. C'est pas parce que c'est une comédie ou que l'histoire est un peu burlesque que ça n'a pas de sens. Les personnages existent vraiment à travers leurs sentiments, leur révolte, leur vérité, leur mensonge, leur trahison.
L'Affaire Thomas Crown (1968), de Norman Jewison
C'est une influence évidente, même si j'ai peur que cela tourne un peu à ma défaveur (rires). C'est le chef-d'oeuvre absolu de ce genre d'histoire, d'autant plus quand les détectives se perdent dans une histoire d'amour. Evidemment qu'on l'avait en tête. C'est une sorte de film parfait, avec le couple parfait, le baiser, le prénom... Bref, c'est ancré dans l'histoire du cinéma. Avec Alex Baupain, nous en avons parlé au moment de réfléchir à la musique, parce que c'est vrai que le travail de Michel Legrand est incroyable sur ce film. On voulait lui rendre hommage à notre façon, faire un clin d'œil à ce thème qu'on adore ("Les moulins de mon coeur", ndlr).
Avec mon costumier, on a clairement dit à Laetitia qu'on voulait qu'elle soit Faye Dunaway, en gros. C'était un modèle pour ce rôle. Elle en a fait quelque chose de différent, elle ne dégage pas la même chose, mais j'étais content d'amener Laetitia vers un registre qu'elle avait jamais encore abordé. Elle a souvent joué des filles assez "quotidiennes" et là, je voulais lui proposer un glamour un peu hollywoodien.
Hôtel des Amériques (1981) d'André Téchiné
André Téchiné, j'y pense tout le temps, à tel point que j'ai fait un documentaire sur lui. Il y a deux films qui ont vraiment bouleversé ma vie. J'étais très jeune, je les ai vus à un ou deux mois d'intervalle : La femme d'à côté et Hôtel des Amériques. C'est vraiment à partir de là que j'ai su que je serai réalisateur, même si je ne savais pas comment j'allais y arriver.
Il y a un plan dans Les Rois de la piste avec Laëtitia qui vient rejoindre Mathieu dans l'hôtel, où elle est dans l'entrebâillement de la porte. Pour ça, j'ai vraiment pensé à Catherine Deneuve qui vient rejoindre Patrick Dewaere dans Hôtel des Amériques. Mais André, c'est plus une influence générale : il m'a transmis cette idée qu'il ne fallait pas être en permanence dans l'efficacité, mais au contraire oser faire dérailler le train. Un film comme ça a besoin de respirations. Surtout avec une comédie, où on a tendance à accélérer. Il ne faut pas confondre le rythme et la précipitation. Je pense que mon film, il a justement trouvé son rythme à travers tous ces ajouts qui ne sont pas essentiels à l'intrigue, mais qui offrent du charme aux personnages, un petit truc en plus de personnel.
Le bel hommage de Juliette Armanet à Michel LegrandVeuve mais pas trop (1988), de Jonathan Demme
Parce que je voulais des rôles féminins forts, je me suis replongé dans la filmo de Jonathan Demme. Dangereuse sous tout rapport, c'est un bon exemple, aussi. Ou Eclair de Lune, de Norman Jewison avec Cher. On en a parlé avec Fanny, surtout de Garbo. On a évoqué le cinéma de Blake Edwards, également. On avait ces références communes. D'ailleurs, c'est vrai avec le reste du casting : ils ont tous une bonne connaissance du cinéma.
James Bond et la Nouvelle Vague
C'est totalement assumé. L'ouverture, le thème, les fermetures à l'iris, ces airs à la Ennio Morricone... c'était voulu, oui. On a voulu s'amuser, jouer avec toutes sortes de références. Après, je pense que le film se regarde sans connaître tout cela. Si on n'est pas cinéphile, aucun problème. Mon film n'est pas qu'un clin d'œil à ma cinéphilie.
En tout cas, je leur ai conseillé à tous de vraiment de s'amuser : à Alex pour la musique, à ceux qui ont fait le générique, au scénariste... Je savais qu'il fallait pousser un peu les curseurs.
L'ouverture à l'iris, c'est Truffaut, La Nouvelle Vague. Ce n'est pas un film en particulier, mais je trouvais que ça donnait donnait d'emblée aux Rois de la piste un ton, un esprit. J'ai beaucoup joué avec toutes ces choses avec lesquelles j'ai grandi, qui ont forgé ma cinéphilie. Jouer à fond la musique, comme si c'était un personnage, par exemple. Alex a composé plus d'une heure de musique, ce qui ne m'était encore jamais arrivé dans un de mes films. Pour toute la fin avec Mathieu (Kassovitz) dans les couloirs, il y avait un côté Panthère Rose qu'on s'est amusé à reproduire. Un peu de Hercule Poirot aussi pour la révélation finale, quand on revoit l'histoire à travers un autre regard.
Métisse (1993) de Mathieu Kassovitz
Mathieu, il s'est amusé comme un fou. Il a aimé les personnages, l'histoire, il a aimé cette famille. Il était à 100 % avec moi ça se sent, on le retrouve comme on l'avait pas vu depuis longtemps. En plus, il donnait en permanence à l'équipe son degré d'exigence, qui était élevé parce qu'il y croyait vraiment. Je sentais bien que c'était pas un film de plus pour lui. On le revoit souriant, amoureux, charismatique... Comme dans ses premiers films. Dans Métisse, par exemple.
Ces dernières années, on l'a vu dans des rôles assez sombres, fermés. Dans l'esprit du public actuel, il est devenu Malotru (son personnage du Bureau des légendes, ndlr). Alors que quand il sourit, il a un truc. Il m'a par exemple parlé de Cary Grant, un acteur qui n'avait pas peur du ridicule. On avait aussi comme référence commune Punch Drunk Love. Une romance avec des personnages un peu incertains. Ce sont typiquement ceux qui me touchent, ces êtres qui sont toujours un peu sur un fil. Des "princes sans royaume", des perdants magnifiques.
A ce propos, on a également pensé à Tout feu tout flamme, de Jean-Paul Rappeneau. Notamment pour la musique de Michel Berger. On a aussi puisé chez Philippe de Broca, avec ses beaux parleurs, qui repeignent la vie en or. Jean Rochefort dans Le Cavaleur, par exemple.
D'ailleurs, Des princes sans royaume, ça aurait pu être le titre. Mais avec l'équipe, on a finalement trouvé ça trop littéraire. Et ça pouvait sonner mélo, alors que je voulais faire ma première vraie comédie. On a préféré Les Rois de la piste, même si la mention du titre en réplique de fin... Je suis pas fou de ça. Au contraire, je trouve toujours ça un peu nul, comme si on voulait justifier du titre. Sauf si c'est un prénom, comme "César", "Rosalie". Mais là, c'est venu assez naturellement et je trouvais que ça avait du sens par rapport à l'histoire, par rapport aux personnages, par rapport au ton du film, au fait que cette famille de bras cassés ne se prend pas au sérieux.
Le cinéma "chantant" de Pedro Almodovar
Cette chanson, c'est Nicolas (Duvauchelle) qui en a eu l'idée. On avait déjà commencé à tourner depuis deux ou trois semaines et cette scène était tout à la fin du film. Il a dit : 'Je trouve que le personnage a quelque chose à exprimer, mais que ça ne doit passer par le dialogue. Si je chantais, j'aurais l'impression de raconter quelque chose d'autre sur lui.'
Pour le coup, je ne suis pas à l'origine de cette séquence musicale, même si j'ai effectivement fait chanter beaucoup de monde dans mes films, et au théâtre aussi : Nathalie Baye dans Une vie à t'attendre, Géraldine Pailhas et Emmanuelle Béart dans Le héros de la famille, Jean-Baptiste Lafarge dans Les Yeux de sa mère... J'adore les comédies musicales, je rêverais d'en mettre en scène un jour. J'adore La La Land, le cinéma de Pedro Almodovar... Il y a un côté magique avec ce genre de scènes chantées. Et puis bon, avec Alex Beaupain, il y aura forcément des chansons ! (rires) Il a aussi composé spécialement celle du générique de fin.
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